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Accueil du site > Tribune Libre > Les rentes absolue et différentielle : ce qui implique qu’on (...)

Les rentes absolue et différentielle : ce qui implique qu’on travaille, en partie, pour rien

Avec David Ricardo, nous avons appris à faire la différence entre valeur d'échange, ou réelle, ou naturelle (évaluation automatique, à travers la moyenne des échanges, de la quantité de travail incorporée) et prix de marché (expression, à travers la mise en œuvre de ladite loi de l'offre et de la demande, de la rareté/abondance, locale et/ou momentanée, relative).

Il le redit parfois en remplaçant valeur réelle par prix réel - c'est donc le prix d'équilibre entre l'offre et la demande, moment où le prix exprime lui-même la valeur d'échange, réelle, naturelle d'une marchandise donnée :
« […] il dépend de la plus ou moins grande quantité de travail et de capital (c'est-à-dire de travail accumulé) qui doit être employée pour la produire.  » (Idem, page 423.)

David Ricardo nous montre, une nouvelle fois, en quoi la loi de l'offre et de la demande n'y peut rien :
« Diminuez le coût de production des chapeaux, et leur prix [de marché] finira par baisser jusqu'à leur nouveau prix naturel, bien que la demande ait pu doubler, tripler ou quadrupler. Diminuez le coût d'entretien des hommes en abaissant le prix naturel de la nourriture et des vêtements grâce auxquels ils se maintiennent en vie, et les salaires finiront par baisser, bien que la demande de travailleurs ait pu s'accroître considérablement. » (Idem, page 395.)

Comme on le voit, les salaires restent simplement un moyen pour atteindre la nourriture. En eux-mêmes, ils n'ont de sens économique que pour autant qu'ils expriment la quantité des produits nécessaires à la survie de l'ouvrier. Autrement dit, même si la rareté relative (locale et/ou momentanée) des ouvriers peut produire (à travers la loi de l'offre et de la demande) une hausse nominale de leurs salaires, cela ne durera qu'un temps : l'écume disparaîtra bientôt pour laisser place à la mesure de ce que reçoit chaque ouvrier par la quantité des biens qui lui sont nécessaires pour survivre.

Ces biens eux-mêmes (agricoles, pour l'essentiel, en ce temps-là) emportent une part de la rente que nous retrouvons donc ici... Laissons à David Ricardo le soin de nous en dire plus :
« […] la rente est toujours la différence entre les produits bruts obtenus par l'emploi de deux quantités égales de capital et de travail. » (Idem, page 93.)

Alors qu'il nous avait d'abord présenté la rente comme exprimant les "facultés productives originelles et indestructibles du sol", ce qui nous mettait en contradiction avec la doctrine qu'il avait si bien développée pour nous de n'admettre de valeur économique naturelle et réelle que provenant d'un travail (humain, par définition), le voici redevenu cohérent avec lui-même : la rente s'inscrit dans le schéma d'une comptabilité économique qui s'effectue sur le fondement de quantités de travail...

Il avait pourtant effleuré la vérité de ce qui distingue la rente absolue de la rente différentielle lorsqu'il avait rattaché la première à l'appropriation privée des terres, tandis que la seconde renvoie directement aux quantités de travail incorporées.

En face de la nécessité, pour tout être humain, de s'alimenter - et tout particulièrement pour qui n'a que ses bras pour vivre, et ne peut prendre appui sur un patrimoine foncier -, l'appropriation privée des terres par autrui le prive des moyens de survivre. Il ne pourra donc échapper à la mort qu'en offrant de travailler. En retour, il sera alors possible de le payer en lui livrant une partie de ce qui n'est dû qu'à la productivité naturelle et - jusqu'à un certain point – gratuite, de la terre accaparée au détriment de toutes les personnes de sa condition. La rente absolue, c'est donc lui, et lui seul, qui la paie par son travail.

La rente différentielle - qu'il paie également par son travail -, c'est encore autre chose…

Reprenons la rente différentielle telle que David Ricardo nous l'a d'abord présentée :
« […] la rente est toujours la différence entre les produits bruts obtenus par l'emploi de deux quantités égales de capital et de travail. » (Idem, page 93.)

D'où vient la différence ?... De la diversité des fertilités naturelles, c'est-à-dire de ce qu'ailleurs le même Ricardo appelait les "facultés productives originelles et indestructibles du sol".

