Réponse non-violente à l’article « La quête du sens dans un monde à la dérive » de Kookaburra, AgoraVox, 19 juin 2014
Il faut toujours saluer le texte d'une personne qui cherche à comprendre et prend le risque de se jeter à l'eau du déluge des questions absurdes et essentielles à la fois qui nous submergent un peu comme un bombardement préventif précédant un « débarquement »...
Donc nous le faisons très amicalement et sincèrement. Avant d'exposer quelques réserves et nuances sans prétention mais élémentaires, tellement qu'on prend souvent ceux qui les font pour des imbéciles, comme si l'on tenait leur vérité pour définitivement anéantie, sans tenir compte de leur capacité de « résistance ».
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« L’homme, ne serait-il que le plus évolué des mammifères, ou y a-t-il une différence essentielle qui le met au-dessus de tout animal ? »
Pourquoi y aurait-il une différence essentielle entre l'homme et l'animal qui fonderait une « supériorité » ? Pourquoi cette obsession de la supériorité humaine sur un frère d'existence ? Pour justifier une conduite partout arbitraire envers lui ?
Si l'homme a des qualités supérieures, ce n'est pas vis à vis de l'animal mais de lui-même, qui comprend, dans son espèce, le plus bas et le plus haut degré d'évolution. Et s'il « possède » des qualités supérieures, elles le sont en elles-mêmes. De plus, il ne peut – évidemment – que les partager avec les animaux qui en sont aussi « dotés ».
On voit une nuance ici, incidemment, entre deux mots : « posséder » qui suppose une maîtrise et « être doté », qui fait penser à une sorte de passivité ou inconscience qui fait peut-être, elle, plus justement nuance. Quant à savoir si cette nuance est positive ou négative dans un sens ou l'autre, là est la question : est-on supérieur de connaître ce qui fait « sa qualité supérieure » propre ?Absolument rien n'est moins sûr.
Que « nos croyances et règles morales soient déterminées par notre langue ou notre éducation » n'est jamais exact. Une culture n'est pas autodéterminée ni auto-centrée sauf dans le cas du matérialisme athée d'un humanisme « socialiste » anthropocentré que vous citez très bien, quand la société prétend fixer les valeurs supérieures intrinsèques. Le propre d'une valeur supérieure de sens est de ne pas être déterminée par l'esprit humain, mais d'ajuster celui-ci à un sens qui le dépasse infiniment, qu'il soit religieux ou scientifique d'ailleurs.
La « clarté de la liberté de choix humaine » n'est absolument pas prouvée sauf dans toute théorie aprioriste de cette liberté : elle n'est donnée que dans un état de nature heureux, s'il peut exister – tout près de celui des animaux, précisément – Cette « clarté de liberté de choix » est absolument contestable dans « l'état culturel » ou nous sommes tombés, un peu à cause de cet a priori « libéral libertaire » d'ailleurs, qui nous est imposé par notre « système d'éducation » dès la tendre enfance.
Il est plus que douteux que l'animal cherche le plaisir, s'il partage évidemment avec nous l'évitement naturel de la douleur. La recherche du plaisir est une « pathologie » purement humaine et culturelle, mystique. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne le connait pas.
Dire que notre raison nous indique que la vie a un sens est juste mais insuffisant, vu que ce qu'elle indique la dépasse naturellement et ce n'est donc pas la raison rationnelle qui permet cette juste indication. La justesse de l'indication n'a pas pour origine le sens qui nous permet de le supposer ou de le reconnaître.
Il y a d'autres « sens » que la raison intellectuelle honnête, « vérifiée » ou non déformée, qui nous permettent de conclure ou nous ouvrir aux dimensions sans mesure rationnelle qui la dépassent. Il y a l'intuition, le sentiment, la sensation, la conviction, l'imagination, la « vision », et encore la « présence » du monde, la souffrance, la maladie et le désespoir surmontés (...) d'un monde dont nous savons que nous ne ferons jamais « le tour ».
