Réforme de la pension de réversion : une réforme contestable dans la réforme des retraites Delevoye
Résumé :
Par décret du 14 septembre 2017 le Président Macron a nommé Jean-Paul Delevoye haut-commissaire à la réforme des retraites avec pour mission d’élaborer un projet de réforme qui devrait être présenté au gouvernement pendant l’été 2019 Décret n° 2017-1328 du 11 septembre 2017.
Ce projet inclura une réforme de la pension de réversion selon un paradigme radicalement différent de celui que nous connaissons. A peine effleuré par la presse, très peu discuté avec les citoyens et en apparence anecdotique, ce changement de paradigme impactera considérablement la retraite des générations futures, et pour certains probablement plus que la réforme des retraites en elle-même.
L'article débute par une description générale du principe de la réversion telle qu'elle existe actuellement, puis il expose le nouveau principe retenu par Delevoye.
Ce nouveau paradigme devient difficilement acceptable car la réversion, dispositif qui restera exclusivement réservé aux veuves d'un mariage, est une prestation non contributive puisqu'elle est obtenue sans supplément de cotisations et qu'elle est financée par l'ensemble de la collectivité soit par les cotisations, soit par l'impôt, soit les deux.
Les discriminations entre les citoyens seront amplifiées et nous montrons qu'à l'horizon 2040, date du plein effet de la réforme Delevoye, et même avant, l'existence de la réversion est questionnable, car à cet échéance les femmes qui prendront leur retraite sont celles qui auront débuté dans les années 2000.
S'il est souhaitable que la collectivité se mobilise pour aider les plus pauvres, on peut difficilement admettre qu'elle se mobilise aux fins de maintenir le niveau de vie d'une veuve qui bénéficierait déjà d'une pension personnelle supérieure à celle que perçoivent en moyenne les retraités.
La pension de réversion risque donc de devenir un régime spécial de la conjugalité dans lequel il serait possible d'obtenir des droits à la retraite sans liens avec le travail du bénéficiaire, alors même que l'on vise à supprimer les régimes spéciaux de retraite qui eux au moins ont quelque chose à voir avec le travail.

La réversion késako ?
En l’état actuel de la législation, le principe général de la réversion consiste à attribuer au conjoint survivant d’un couple marié, et sous certaines conditions de revenu et de non remariage, une partie de la pension que le défunt percevait au moment de son décès. Dans le régime de base, la réversion est soumise à une conditionde revenus. Dans les complémentaires AGIRC-ARRCO, elle est soumise à une condition de non remariage : le remariage implique la suppression du la réversion. Dans la fonction publique la réversion est suspendue en cas de remariage, PACS ou concubinage.
La réversion coûte 36 milliards d’Euros par an au système de retraite, soit environ 10% du budget total des retraites.
Historiquement, elle a d'abord été accordée au conjoint du fonctionnaire décédé. Après la guerre, cet avantage conjugal de retraite, la réversion, a été généralisé à l'ensemble des assurés sociaux au moment de la naissance de la Sécurité Sociale.
Conçue dans une société aux mœurs normés, la réversion faisait écho au modèle dit « Pétainiste » de la famille. La femme à la maison, l'homme au travail. La vie en couple conditionnée au mariage, pas d'enfant hors mariage au point d'appeler "enfants illégitimes" les enfants de l'adultère et de différentier leurs droits de ceux nés dans le cadre du mariage.
Sans réversion, la femme serait tombée dans la pauvreté au décès de son mari. Minimum contributif, minimum vieillesse, APL, APA n'existaient pas. Allocations pour garde d'enfants, crèches, etc. n'existaient pas, les semaines de travail duraient 44 heures. Il était difficile et même impossible de concilier vie professionnelle et vie familiale.
La réforme de la réversion vue par Monsieur Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites :
Nous le savons à peu près tous, Macron a décidé de lancer une réforme des retraite avec le slogan racoleur :
« 1 Euro cotisé vaudra les mêmes droits quel que soit le statut de la personne qui a cotisé, quel que soit le moment où il a été cotisé ».
