Quelle est donc la stratégie de Mme Cécilia Sarkozy ? Se protéger ?
Puisque toute relation d’information est stratégique, surtout quand elle est publique, il est plus grave de le nier que de se tromper sur la stratégie en jeu. C’est pourquoi la procédure judiciaire engagée par Mme Sarkozy pour tenter d’obtenir la saisie d’un livre la concernant, intrigue.
Un choix de procédure surprenant
Plusieurs de ses conduites surprennent en effet.
1- On est d’abord étonné par le motif invoqué, une atteinte à l’intimité de la vie privée protégée par l’article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privé. » Ce n’est pas que les propos qui lui soient prêtés ne relèvent pas du domaine privé. Au contraire, elle offre de son ex-mari une image qui lui est apparue au cours de ses dix-huit ans de vie conjugale et familiale. En ce sens, c’est bien le droit au respect de la vie privée qui paraît méconnu.
Mais le portrait qu’elle dresse de son ex-mari n’a rien à voir avec l’autoportrait qu’il a offert de lui au cours de sa conférence de presse, le 8 janvier dernier. Il se présentait comme un homme digne et vertueux, affichant humilité et franchise, même si c’était avec superbe et dissimulation. Elle livre, au contraire, l’image d’un individu méprisable, un monstre d’égoïsme et un bouc de luxure qui « n’aime personne », et à qui elle dénie en plus toute dignité et toute stature pour « habiter la fonction » de président de la République, comme il aimait à dire pour expliquer ses quelques jours de vacances après l’élection sur un yacht au large de Malte. Et, à en croire son ex-épouse, son entourage de parvenus ne vaut pas plus cher, « une bande malfaisante », tranche-t-elle !
Sans doute faut-il replacer ces propos dans le contexte douloureux d’un divorce : il n’est pas rare qu’on cherche à salir son ex-conjoint. Et puis, « si nul n’est un grand homme pour son valet de chambre », il est peut-être aussi difficile de l’être pour son ex-épouse.
2- Tout de même, une telle atteinte à la réputation d’autrui ne méritait-elle pas une autre qualification pénale comme la diffamation ? Or, Mme Sarkozy n’en a rien fait. Elle s’est contentée de se plaindre d’une atteinte au droit au respect de la vie privée. Elle n’entend donc pas contester la validité des propos qui lui sont prêtés.
3- Ce pourrait, du moins, être cohérent avec la relation qu’elle paraît avoir entretenue avec la journaliste Anna Bitton, auteur du livre Cécilia, portrait. Mais on ne se confie pas ainsi à une journaliste pour le seul plaisir de se confier, ou alors on cherche quelqu’un d’autre. Pouvait-elle ignorer qu’elle donnait sciemment à son interlocutrice matière à rédiger un livre incendiaire ? Selon l’AFP, l’auteur est la première étonnée de « la réaction subite de Mme Cécilia Sarkozy » : « Le livre, explique-t-elle, se nourrit d’une longue relation entretenue depuis des années dans le cadre de mon travail de journaliste politique » (in NouvelObs.com du 11.01.2008).
4- On est encore surpris par un abandon en cours de procédure. Il a suffi qu’elle ait été déboutée en première instance pour qu’elle renonçât à faire appel. Sans doute, est-il allégué, la procédure en référé, destinée à faire cesser sur le champ un trouble à l’ordre public, est apparue comme inefficace : le livre était déjà vendu en un grand nombre d’exemplaires. Un succès en appel n’aurait rien changé. Le mal était fait. Mieux valait recentrer la défense sur une plainte au fond visant à obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subi. N’empêche ! Cette renonciation jette le soupçon sur une stratégie mal assurée qui ne pouvait manquer d’apparaître comme telle avant même d’être adoptée.
Une hypothèse cohérente, mais seulement une hypothèse
Tant de contradictions conduisent à imaginer une hypothèse, mais rien qu’une hypothèse faute de preuve. Elle a, du moins, pour elle le mérite de la vraisemblance comme celui de résoudre ces contradictions.