« L'étincelle de l'absolu » ne nous élève nullement « au dessus de la condition animale » mais au dessus de nous-mêmes : ce qui a toujours tenté de nous assimiler à une condition animale, c'est un matérialisme privé d'autre référence que l'animalité réduite à la raison biologique de ses « mécanismes » – ce qui d'ailleurs n'a rien à voir avec l'animalité et son sens supérieur de la vie – sens qui ne peut que nous échapper, à partir du moment où nous cherchons à nier le lien qui nous unit à l'animalité comme partie du monde, et à nous en servir comme d'une sorte de marche-pied ou de paillasson pour une humanité soit-disant meilleur que nature (du surnaturalisme humaniste au transhumanisme « comparatistes »).
L'absolu n'a rien à voir avec le doute métaphysique : la révolte métaphysique a toujours remis en question les matérialismes dans leur utopie criminelle de principe débouchant sur l'absurdité existentialiste d'un monde privé de sens. Le matérialisme n'admet rien au delà de lui-même – comme force brute sans âme ni but autre que la triste mécanique hédoniste et la cruelle théorie de sa logique fascisante. En ce sens il n'y a pas de quête pur de sens mais une pure quête de retour au sens, ce qui n'est pas pareil.
Les matérialistes sont les pires des obscurantistes : ils croient qu'ils ne croient en rien et sont prêts au pire terrorisme intellectuel et moral pour imposer ce dogme nihiliste à une humanité déracinée. Si les matérialismes peuvent être remis en question, ce n'est certainement pas à partir d'un doute et encore moins méthodique. Ce serait plutôt l'inverse.
L'angoisse du doute ne concerne pas les idéalistes mais les matérialistes idéalistes, ce qui n'est pas la même chose, l'idéalisme matérialiste comme illusion romantique décadente dans un monde ruiné par le doute, la méfiance, le mépris et la haine intellectuels de soi du nihilisme théorique et pratique, qui ne sont que la face émergente du totalitarisme de la puissance dominante de ce monde.
« Le rêve d'être soi-même son propre recommencement » est la pire des croyance, le plus bas des mythes et le plus stupide des mensonges, la pire des mystiques : c'est une mystique noire, cruelle et sanglante, comme le nazisme. Le moralisme protestant et le puritanisme narcissique révisionniste n'y changeront rien – même enrobés de jeunisme bobo-yankee, de matriarcat chamanique ou transcendantal new-âge, freudo-marxiste ou libéral libertaire, de tout accoutrement contre-culturel ou néo-conservateur geer ou pas. Le soi n'est pas un plaisir sadien.
La transcendance n'est pas un jeu vidéo ou un jeu de rôle intellectuel. Elle ne « s'espère » pas, elle se trouve au bout d'un long combat contre soi-même, dans l'évitement même du suicide que nous tend le matérialisme exterminateur dans l'absurdité piégée de ses dimensions cachées.
La philosophie seule en tant que seule philosophie est inapte à fournir quelque réponse que ce soit : elle ne peut que nier, dans le doute qu'elle s'impose négativement à elles-même, ce qu'elle ne se donne pas les moyens de comprendre. Renvoyer dos à dos une négation pure et une affirmation pure est une faute qui ne pardonne pas, par delà le charme discret mais destructeur des séductions dialectiques. La quête du sens n'est pas un raisonnement scolaire ou pire, une thèse universitaire. L'orthodoxie ne garantit rien que la plus basse soumission administrative. La vérité est ailleurs.
Les apprentis-bouddhistes n'ont aucune raison de se comporter autrement que les apprentis-sorciers occidentaux : une vérité qui se détermine et se termine dans et au présent pur ne peut rien « devenir » et n'est pas digne d'éternité. Le souci angoissé de soi n'est qu'une conséquence de la négation égoïste du monde et de sa transcendance, ici comme ailleurs, aujourd'hui comme avant.
Évidemment, tout ceci va de soi, mais ça va beaucoup mieux en le disant sans rien interdire au nom de liberté intellectuelle, implicitement ou pas. Merci donc encore pour cet article intéressant et pour ce occasion de hurler dans le silence que la vie ne sera jamais une somme nulle et qu'elle n'a pas de comptes à rendre au tribunal des idées installé dans nos tête de turcs immigrées de l'intérieur d'un monde défoncé.
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