A l’occasion de cette réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye prévoit une réforme de la pension de réversion. En l’état actuel des informations distillées par celui-ci, la réversion obéirait à un nouveau paradigme dont la philosophie serait radicalement différente de celle que nous connaissons :
- Au décès de son conjoint, le survivant percevrait au plus 66% de la somme des 2 pensions.
- Si sa pension personnelle était supérieure à cette valeur, le survivant ne percevrait aucune réversion. Si elle était inférieure, il percevrait une réversion à concurrence de cette valeur.
- Il n’y aurait plus de condition de revenu universelle mais plutôt une condition de revenus particulière à chaque ménage : 66% de la somme des deux pensions.
- La bénéficiaire conserverait la réversion même en cas de remariages successifs.
- Les PACSés et les concubins demeureraient exclus de la réversion.
Si le pourcentage de 66% pourrait évoluer, le principe énoncé ci dessus est arrêté.
Le financement de la réversion :
Fondamentalement, la réversion est une prestation non contributive car elle est obtenue sans supplément de cotisation : qu’il soit marié ou pas l’assuré paie exactement les mêmes cotisations retraite.
Elle n’a aucun lien avec le travail du bénéficiaire, la seule condition pour y être éligible est le mariage.
La réversion est financée par l’ensemble de la collectivité et l’on peut même dire que les mariés sont ceux qui la financent le moins. En effet, le système de retraite est financé par l’impôt à concurrence d’environ 20% de ses besoins, or les mariés bénéficient du quotient conjugal. Par conséquent la somme des impôts payés par deux personnes célibataires ou en concubinage est statistiquement supérieure à la somme des impôts payés par deux personnes mariées lorsque leurs revenus personnels sont différents.
On le voit, une majorité des personnes qui financent la réversion à la fois par leurs cotisations et leurs impôts n’en verront jamais la couleur.
- Les hommes mariés financent la réversion mais n’en n’auront généralement pas car l’espérance de vie des hommes est inférieure à celle des femmes.
- Les PACSés financent la réversion mais en sont exclus.
- Les concubins financent la réversion alors qu’ils en sont exclus.
- Les célibataires financent la réversion mais la réversion ne les concerne pas.
Pour illustrer le projet de réforme, prenons quelques exemples :
- Le cas de Sophie et Jean :
Sophie et Jean forment ce que l’on appelle un couple homogame. Tous deux anciens cadres supérieurs de haut niveau ils touchent chacun une retraite de 6000 Euros/mois (si si ça existe). Avec la réforme Delevoye, au décès de Jean on calcule un seuil de réversion interne au ménage S = 0,66x(6000+6000) = 7920. Comme la pension personnelle de Sophie « n’est que de » 6000 Euros, sa pension passe à 7920 Euros afin de lui éviter de sombrer dans le besoin…
- Et si Jean avait épousé Catherine ?
… accrochez-vous …
Catherine ancienne cadre bien payée mais moins que Sophie, ne percevait « que » 3000 Euros de retraite personnelle.
Au décès de Jean le seuil de réversion interne au ménage est S = 0,66x(6000+3000) = 5940. Catherine ne percevant « que » 3000 Euros de pension personnelle, sa pension passe à 5940 Euros. Notons que dans le cas inverse, Jean ne percevrait rien.
- Puis Catherine se remarie avec Alain. :
La réversion de Catherine n’est pas supprimée si bien que sa pension reste égale à 5940 Euros. La mutualisation des ressources permettra à Alain de profiter de la réversion obtenue par Catherine grâce à Jean.
Alain, plus jeune que Catherine perçoit une pension personnelle de 3000 Euros (comme la pension initiale de Catherine, ils étaient d’anciens collègues). Hélas Catherine décède avant Alain. On calcule un nouveau seuil interne de réversion S = 0,66x(5940+3000) = 5900. Comme la pension d’Alain est inférieure à ce seuil, la pension de ce nouveau veuf passe à 5900 (au lieu de 3000).