Du point de vue de leur valeur économique, ou réelle, ou naturelle, les produits agricoles issus de "quantités égales de capital et de travail", mais diversifiés dans leur quantité en raison du différentiel de productivité lié aux caractéristiques naturelles des sols, seront équivalents. Ceux dont la quantité est naturellement plus élevée fourniront un prix total de marché plus élevé que le prix total de marché de ceux que la nature aura offerts en moindre quantité.

La même valeur économique sera donc sous-jacente à des prix totaux de marché différents, selon la provenance de tel ou tel produit agricole. Cette différence de prix constitue la rente différentielle. Qui la paie avec son travail ? Le consommateur, quel qu'il soit. Qui la récupère sans avoir fourni l'équivalent en termes de travail ? Le propriétaire du sol, après qu'elle ait été collectée par son fermier.

Les différences naturelles de fertilité peuvent être accen-tuées par le travail humain : dans ce cas, il s'agit d'améliorations que la nature s'approprie et pérennise, sans plus avoir besoin d'une répétition de ce même travail humain. Une rente différentielle supplémentaire apparaît.

Par ailleurs, et cette fois-ci comme dans l'industrie, le système de travail peut devenir plus efficace. Des quantités identiques de travail auront de meilleurs résultats. La valeur économique, réelle, naturelle de chaque produit agricole diminuera, bientôt suivie par une baisse de son prix de marché. Ici, aucune rente supplémentaire ne peut apparaître.

David Ricardo en fournit un exemple chiffré :
« Si quatre-vingts hommes, au lieu de cent, suffisaient désormais pour cultiver le blé, sa valeur baisserait de 20 pour cent [...]. » (Idem, page 74.)

Cependant l'ensemble du processus tient à une condition que le même auteur nous indique aussitôt :
« Les améliorations dans l'agriculture, comme la plus grande fertilité, donneront à la terre la capacité de faire naître une rente plus élevée dans une période future, parce qu'au même prix, la quantité de nourriture produite sera plus grande. Mais, tant que la population ne croît pas dans la même proportion, la quantité supplémentaire de nourriture ne sera pas nécessaire : la rente n'augmentera donc pas, mais elle diminuera. » (Idem, page 424.)

La rente agricole repose en effet sur une différence qui intervient entre des produits naturels par ailleurs identiques du point de vue de la quantité de travail qu'ils incorporent. C'est en quelque sorte la résistance de la nature qui, en interdisant à sa fertilité de croître aussi rapidement que ne croît la productivité du travail dans le domaine industriel, freine la différenciation quantitative à l'intérieur d'une série de produits agricoles identiques en quantité de travail incorporée, et doit compter sur une croissance quantitative extérieure pour produire de nouveaux effets à partir de sa différenciation intérieure.

Croissance de la population... Mais de quelle population plus particulièrement ? C'est à quoi David Ricardo nous invite, ensuite, à réfléchir.

Michel J. Cuny

 


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17 réactions à cet article    


  • L'apostilleur L’apostilleur 15 novembre 09:11

    @ l’auteur 

    « ..l’appropriation privée des terres par autrui le prive des moyens de survivre.. »

    Si ce postulat a pour but de promouvoir un autre système, auquel pensez-vous ?

    La production catastrophique des révolutionnaires collectivistes en kolkhoze a été remplacé par la propriété privée.

    Sans privatisation des terres, pas de nourriture.

    Trouver une paille dans un système est plus facile que d’en substituer un autre.

    Les américains ont été subjugués par des milliardaires capables de s’enrichir et les autres avec. Leurs excès nous insupportent, et surtout ceux qui voudraient leur faire les poches. Le nfp et le tyran Mélenchon qui « veut tout ramasser » proposent une politique confiscatoire opposée à ces extrémistes milliardaires. 

    Croire qu’en cassant un système qui enrichit les trop riches, pourrait enrichir les plus pauvres est utopique.

    L’idéal reste à construire.


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 15 novembre 09:48

      @L’apostilleur
      Inutile, donc, de vous en dire davantage... Vous avez trouvé la solution décidément radicale : « Sans privatisation des terres, pas de nourriture. »
      Pour ma part, je continue à penser que le travail a tout de même une petite place... Et pas que le travail des autres... monsieur le grand propriétaire ! (sic)...


    • L'apostilleur L’apostilleur 15 novembre 10:55

      @Michel J. Cuny
      La rémuneration juste du travail est primordiale.
      Ma religion est faite depuis longtemps mais elle n’interesse ni les partis, ni les syndicats, ni les patrons. Les salariés oui
      https://onenpensequoi.over-blog.com/2020/05/plutot-qu-un-nouvel-impot-ps-pourquoi-pas-la-participation-et-l-interessement-de-darmanin.html


    • L'apostilleur L’apostilleur 15 novembre 10:59

      @Michel J. Cuny
      « ..Vous avez trouvé la solution décidément radicale .. »
      Ce n’est pas une solution, seulement un constat.
      Si vous avez un exemple qui le contredirait, vous allez intéresser...


