Le mystère d’Outreau
L’affaire d’Outreau n’est pas une erreur judiciaire comme les autres : ici, pas de coïncidences miraculeuses ou de complot machiavélique ! L’innocence des accusés relevait tout simplement de l’évidence : c’est là que réside le vrai mystère.
Au fil des dévoilements, qui avaient déjà commencé depuis longtemps mais qui atteignent leur paroxysme avec la commission d’enquête, le mystère s’épaissit : une enfant encore vierge aurait été violée simultanément par trois personnes... Mais c’est impossible : le plus élémentaire bon sens suffit pour en être certain. L’abbé Wiel aurait abusé de deux enfants au milieu d’un jardin potager... Mais c’est impossible : il suffit de se rendre sur les lieux pour le voir d’une façon indubitable. Une orgie regroupant trente personnes, dont des enfants, aurait eu lieu à telle adresse... Mais c’est impossible : il s’agit là d’un studio où l’on ne tient pas à plus de dix, etc.
Cette affaire aura eu au moins un mérite : les plus humbles d’entre nous se prennent à rêver d’être policiers ou magistrats... Comment ne pas être effaré par ce manque de professionnalisme ? Les plus élémentaires vérifications ne sont pas faites, les distributions de baffes au commissariat tiennent lieu d’investigations, les faux témoignages sont suscités, etc. Incurie se doublant d’un manifeste manque d’éthique : mépris manifesté par l’avocat général faisant des graffiti durant la plaidoirie d’un avocat de la défense... Cruautés, avec ces moqueries et ces ironies faciles : « J’ai quatre ans pour instruire, vous aurez vingt ans pour réfléchir. » Et puis cette obstination, presque jusqu’à maintenant !
Que pense la hiérarchie judiciaire du travail du juge Burgaud ? Après le procès en première instance, et alors qu’on pouvait déjà avoir de sérieux doutes sur ses capacités professionnelles, le juge Burgaud est promu (eh oui ! vous ne rêvez pas !) comme substitut du parquet antiterroriste de Paris (brrr...) avec une prime de mutation considérée, à l’époque, comme de 8% plus élevée que la norme en vigueur ! Un mystère de plus au pays d’Ubu ! Et puis, médias aidant, on le retrouve maintenant discrètement muté comme obscur juge d’application des peines... Le moins qu’on puisse dire, c’est que la hiérarchie ne donne pas, non plus, une grande impression de sérieux.
On parle toujours des « acquittés d’Outreau. » Il me prend l’envie de chercher autre chose, un titre derrière le miroir, puisque le procès a changé de camp, un titre qui contienne une explication : « Les diaboliques d’Outreau » ou bien « Les fainéants d’Outreau », ou encore « Les nullités d’Outreau »... Peut-être « Les fous d’Outreau » (Roselyne Godard, la boulangère parle de placer des « garde-fous »...)
La commission parlementaire m’aidera-t-elle à choisir ? Car enfin soyons sérieux : il s’agit ici d’une affaire d’hommes, et non d’institution. La seule question est la suivante : les magistrats et les policiers en charge de l’enquête sont-ils des imbéciles, pour avoir résisté obstinément à toutes les évidences, ou bien sont-ils des criminels qui ont envoyé en connaissance de cause des innocents en prison ? Au-delà des motivations, il apparaît que l’unique cause de ce désastre est tout simplement un travail mal fait, un ramassis de « fautes professionnelles graves », comme on dit. Il s’agit bel et bien une affaire d’incurie.
Imaginons la situation suivante : un pilote d’avion se pose saoul et en tripotant l’hôtesse. Un crash se produit, mais le pilote survit miraculeusement. Doit-on le sanctionner durement, ou bien lancer des études afin de fabriquer un avion susceptible d’être piloté par un tel personnage ?
Aucun système judiciaire ne peut fonctionner sans des fonctionnaires de haute qualité, à l’éthique et à la rigueur exemplaires. C’est, d’évidence, ce qui a cruellement manqué ici. Peut-être serait-il temps de mettre un terme à l’impunité (de fait) dont jouissent les brebis galeuses de la magistrature et de la police, aidées par de puissants corporatismes. Ainsi, quelques fonctionnaires « défaillants » jettent le discrédit et l’opprobre sur leur profession et leurs collègues, et nuisent en tout impunité, et parfois gravement, à leurs concitoyens. Peut-être serait-il temps, aussi, de reconnaître que le problème ne se pose pas seulement pour la police et pour la justice. J’en parle d’autant plus à l’aise que je suis moi-même fonctionnaire. Mais je m’égare : il est bien connu que « tout le monde fait un travail formidable » !
Pour la suite : la tournure des événements ne me donne pas grand espoir. La commission ne sera probablement qu’un défoulement collectif avec, éventuellement, un rite sacrificiel à la clé (là, rien n’est encore joué), et puis tout ce beau monde retournera ronronner dans la plus parfaite quiétude, s’empressant d’enterrer une nième réformette.
Y a-t-il vraiment un mystère d’Outreau ?
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