Une autre lecture des 35 h
Je me souviens qu’en 2000 l’idée était séduisante, réduire la durée légale du temps de travail afin de partager l’excédent pour les chercheurs d’emplois qui n’avaient pas de boulot.
Cela fait maintenant cinq ans que nous appliquons bon gré, mal gré cette loi, plus ou moins contraints et forcés.
Cette loi a-t-elle réduit les délocalisations, fait diminuer significativement le nombre de chômeurs, je ne pense pas (ne parlons pas de la diminution artificielle du chômage provoquée par les emplois aidés de type emplois-jeunes.)
Nous bénéficions tout de même de 15 jours supplémentaires, ce qui est assez appréciable.
Du coup, nous bricolons plus, c’est bien pour les marchands de bricolage.
Sinon, les 35 h ont bénéficié à un secteur que l’on ne connaît pas beaucoup, ce sont les entreprises de prestation de services.
En effet, afin ne pas augmenter la masse salariale et s’attirer ainsi les foudres des actionnaires, car nous aurons dépassé le ratio marge brute / masse salariale, nous « embauchons » des prestataires de services, qui passent dans les frais généraux, ou autre, en fonction de votre contrôleur de gestion.
Ce sont des boîtes d’intérim haut de gamme qui emploient des mercenaires qui n’ont aucun scrupule à naviguer d’un concurrent à l’autre (pratique très répandue chez nos constructeurs automobiles entre autres).
En fait, ce ne sont ni les DRH, ni les chefs de service, ni encore les responsables de production qui ne veulent pas embaucher, ce sont les contrôleurs de gestion qui, pour le respect des standards et autre indicateurs financiers des actionnaires, refusent toute nouvelle embauche, alors que finalement employer ces personnes en CDI reviendrait beaucoup moins cher ; il en va de même pour les ouvriers employés en intérim.
Quelqu’un pourrait-il expliquer cela à nos actionnaires ?
D’un côté vous avez de superbes tableaux de bord qui respectent les objectifs définis, mais d’un autre, on ne regarde pas les conséquences que sont :
- les surcoûts de salaires
- les difficultés des managers à former et reformer continuellement d’autres ouvriers toutes les semaines car vous changez sans arrêt d’intérimaires
- les conséquences en termes de qualité produit et donc le coût des incidents qualités
- la précarité des intérimaires qui souvent préfèrent rester intérimaires car ils gagnent plus qu’en étant embauchés en CDI
Vous me direz, et les 35 h, dans tout ça ? Eh bien, en dehors des effets bien connus que je ne rappellerai pas, évoqués ci-dessus, nous avons développé la productivité.
Comment faire en 35 h ce que je faisais avant en 39 h ? Puis en y réfléchissant bien, je m’aperçois que nous sommes capables de le faire en 30 h, mais c’est génial, merci.
Marie-Laure, grâce à ta loi sur la réduction du temps de travail, je viens de gagner plus de 20% de productivité. Je vais pouvoir me débarrasser de mes CDD et prendre un minimum d’intérimaires.
C’est aussi une des conséquences des 35 h, en France, nous sommes devenus très bons en productivité. Et une fois que vous aurez bien rôdé et essoré la machine, eh bien il ne vous restera plus qu’à transférer votre production dans un pays low-cost.
Aujourd’hui, certains constructeurs automobiles sont en train de faire marche arrière, car leurs délais d’approvisionnement ne sont plus si sûrs, et le coût des carburants, évoluant à la hausse, encourage moins à délocaliser les usines des sous-traitants de rang 1.
En conclusion, l’idée de départ, qui consistait à raisonner en volume global d’heures de travail, ne me paraît plus si bonne que cela.
Les fonctionnaires sont passés aux 35 h, et l’Etat réduit leur nombre tous les ans, l’Etat applique donc la même politique de restriction que le privé, il rationalise, fait faire des audits et taille dans le vif, ou le gras, au choix.
On pourrait alors envisager de diminuer les charges salariales et patronales aurait un effet bénéfique sur notre croissance, sur notre désir de consommation, cela ne coûterait rien aux entreprises, elles pourraient peut-être embaucher, mais dans un premier temps elles augmenteraient les fameux ratios de nos actionnaires, ceux-ci se diraient, « y a bon là, c’est une société rentable, ben tiens nous allons continuer à investir dedans ».
Quand un actionnaire commence à injecter de l’argent dans votre business, c’est très intéressant, car il est prêt à vous suivre dans votre développement.
Évidemment cela ne se fera pas en trente secondes, mais bon, nous avons le droit d’espérer.
Ah oui,j’oubliais, il y a quand même un petit hic, si l’on peut dire, avec l’option réduction de charges pour tout le monde, finalement c’est l’Etat qui sera moins riche, et s’il est moins riche et que sa dette continue de progresser vers le bas, nous sortirons mécaniquement du pacte de stabilité de l’euro.
Mon dieu, comment allons nous faire ?
En conclusion, je ne pense pas qu’il y ait de solution idéale, nous devrons faire des sacrifices et des efforts.
Et c’est là que nos dirigeants politiques, nos chers énarques, rentrent en jeu, c’est à eux et à leurs super groupes de travail pleins d’idées de nous trouver les solutions le moins douloureuses et le plus efficaces.
Pour cela, il faudrait qu’il aient le courage politique de dire :
Nous allons avoir mal pendant quelque temps, ça va être dur, mais nous vous sortirons de ce marasme, de ce spleen économique, oui, on va vous guider, et surtout on va vous expliquer comment faire, et pourquoi notre méthode est la bonne."
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