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 15 novembre 15:26

      @L’apostilleur
      Merci pour vos deux commentaires : manifestement, nous avançons.

      Lorsque vous écrivez ceci : « La rémunération juste du travail est primordiale », quelle est votre unité de mesure ?... De quelle justice parlez-vous ?...


    • L'apostilleur L’apostilleur 15 novembre 18:05

      @Michel J. Cuny
      D’une justice de rémunération qui ne serait pas l’équité, donc proportionnelle au mérite avec une rétribution pour les preneurs de risques.
      Les sumériens rémunéraient même le prêt d’argent.
      Un salaire n’est pas un dû.


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 15 novembre 18:32

      @L’apostilleur
      Vous avouerez qu’il y a, là, un léger brouillard...
      « D’une justice de rémunération qui ne serait pas l’équité, donc proportionnelle au mérite avec une rétribution pour les preneurs de risques. »

      Une heure de travail, rien qu’une : et voilà la mesure... Elle est, de nature, à la fois biologique, physiologique, physique, psychique... et tout ce que vous voudrez encore, qui qualifie l’humain tout simplement...

      Mais vous n’êtes peut-être pas fait comme tout le monde... Ou bien, alors, c’est que vous ne savez pas vraiment de quoi vous êtes fait...

      Le mérite, le risque, mais surtout pas ce boulot que vous laissez aux autres...


    • L'apostilleur L’apostilleur 16 novembre 00:00

      @Michel J. Cuny
      « ..Le mérite, le risque, mais surtout pas ce boulot que vous laissez aux autres.. »
      N’importe quoi !!
      Le mérite c’est du boulot !
      Le risque c’est du boulot !
      Pour le boulot j’ai ma part de travailleur honnête, sans chômage de complaisance, ni usurpation de droits...
      De quel boulot que j’aurais laisser aux autres parlez-vous ? C quoi votre délire, la fumée ?


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 16 novembre 09:58

      @L’apostilleur
      Sitôt que vous vous trouvez en présence de l’analyse produite par Ricardo, vous ne pouvez plus arguer simplement de votre vie à vous : travail, mérite et risque. Vous vous trouvez engagé dans la recherche de l’unité de mesure de la valeur économique à travers l’histoire de l’humanité.

      C’est une affaire très compliquée qui oblige, par exemple, à remonter à l’analyse que fait Aristote de cette formule apparemment toute bête : A = A.

      Si, à partir de son travail, une personne reçoit une rémunération avec laquelle elle décide de vous faire un cadeau, elle paraît rester dans le cadre de l’économie  et de la valeur économique. Mais, en vous faisant cadeau d’une partie de son temps de travail, elle sort des équilibres institués par l’économie, à charge peut-être, pour vous, de lui rendre la pareille... par un cadeau, par un sourire, etc...

      Dans le cas du mérite, du risque, etc., le même processus de séparation d’avec la quantité de travail incorporé se produit. Mais la rémunération du mérite, du risque, ne peut pas prétendre entrer dans la quantification de la valeur économique... à moins que nous ne l’expliquiez comme vous venez de le faire ici :
      « Le mérite c’est du boulot ! Le risque c’est du boulot ! »
      Vous voyez que vous rentrez vous-même dans l’analyse ricardienne : c’est le boulot qui mesure la valeur économique...

      Ce n’est pas du tout le schéma de l’exploitation. Nous restons, alors, dans des équilibres de bon aloi.

      À propos de fumée (mon délire !), je prends le parti de vous donner mon avis, rien qu’en passant...
      https://unefrancearefaire.com/2018/02/06/la-cigarette-comme-outil-de-domination/


    • Hervé Hum Hervé Hum 18 novembre 18:22

      @Michel J. Cuny

      La définition du mérite est celle de l’estime, de la reconnaissance d’autrui vis à vis de votre action et de sa récompense.

      L’apostilleur, nous dit une chose et son contraire, exactement comme le font tous les thuriféraires du capitalisme. Dans un commentaire il dit être contre le mérite et dans le suivant, il le défend se prenant en exemple. Il nous dit que le salaire n’est pas un dû, pour ensuite dire que le sien était un dû en raison de son mérite !!!