Miracle ! La réversion générée par Jean est passée entre les mains d’Alain totalement étranger à Jean.
Miracle ! Tout se passe comme si Alain avait exercé toute sa vie le métier de Jean.
- Retour vers le futur 2, Alain n’a pas été prévoyant, il a épousé Martine :
Martine perçoit une pension personnelle de 1500 Euros. Au décès de Martine on calcule un seuil interne de réversion S = 0,66x(3000+1500 = 2970. La pension personnelle de Jean dépasse ce seuil donc elle reste à 3000 Euros.
Quelle imprévoyance ! Jean aurait dû épouser Madame veuve Catherine. Grave erreur.
- Et si Catherine avait épousé Pierre en secondes noces ? :
Catherine est prête à partager sa nouvelle vie avec un nouveau compagnon mais pas à n’importe quel prix. Elle a épousé Pierre dont la retraite personnelle était équivalente à sa propre pension : retraite personnelle + réversion, 5940 Euros.
Au décès de Pierre, on calcule un seuil interne de réversion S = 0,66x(5940+5940) = 7840. La pension de Catherine étant de 5940 Euros, elle passe à 7840 Euros.
Deux mariages successifs ont permis à Catherine de passer d’une pension de 3000 Euros/mois à 7840 Euros/mois.
- En queue de peloton André n’a vraiment pas été malin, il a épousé Anne :
André touche une pension personnelle de 2000 Euros. Mais il a eu la « mauvaise idée » d’épouser Anne laquelle perçoit une pension personnelle de 1000 Euros.
Hélas Anne décède avant André. On calcule un seuil interne de réversion S = 0,66x(2000+1000) = 1980. Perdu ! La pension d’André dépasse ce seuil donc rien pour André, il reste à 2000 Euros. Fallait y penser avant André ! Ou bien savoir prévoir les évolutions législatives !
Sacrée histoire de pognon non ?
Sans même parler du caractère inflationniste de la « nouvelle réversion », nous voyons que ce dispositif est de par sa nature inéquitable et discrimatoire car il introduit et amplifie les différences de traitement entre les citoyens sans que ces différences soient nécessairement liées à un état de besoin. On peut même questionner sa constitutionnalité.
Et ces discriminations seront encore plus criantes avec la réforme Delevoye puisqu’il n’y aurait plus ni de condition de revenus, ni de condition de non remariage.
Concrètement, le nouveau paradigme de la réversion « façon Delevoye » permettrait les comportements opportunistes consistant à « sauter de mariages en mariages » en misant à chaque fois sur le bon cheval pour se faire une retraite personnelle sans travailler, et donc sans jamais avoir participé au financement de la protection sociale par son propre travail.
L'on voit bien qu'un tel système n’est ni politiquement ni socialement acceptable sur le long terme.
La réversion à l’horizon du plein effet de la réforme Delevoye, 2040 :
De nos jours toutes les jeunes femmes travaillent, celles qui ont débuté leur carrière dans les années 2000 prendront leur retraite dans les années 2040, horizon auquel la réforme Delevoye est censée produire son plein effet. Ces femmes auront très probablement des pensions personnelles comparables à celles des hommes.
Va-t-on servir une pension de réversion à une veuve percevant 3000 Euros de retraite personnelle au seul motif qu’elle a été mariée, et par là-même peut-être doubler sa retraite personnelle par rapport à ses homologues professionnels célibataire, pacsés, concubins ou mariés mais n’ayant pas « misé sur le bon cheval » ?
Est-il acceptable que la collectivité se mobilise pour assurer le maintien du niveau de vie d’une personne déjà élevé par rapport à l’ensemble des retraités alors qu’elle se désintéresserait d’une personne percevant la même retraite personnelle mais qui n'était pas mariée ?
Clairement, il est temps de programmer la suppression progressive de la réversion à l’horizon 2040 et de la remplacer par rien du tout car :
dans un système de retraites fondé sur le travail, les droits à la retraite doivent s’obtenir par le travail, pas par la conjugalité. C’est une question d’équité entre les citoyens.
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