1- Les poursuites engagées contre le livre n’ont-elles pas eu pour but premier de valider les propos qu’il relate ? Faire valoir une atteinte au droit à la vie privée, mais non dénoncer des accusations diffamatoires, ne revient-il pas à faire passer l’information de la journaliste du statut d’ « information donnée », non crédible par définition, à celui d’ « information extorquée », plus crédible par définition. Cette information paraît, en effet, diffusée à l’insu et contre le gré de Mme Sarkozy, sinon elle ne protesterait pas aussi vigoureusement pour une raison évidente de nuisance à son égard. Nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire ! Mais prendre soin de ne pas la qualifier de diffamation équivaut à lui conférer un certificat de validité.
2- D’autre part, engager des poursuites contre un livre sur l’ex-première dame de France et surtout le faire savoir, n’est-ce pas la meilleure publicité à lui faire pour que le maximum d’acheteurs se précipitent avant son éventuelle interdiction ? Le réflexe de voyeurisme est, d’une part, activement stimulé : si Mme Sarkozy agit ainsi, se dit-on, c’est parce qu’elle a des secrets à cacher. L’envie de les connaître déclenche la pulsion d’achat. Et, d’autre part, le leurre de la prise de décision précipitée... précipite justement la décision d’achat. L’immobilier et la grande distribution sont familiers de la technique : « Vous êtes le 3e sur la liste à vous intéresser à cet appartement, glisse en passant l’agent au client intéressé pour paralyser sa raison et le livrer à son irrationalité, même s’il est le seul. Vous comprenez, ajoute-t-il, il est au premier qui signe ! » De même, « Y en aura-t-il jusqu’à ce soir ? » se demande dans ses annonces publicitaires le supermarché qui met en vente un lot d’appareils photo à moitié prix. Ici, la justice risque de retirer le livre de la vente : il n’y a pas une minute à perdre si on veut s’en procurer un !
3- La méthode présente en plus l’avantage d’apparaître comme innocente de toute mauvaise intention envers la personne que les propos relatés salissent. Un leurre par omission et substitution permet de faire porter la responsabilité du mal à la journaliste, en l’accusant d’avoir trahi une amitié : elle n’était pas autorisée à diffuser des secrets confiés sous le sceau de la confidence d’une relation amicale. Loin d’apparaître comme bourreau, on se drape dans l’innocence de la victime. La procédure judiciaire engagée apporte justement la preuve de sa bonne foi et de la trahison de la félonne à qui des dommages et intérêts seront même réclamés.
Il reste que l’absence de démenti par une plainte en diffamation appropriée donne toujours aux propos accusateurs relatés une fiabilité qui, par voie de conséquence, rend peu crédible le sérieux d’une autre procédure judiciaire déclenchée puis abandonnée. Ne faut-il pas alors chercher ailleurs les raisons d’un comportement dont la cohérence échappe ?
Selon NouvelObs.com déjà cité, « elle est déséquilibrée », aurait dit l’ami Brice Hortefeux en parlant de Mme Cécilia Sarkozy qui, pour lui, serait devenue « une bombe à retardement ». On ne vit pas, il est vrai, dans l’intimité d’un homme politique sans avoir partagé nombre de ses secrets. Est-ce donc ce qui fait que Mme Sarkozy, après son divorce, soit devenue un sujet de préoccupation ? Qu’adviendrait-il si elle se mettait à parler ? Or une bombe, ça se désamorce ou ça « se neutralise ». Mme Sarkozy n’est sûrement pas la dernière à y avoir songé ou à l’avoir craint. Sa stratégie de confidences à une journaliste - et quelles confidences ! - puis de poursuites contre son livre relatant ses confidences ne vise-t-elle pas d’abord à se protéger publiquement contre une éventuelle « neutralisation » ?
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