Sur le projet de réforme du divorce
Toujours dans la droite lignée de créer une justice à deux vitesses, rapide pour les plus riches et tortueuse pour les plus pauvres, le gouvernement prévoit désormais de réformer la procédure du divorce par consentement mutuel. Après avoir supprimé les tribunaux d’instance des régions économiquement les plus fragiles, après avoir renié l’idée d’une justice de proximité avec ses citoyens, le gouvernement continue de s’attaquer aux plus défavorisés par ce projet de réforme du divorce.
De quoi s’agit-il ?
Il faut savoir tout d’abord qu’il existe quatre types de divorce : le divorce par consentement mutuel, le divorce pour altération du lien conjugal, le divorce accepté et le divorce pour faute, et que pour chacun d’eux la présence d’un avocat est obligatoire. Par ailleurs, tous les divorces supposent la présence et le contrôle obligatoires du juge. A l’heure actuelle, la tâche est dévolue au juge aux affaires familiales. Le divorce par consentement mutuel se distingue des autres par le fait que, pour ce divorce, il y a un accord préalable entre les époux sur tous les points, absolument tous. C’est a priori cette dernière sorte de divorce qui devrait être réformée. Le gouvernement supprimerait, pour des raisons de célérité et d’économie, l’avocat et le juge, en cas d’accord sur la résidence des enfants, le droit de visite et d’hébergement, la pension alimentaire au titre du devoir de secours, la liquidation de la communauté, et ferait prononcer le divorce par le notaire.
Cette nouvelle procédure serait ainsi, nous dit-on, moins chère et plus rapide. Mais moins chère et plus rapide pour qui ? Certainement pas pour les citoyens ! Pourquoi ?
Parce qu’aujourd’hui divorcer est gratuit ou très peu coûteux pour une grande partie des justiciables qui gagnent entre 0 et 1 200 €, et ce, grâce à l’aide juridictionnelle. Ce système, élaboré et amélioré au fil des années pour garantir davantage d’équité sociale, permet aux plus démunis de voir leurs frais de justice totalement pris en charge en cas d’aide juridictionnelle totale, partiellement en cas d’aide juridictionnelle partielle, selon un barème fixé à l’avance. Tandis que, bien évidemment, le notaire, qui n’est pas un philanthrope, mais un homme de loi, se fera payer cette prestation supplémentaire à son tarif habituel, qui est très élevé. Car n’oublions pas que la profession d’avocat est la seule à accepter de supporter l’aide juridictionnelle totale et partielle ; pas la profession des notaires. Dès lors, pour un grand nombre de justiciables, plus précisément les justiciables les moins riches, le divorce par consentement mutuel, qui était gratuit, deviendra payant.
Cette
proposition fait partie des nombreuses fausses bonnes idées du gouvernement.
Conceptuellement intéressante, elle deviendra vite une usine à gaz dans sa
réalisation. En cas de divorce, quelles démarches devront ainsi suivre les
citoyens ? Devront-ils aller voir l’avocat ou le notaire ? Comment
passeront-ils d’un divorce par consentement mutuel à un divorce dit « accepté », ce
qui arrive souvent ?
De plus, si ce projet de nouvelle loi sur le divorce passe, on assistera à un véritable blocage à tous les niveaux de cette procédure, et il ne sera quasiment plus possible de divorcer en France par consentement mutuel. Pourquoi ? Parce que les cabinets des notaires sont déjà très embouteillés, et le seront encore davantage, s’il en était besoin. Ces procédures de divorce, à l’heure actuelle traitées par des milliers d’avocats et des centaines de magistrats, arriveront donc pêle-mêle sur les bureaux des notaires que ces derniers ne pourront pas assumer.
Enfin, dernière difficulté, le pouvoir s’attaque une nouvelle fois à cette autorité judiciaire, qui lui fait si peur ; et cela, pour les droits des plus faibles que notre justice se doit de protéger, c’est particulièrement ennuyeux. Pourquoi ?
Parce que la présence du juge permet de s’assurer qu’un époux n’a pas tiré avantage sur son conjoint par son habileté, son entregent, en lui imposant par la force un divorce qui le défavorise, ou dont il ne veut pas ; on imagine facilement l’époux ou pourquoi pas, car nous le voyons de plus en plus souvent, l’épouse manipuler son conjoint en lui faisant croire que les textes de loi prescrivent des obligations qui ne sont pas forcément à sa charge ou, au contraire, qui le sont, lui faisant croire que la prestation compensatoire n’est pas due par exemple ; ou lui faisant croire que la SARL dans laquelle l’autre est associé, même s’il n’y a jamais travaillé, n’est pas un bien de communauté, ou lui imposant par sa prestance des clauses abusives, telles que l’interdiction de se déplacer dans une autre région, ou de quitter le domicile conjugal avec les enfants ; n’oublions pas que le divorce est une période particulièrement douloureuse, et que l’un des époux peut se retrouver dans une grande faiblesse psychologique, qui peut l’amener à signer n’importe quoi, par désespoir, ou parce qu’il espère toujours au fond de lui que, de cette façon, son conjoint va lui revenir. Le juge aux affaires familiales est à l’heure actuelle un garde-fou très efficace, car il épluche les conventions, s’assure que les deux époux ont bien compris la portée de leurs engagements, que leur avis est libre et éclairé, qu’il n’y a pas de déséquilibre entre eux qui ne soit compensé, et que les enfants sont bien protégés et traités. A cet égard la loi fait obligation au juge de s’assurer que les conventions des époux ont bien inclus une attestation sur l’honneur, dans laquelle les deux parents indiquent avoir informé leurs enfants de la possibilité qui est offerte à ces derniers d’être auditionnés par le juge. Et assurément, dans ce nouveau projet, on ne parle pas assez des enfants. Et, les notaires n’ont ni la formation des juges, ni la formation des avocats pour cette tâche difficile qui consiste à écouter un enfant ; ils ne savent non seulement pas écouter les enfants, mais encore moins apprécier leurs intérêts, puisqu’ils n’ont pas reçu la formation adéquate. Les notaires sont tournés exclusivement vers le secteur patrimonial, c’est-à-dire, l’argent, les biens. Cependant le divorce ne peut se réduire à une simple formalité administrative et se laisser traiter exclusivement par un professionnel des questions patrimoniales. Le divorce est bien plus qu’un simple contrat que l’on déchire quand on en a assez. Parce que le mariage, auquel personne n’est obligé de recourir, est bien plus qu’un engagement ou qu’un bout de papier se limitant à de simples obligations administratives ou/et financières. Il est un engagement non seulement de soi, mais des enfants qui le prolongent, et dont la société se doit d’assurer la protection. Et quelle est l’institution suffisamment neutre pour le permettre, si ce n’est l’autorité judiciaire ? D’aucuns diront que c’est une marque de défiance à l’égard des parents ; il leur sera répondu, non, mais la confiance n’exclut pas le contrôle.
On assiste donc à une tentative de privatisation de la justice, les notaires étant des personnes privées, et à une tentative d’abandon du service public de la justice. Cela donne l’impression que le pouvoir a peur de ses juges, et qu’il fait tout, sous les prétextes les plus divers, pour les réduire au néant, en enlevant au petit bonheur la chance des juridictions de-ci de-là, en refusant de recruter, avec l’extension des juridictions à juge unique au lieu et place des juridictions collégiales, etc., en bref, en refusant d’investir normalement en hommes et matériels pour avoir le service public de haute qualité auquel les justiciables du « pays des droits de l’homme » ont droit.
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