Vendredi on rase gratis
Qu’ils soient employés ou patrons, ils travaillent tous gratuitement pendant au moins un jour par semaine, pour le captal. On le savait déjà, du moins depuis que le philosophe Karl Marx avait découvert le pot aux roses, mais maintenant c’est une expérience islandaise grandeur nature qui le démontre.

Pendant la durée de l’expérience, entre 2015 et 2019, les 2,500 fonctionnaires de la ville de Reykjavik avaient successivement réduit leur temps de travail de cinq à quatre jours par semaine, tout en préservant le niveau de leurs salaires. Fait significatif, le niveau de la productivité s’est légèrement amélioré, dû aux effets positifs sur la santé physique et psychique des employés.
Ce n’est bien-sûr pas un hasard que cette expérience a été mise à exécution dans la fonction publique, car, contrairement au secteur privé, le secteur public paie ses salariés l’équivalent de leur productivité, n’ayant pas à tenir compte du coût du capital, sauf au cas où il serait forcé d’emprunter aux banques pour combler un déficit budgétaire, causé éventuellement par une politique fiscale, favorisant le capital plutôt que le travail.
L’économiste britannique John Maynard Keynes, « co-architecte » de notre système économique et monétaire, concocté en 1944 par les Etats-Unis et la Grande Bretagne dans la station de ski huppée de « Bretton Woods », prédisait déjà que l’humanité finira par travailler quinze heures par semaine seulement, grâce au progrès. Il avait bien-sûr raison, en théorie du moins. Seulement, il a dû être un des seuls savants de sa profession à ne pas considérer le capitalisme comme une fin en soi.
On en veut pour preuve l’énorme succès en librairie du dernier livre, paru en 2018, de l’anthropologue et militant anarchiste américain, David Graeber, « bullshit jobs », maître de conférences à la « London School of Economics » jusqu’à sa mort l’année passée, ouvrage dans lequel il met à nu l’inefficacité du monde du travail contemporain et la fable propagandiste des milieux économiques et universitaires de la notion de la productivité.
Marx faisait déjà une distinction entre main d’œuvre productive et main d’œuvre improductive. Le capital, faisant appel à une main d’œuvre productive, dans le but d’extraire une plus-value, a également besoin, dans le but de maintenir une administration cohérente, de compétences, indirectement liées à la production, de facto non-profitables.
Dans une économie de plus en plus automatisée, grâce au progrès technologique, la part de la main d’œuvre productive a tendance à diminuer et celle de la main d’œuvre improductive à augmenter, donnant libre cours à la prolifération d’une bureaucratie tentaculaire, du style des régimes communistes, ce qui du point de vue de la profitabilité du capital investi pose problème. Le manque à gagner qui en résulte, le captal le récupère dans les marchés financiers, continuellement alimentés à cette fin par les banques centrales et les banques commerciales, par des moyens, dépassant largement la valeur réelle produite par l’économie.
En d’autres termes il y a de moins en moins de gens qui travaillent réellement et le but de les maintenir au travail est autre que celui de garantir la productivité de l’économie.
Sur une question au sujet d’une éventuelle assurance maladie publique pour tous les américains, l’ancien président Barack Obama, répondit : « Mais, que ferions-nous de ces millions de gens qui travaillent actuellement pour les compagnies d’assurance privées » admettant implicitement que l’enjeu n’est pas tant l’amélioration de l’efficacité du système de santé ni celle de l’économie per se, mais plutôt le souci de garder les gens au travail, id sous-contrôle. En effet, une population qui disposerait de suffisamment de temps pour méditer sur le sens de son existence constituerait une menace pour le système ?
Toujours est-il, la part productive de la main d’œuvre étant successivement remplacée par des machines, elle continuera tout de même à produire des surplus, au détriment de l’environnement, pour générer encore des profits pour le capital investi, pendant que de plus en plus d’emplois se créent dans la bureaucratie, nécessitant de nouvelles formations, parfaitement inutiles, dans les domaines du droit commercial, la finance et le marketing, pour ne nommer que quelques-uns, dans le seul but de garder les gens au travail.
Pour sa survie, le capitalisme doit s’adapter, et il le fait avec une résilience remarquable, comme il l’a prouvé à maintes reprises à travers sa brève Histoire. Pour surmonter la baisse du pouvoir d’achat, dû au transfert des gains de productivité vers le capital, il a inventé le crédit, le crédit à la consommation en l’occurrence, créant, notamment aux Etats-Unis, le berceau du capitalisme dérégulé, mais également, dans une moindre mesure dans le reste du monde occidental, un niveau d’endettement historique. L’endettement exorbitant des ménages, conjuguant simultanément avec celui des entreprises et de l’état, font que la marge de manœuvre conjoncturelle par les pouvoirs publics est quasiment réduite à néant, malgré les prévisions optimistes que font miroiter les « experts » actuellement pour anesthésier l’opinion publique.
Les temps où les Etats-Unis gardaient dans leur trésor à la célèbre base militaire de Fort Knox une quantité d’or suffisante pour permettre à la terre entière d’échanger des dollars contre le précieux métal à un prix fixe sont révolus depuis la levée de la convertibilité du dollar en or par le Président Richard Nixon en 1971. Ayant réglé la note du coût exorbitant de la guerre du Vietnam par la création monétaire, le reste du monde commençait à douter de la solvabilité des Etats-Unis. Certes, l’or, comme n’importe quelle autre denrée, n’ayant qu’une valeur subjective la valeur de la monnaie en circulation devrait plutôt représenter la valeur des produits et services générés par l’économie. Seulement, quand elle représente un multiple de l’économie réelle, ce qui est le cas actuellement, le pouvoir d’achat, crée par les gains de productivité, est ainsi délibérément anéanti.
Pour ces raisons, le fait que l’humanité cherche actuellement à venir à bout des dégâts environnementaux irréversibles en se servant des recettes d’une idéologie qui les a occasionnés, est tout aussi absurde que de pointer du doigt les milliardaires et les entreprises multinationales pour ne pas s’acquittent de leurs impôts.
Le capitalisme se trouve en phase terminale et ce qui suivra s’appellera autrement.
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