L’ère technologique à l’épreuve du dogme : une société vulnérable
Les nouvelles technologies induisent-elles une mutation de la civilisation la dotant de sécurités collectives supplémentaires ou, au contraire, lui conférant une fragilité croissante ?
Certains essayistes, parmi les plus visionnaires et les plus audacieux, n’hésitent pas à décliner la vie quotidienne d’une certaine humanité des années 2025 à 2050 en termes de communications numériques ininterrompues entre toutes les classes créatives. Le cadre fusionnel de nos actuelles téléphonie, radio, télévision et informatique-internet - dotées d’instruments tels HSDPA, WiBro, WiFi et autre WiMax, probablement enrichis de nouveaux médias - devrait devenir le siège de l’activité de cette future agora.
Dans vingt à trente ans, les industries de l’assurance et de la distraction devraient dominer une socio-économie solidarisée en réseaux virtuels et matériels, dans laquelle on ne parviendra plus à distinguer les activités de divertissement de celles de la communication et de celles de la création des richesses culturelles, marchandes et industrielles. Non seulement la densité des activités privées et/ou professionnelles de la nouvelle société devrait s’en trouver sensiblement accrue, mais elle devrait atteindre une population en progression quasi exponentielle à travers le monde. Considérant que l’accroissement tendanciel du PIB mondial devrait être de l’ordre de 80 %, à l’horizon 2025, pareil scénario est assurément prometteur d’un supplément de prospérité sans doute inégalement réparti, en tout cas de nature à atténuer significativement la misère du monde...
Sauf que la source unique de l’influx sensoriel et de l’influx moteur de ce frénétique organisme sociétal demeurera, plus que jamais, la production électro-énergétique. Aujourd’hui, de prégnantes exigences climatiques prescrivent à cette dernière de conquérir tout ou partie de certains secteurs industriels comme les transports, renforçant le caractère vital qu’on lui pressent dans l’avenir.
Une majorité de lecteurs ne soupçonnent probablement pas que chaque seconde de la fiévreuse activité de nos sociétés est à la merci d’un équilibre, par nature précaire, dont l’entretien requiert une vigilance professionnelle de tous les instants : l’équilibre « production-consommation » d’électricité. Ils n’imaginent sans doute pas davantage que, le temps d’une brève manœuvre de disjonction, la rupture irréversible de cet équilibre a le pouvoir exorbitant de faire reculer la civilisation... de plusieurs siècles ! Jusqu’à maintenant, ce redoutable voyage dans le temps a rarement excédé la semaine ; New-Yorkais et Californiens, détenteurs de records guère enviables, peuvent en témoigner. Mais, on imagine aisément une physionomie économique et sociale désormais cadencée à la fréquence électrique, confrontée au prolongement, sur plusieurs semaines, d’un black-out national comme celui du 10 décembre 1978.
De nos jours, compte tenu des dispositions techniques « post 10/12/78 », un tel black-out affecterait l’Europe entière. Voilà précisément tout juste quelques mois, celle-ci a bel et bien senti « le vent du boulet » de la panne électrique généralisée. De surcroît, on a toutes les raisons de craindre que cet incident ne soit le signe avant-coureur d’une ère de très grande instabilité électro-énergétique, hélas, appelée à durer, sinon à s’aggraver avec le temps. L’origine de l’incident est à chercher, au moins en partie, dans l’irresponsable politique énergétique d’outre-Rhin se jouant, avec une grande désinvolture, du devoir de solidarité continentale en la matière.
Pourquoi en est-on arrivé là ? Parce que, depuis plusieurs années maintenant, l’idéologie est parvenue à contaminer un domaine intellectuel dans lequel elle n’a pas sa place : celui de la rigueur scientifique et technique déterminant celui de l’usage rationnel des ressources collectives. Le potentiel électro-énergétique européen en est tellement atteint que, si rien de pertinent n’est fait de toute urgence, une à deux décennies pourraient bien être nécessaires à le rétablir dans la douleur. Le PDG d’EDF, Pierre Gadonneix, a beau clamer haut et fort qu’il faudra construire, en Europe, une capacité de 600 Gigawatts (600 milliards de watts) - soit « six fois le parc français actuel de 58 centrales nucléaires » -, en trente ans, pour satisfaire une croissance galopante de la consommation d’énergie, aucun écho ne lui parvient d’un partenariat européen manifestement autiste. C’est que - n’ayons pas peur des mots - l’idéologie, qui y triomphe, y a principalement été propagée par deux de ses éléments : l’Allemagne et l’Espagne. Nous devons à la promotion de leur désastreuse politique énergétique (20 Gigawatts éoliens allemands - la puissance de 20 tranches nucléaires - ne couvrent que 5 % de la consommation nationale !) une sous-capacité de production communautaire, que l’ensemble des Européens n’ont pas fini de payer.