      En économie collectiviste, ce qu’est fondamentalement l’économie capitaliste puisque sans ouvriers, pas de production industrielle d’aucune sorte, la différence portant sur la répartition de la richesse produite (tous domaines confondues), c’est donc toujours le même et uniquement argument du mérite qui doit décider.

      Mais voilà, l’apostilleur s’emmêle les pinceaux, parce qu’il ne peut pas éviter l’aporie de son raisonnement, c’est à dire, défendre le mérite personnel et en même temps défendre l’exploitation du mérite personnel d’autrui à son profit. Les deux sont antinomique et tout l’art des capitalistes est alors de savoir donner l’illusion de la récompense du mérite personnel vis à vis d’eux même est la seule qui ait de la valeur et donc, il est exclu que ce mérite soit calculé vis à vis de l’ensemble de la communauté.

      Bref, chez ce cher Ricardo comme pour l’apostilleur ’ouvrier en tant que réduit à la fonction machine, donc, au même rang que le cheval, ne saurait entrer dans le calcul du profit, mais uniquement pour le calcul du coût de production.


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 18 novembre 19:56

      @Hervé Hum
      Merci de souligner certaines des contradictions présentes dans les commentaires  un peu à l’emporte-pièces  de l’apostilleur.

      Ceci dit, ces contradictions demandent à être analysées pour en comprendre la provenance, en quelque sorte nécessaire, compte tenu du monde dans lequel nous vivons. L’apostilleur garde un attachement profond avec le travail et, tout à la fois, il lui faut y ajouter autre chose... pour obtenir une certaine dynamique.

      Cette affaire est psychologiquement très compliquée, mais en nous tournant vers le travail de Thomas Piketty  dont il faut tout de même mesurer certaines limites idéologiques, elles aussi, très compréhensibles finalement -, nous devrions en trouver les origines dans les effets décalés de la lutte des classes étendue à la dimension internationale et dans la profondeur des temps passés...

      Rude travail, s’il en est.


    • Jason Jason 15 novembre 18:15

      Bonjour,

      Ricardo a des vues courtes sur l’économie de marché, il faudrait dire LES marchés, qui ne sont efficaces que quand ils sont en nombre infini, etc..

      Il ignore les plus-values engendrées par la spéculation et la rareté artificielle (voir les famines en Inde et les travaux d’A. Sen). Son marché du travail est simpliste pour ne pas dire mécaniste. Pour lui, le travailleur est une machine qui ne fait que manger, etc..

      .
      Pour moi, Ricardo reste un économiste aux mécanismes trop simples, pour ne pas dire simpliste. Sans grand intérêt.


      • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 15 novembre 18:39

        @Jason
        Bravo ! En un peu moins de dix lignes, voici que vous avez réglé son compte à Ricardo.... Effectivement : tout cela est absolument sans intérêt...

        Votre propos démontre, toutefois, que vous ne savez décidément rien de ce qui se trouve chez lui. Ah, c’est sûr, ça demande un peu de travail...


      • Jason Jason 15 novembre 19:43

        @Michel J. Cuny

        Vous avez raison, Je n’ai pas envie de m’atteler à des subtilités de cet économiste étriqué trop classique pour moi.


      • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 15 novembre 20:20

        @Jason
        Votre attitude est tout à fait digne de respect, et je veux bien en convenir.

        J’ai moi-même consacré quelques dizaines d’années à ces questions effectivement très compliquées... ainsi qu’à bien d’autres... et je comprends à quel point une fréquentation non suivie de certains thèmes peut coûter d’efforts, sitôt que l’on veut décidément s’y atteler.


      • Jason Jason 16 novembre 11:47

        Bonjour,
        Je souhaiterais m’attacher aux aspects plus sociologiques de ces théories. Cela entrerait davantage dans le concret. Toutefois j’admets qu’il est difficile d’aller de l’un à l’autre, la sociologie s’étant développée plus tardivement que l’économie classique.


        • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 16 novembre 13:24

          @Jason
          Ce souci des rapports de classe va se manifester dans la suite des articles que je présente ici... en faisant intervenir l’impact de l’Union soviétique sur l’économie française, par le biais des rapports de classe, et en tenant le plus grand compte des travaux de Thomas Piketty et de leur relecture à partir de... Ricardo, en particulier, mais pas seulement.

          D’abord, je mets en place les outils d’analyse... Cela ne sera pas long... S’il s’agit de vous rassurer, c’est tout ce que je peux vous dire pour l’instant.

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