Mariage annulé : l’argument final
Il y a un buzz énorme autour de ce qu’on peut considérer comme un fait-divers, l’annulation d’un mariage pour cause de tromperie sur la virginité de la femme. Les politiques et les médias s’en mêlent. Force est de constater que la plupart des arguments avancés pour critiquer ce jugement ne sont pas recevables. Et pourtant ce jugement ne semble pas remplir le rôle initial de la loi... Comment se sortir de cette impasse ?
Des arguments irrecevables
Il existe principalement trois types d’arguments pour critiquer le jugement qui a eu lieu. Pour la plupart ils sont irrecevables.
Ils le sont d’abord quand ils se basent sur l’émotion. Beaucoup de gens se disent choqués de ce jugement, cette histoire sordide de virginité et de tache de sang, cet archaïsme des traditions. On peut les comprendre. Ce qui en dernier lieu semble justifier la plupart des critiques est le bon sens moral, et un jugement de valeur sur certaines pratiques traditionnelles, jugées archaïques. Seulement la justice ne doit pas se baser sur l’émotion, mais sur la raison, et c’est ce qui en fait un des piliers de nos institutions. En l’occurrence, l’émotion obscurcit la raison. Elle ne doit pas se baser sur une morale ou un jugement de valeur. Quoi qu’on en pense, ce n’est pas son rôle. Pourquoi ? Parce qu’on ne voudrait pas qu’un jugement de valeur sur l’homosexualité, par exemple, interfère avec la justice. C’est une question de liberté d’opinion. C’est pourquoi on se doit de respecter ce principe.
Les arguments ne sont pas recevables en second lieu quand ils portent sur la laïcité, ou de manière générale quand ils veulent intégrer dans le jugement des notions politiques qui n’ont pas lieu d’y être. On peut penser qu’il faille lutter contre l’intégrisme, le traditionalisme qui érige la virginité comme valeur, seulement ce n’en est pas le lieu. Lutter contre l’intégrisme doit être le fait d’une politique, mais ne doit pas interférer avec un jugement donné, encadré par une loi. Pourquoi ? Parce que encore une fois c’est l’indépendance de la justice qui est en jeu, qui est un principe à respecter, parce qu’on ne voudrait pas que d’autres politiques répressives, par exemple, interfèrent avec des jugements. Donc on ne doit pas tout mélanger.
Enfin les arguments ne sont pas recevables quand ils se basent sur la notion de virginité comme caractère essentiel, et sur la différence entre homme et femme dans le jugement. On voudrait que la virginité ne soit pas un caractère essentiel de la personne, soit parce que c’est choquant (dans ce cas se référer au premier type d’argument) soit parce que ça porte atteinte à la dignité de la femme (dans ce cas, se référer au second type d’argument). Soyons clair : la virginité ne doit pas être reconnue comme une qualité essentielle de la femme par la justice, pas plus que l’impuissance chez l’homme. Seulement le jugement ne dit qu’une chose : que quelque chose d’essentiel pour le mari (et non pas pour la justice) a été l’objet d’un mensonge de la femme. De nombreux jugements ont lieu chaque année se basant sur la même loi, mais en référence à l’impuissance de l’homme, ce qui est tout aussi sexiste finalement.
Finalement, la loi garantit à chacun le droit d’avoir des exigences sur son conjoint lors du mariage, quelles qu’elles soient, intégristes, fascistes, sexistes, peu importe, et si ces exigences sont connues du conjoint et que celui-ci a menti dessus, la justice garantit l’annulation du mariage. C’est une bonne chose.
La loi remplit-elle sa fonction dans ce cas-là ?
Intuitivement, il nous semble que la loi ne remplit pas son but initial dans ce cas précis.
On comprend évidemment le rôle de la loi, qui est de rendre justice contre les manipulations. Un homme ou une femme qui dissimule délibérément quelque chose avant le mariage se trouve ainsi uni à une personne. La personne se sent flouée. Elle peut demander l’annulation du mariage. Ce qui est important c’est que la loi prévoit l’annulation quel que soit l’objet, du moment qu’il est essentiel aux yeux de la personne flouée. En ce sens, la loi se justifie par une protection de l’individu contre le mensonge.
Maintenant, imaginons le cas qui nous préoccupe en dehors de tout contexte religieux, familial, traditionnel. Une jeune fille affirme qu’elle est vierge à son mari. Le mari pense que la virginité est une qualité essentielle de la femme. Ca peut nous choquer, mais ça ne nous regarde pas au fond, c’est son droit. La femme le sait, mais elle lui ment là-dessus, dans le but de l’épouser. L’homme l’apprend après le mariage. Elle s’est foutue de lui. Il demande l’annulation. Présenté comme ça, sans aucune référence religieuse ou traditionnelle, le résultat du jugement semble beaucoup moins choquant. En tout cas, si les mariés avaient été athées, nous n’aurions pas eu un tel buzz médiatique, car presque tout le monde aurait pensé "c’est leur choix".
Finalement, on voit bien que c’est le contexte familial, religieux, traditionnel, qui rend ce jugement non seulement choquant pour beaucoup, mais aussi bancal sur le plan juridique. Dans ce contexte, il est impossible d’imaginer que la fille ait délibérément trompé son mari, qu’elle ait tenté de le manipuler. Ou plus exactement : on n’en sait rien, mais on imagine que non. On imagine qu’elle subit la pression familiale. C’est là où des arguments sur l’aliénation de la femme peuvent se justifier. La femme a-t-elle subit une pression familiale ? C’est à la justice de trancher sur ce point.
En fin de compte, ce n’est pas l’aspect de "qualité essentielle" qui permet de critiquer le jugement. Cet aspect agit en trompe-l’œil. C’est celui de "mensonge" qui est central. Il semble évident, aux yeux de tous, que la femme n’a pas menti délibérément, mais sous la pression.
L’argument final
L’argument final, le seul qui tienne, est celui-ci : dans les faits, il n’y a pas eu de mensonge délibéré, mais un mensonge forcé. La liberté d’opinion garantit une chose : les jugements de valeur sur l’archaïsme d’une tradition n’ont pas lieu d’être cités en justice. Par contre, c’est la pression de cette même tradition sur une femme qui, elle, peut être dénoncée pour invalider ce jugement.
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