La mise en regard des aptitudes technologiques à la production électrique de divers instruments avec les besoins mondiaux émergents est pourtant de nature à démystifier le plus simplement du monde une logorrhée écolo-politique dont on a le plus grand mal à comprendre qu’elle parvienne encore à dévoyer des membres de la communauté scientifique.
Quels que soient les progrès de la recherche, énergies photovoltaïque et éolienne réunies ne seront, en moyenne, jamais capables de mettre à disposition permanente plus d’une douzaine de Mégawatts (millions de watts) au km2 instrumenté, c’est-à-dire définitivement neutralisé pour tout autre usage, y compris agricole. Or, dans moins de vingt ans, plus d’un milliard de points de distribution domestiques et professionnels supplémentaires devraient être alimentés en Amérique latine, en Afrique du Nord et dans tout le sous-continent Sud-Est asiatique. Les économies émergentes de ces régions auront alors fait croître de moitié le revenu moyen de chaque habitant de la planète. On imagine difficilement qu’une majorité de ces nouveaux consommateurs - sans doute « numérisés » et épris de confort domestique - n’exigent pas la mise à disposition individuelle d’au moins un Kilowatt électrique permanent. Au total, c’est une capacité de production de quelque 1500 tranches nucléaires que la nouvelle demande mondiale requiert sous vingt à trente ans... non compris la demande supplémentaire d’Amérique du Nord, d’Australie, de Russie et du Japon !
Dès lors, qui peut encore sérieusement soutenir que, dans un quart de siècle, il sera possible de substituer à ce nécessaire potentiel de production d’au moins 2000 tranches nucléaires une capacité éolienne, photovoltaïque et même bio-massique équivalente... sans le secours massif du charbon et du gaz ? Quand bien même on ne sait quel ubuesque pouvoir transnational s’obstinerait à instrumenter les centaines de milliers de km2 de territoires requis, comment parviendrait-il à financer un projet aussi pharaonique et, surtout, la compétitivité commerciale de ses innombrables ouvrages de production ? Où trouverait-il des ingénieurs et des techniciens assez fous pour prendre en charge l’exploitation d’un système électrique dont on sait d’avance la redoutable instabilité chronique ? Et encore, le pire d’un tel dessein n’a pas été évoqué : le pire serait le saccage de vastes territoires supplémentaires par les millions de kilomètres de lignes électriques et d’installations relais en tout genre, que le drainage à une échelle aussi extravagante d’énergies trop diffuses exigerait sans conteste possible !
En France, ceux qui, prétendant s’affranchir de la rationalité commerciale continuent de revendiquer le renoncement de la nation à de considérables économies d’échelle - 1600 fois la production d’un Kilowatt instable et assisté coûtera toujours plus cher que la production de 1600 Kilowatts pérennes - doivent supporter, seuls, les conséquences financières de choix individuels, purement dogmatiques. Le temps est en effet venu, pour les pouvoirs publics, de les amener à s’y résoudre en abrogeant cet insane arrêté Cochet obligeant EDF à acheter, entre autres, l’électricité éolienne à un prix prohibitif. Plus personne n’ignore qu’il en va de la réalité des vertus écologiques et anti-CO2 de l’aérogénération comme de celle des armes de destruction massive irakiennes. Pourtant, ce n’est pas à cette grossière imposture intellectuelle, très facile à démystifier, que la loi Cochet doit le plus son caractère inique. Elle le doit bien davantage au fait que, distraire des ressources collectives considérables dans ce genre de gadgétisation industrielle, constitue un crime contre une sécurité d’approvisionnement essentielle pour la nation.
Car c’est une évidence criante que, non seulement le cœur des sociétés de demain promet d’être toujours plus électrique, mais se devra d’être toujours plus musclé et plus exempt de la plus éphémère défaillance. On devine aisément que la moindre arythmie d’un tel organe pourra causer de désastreuses lésions au futur corps social, que les conséquences du prolongement non maîtrisé de toute syncope y seront incalculables. Conscient de l’impressionnante vulnérabilité du bijou technologique auquel la vie des hommes est en train de s’inféoder, est-il bien responsable de confier son alimentation à la chiche et capricieuse prodigalité du vent et du soleil ?
Soyons confiants ! Le temps du triomphe d’une sagesse résignée est plus proche qu’on ne le croit. Elle énonce qu’avec les seuls charbon, gaz, pétrole et nucléaire, la société n’a et n’aura jamais, avant très longtemps, d’autre choix crédible pour son salut énergétique.
André PELLEN
35 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON