Le traité de Lisbonne, en attendant mieux
S’il y a un domaine où le PS a bien raison de ne pas adopter une attitude d’opposition de principe, c’est bien l’Europe. La Constitution sera donc révisée au Parlement, par réunion des députés et des sénateurs, et comme d’habitude Mélenchon votera contre, et comme d’habitude Myard votera aussi.
C’est mieux que rien. Oh, évidemment, le mieux du mieux c’est que le peuple français puisse se rendre compte qu’il a été mené en bateau par quelques manipulateurs d’idéaux, et qu’ils votent oui massivement par référendum. Mais voilà, Sarkozy clive tellement, le PS trouve tellement peu de motifs à faire parler de lui, qu’un référendum sur ce traité risquerait de donner la même campagne lamentable que le référendum précédent. Avec les mêmes effets.
Après tout, si nous avons des représentants, ce n’est pas pour rien. C’est, entre autres, pour user du système représentatif sur des politiques complexes. Et le mandat représentatif consiste à élire un député pour qu’il fasse ce qu’il pense, et pas ce que nous pensons.
Le traité de Lisbonne, donc. Il sauvegarde plusieurs grandes avancées du TCE, il perd la plus importante : la méthode de la Convention présidée par VGE, au profit d’une conférence intergouvernementale plus opaque et moins diversifiée. Qui favorise aussi les attitudes nationales de conservation des acquis (système de majorité qualifiée de Nice pour les Polonais, Charte des droits fondamentaux refusée pour les Anglais qui l’avaient acceptée en 2004). Je ne vais pas faire une longue liste des avancées de ce traité simplifié par rapport à l’actuel de Nice, certains le font très bien. Je vais me borner à relever quelques petites choses qui risquent de vraiment changer le visage de l’Europe, et éventuellement d’une démocratie Européenne.
1. La co-décision devient le système généralisé d’adoption d’un texte législatif en Europe. Cela donnera au Parlement européen plus de pouvoirs. Notamment en ce qui concerne les décisions budgétaires, où nos représentants n’avaient jusque-là qu’un droit de regard sans effets. Cela signifie par exemple que la cuisine intergouvernementale entre chefs d’Etat et de gouvernement, sur la PAC par exemple, pourra être un peu plus démocratique. Attention, le Conseil reste le seul à fixer le montant des contributions des Etats au budget. Mais celui-ci devra être modifié et voté au Parlement comme au Conseil.
Cela implique que, le rôle des parlementaires européens étant plus important, ceux-ci deviennent de vrais hommes politiques intéressés par leur sujet, et plus seulement des petits bleus en attente d’un poste national, ou des vieux hibous en fin de carrière.
2. L’Union européenne se dote enfin d’un personnage fort et visible, un président de l’UE élu pour deux ans et demi renouvelable une fois. Qu’est-ce que cela implique ? D’abord une meilleure identification des Européens à ce système compliqué. Ensuite, une diminution de l’influence du président de la Commission européenne, autrement dit, celui des trois institutions dont la légitimité est la moins évidente à démontrer. Cela n’a l’air de rien, mais la représentation de l’UE à l’étranger et l’autorité du président de la Commission pour tout ce qui dépasse les questions d’initiatives législatives, de réglements, seront plus faibles. Il y aura un meilleur partage des rôles à ce niveau.
3. La composition de la Commission européenne est rationalisée, aux deux tiers des membres de l’UE (c’est-à-dire 18 pour 27), ce qui permet une attribution des compétences plus rationnelle. Aujourd’hui on a 27 commissaires mais on ne sait même pas quelle mission leur donner, et les administrations ont du mal à départager les compétences de l’un sur l’autre.
4. Le changement du système de vote à majorité qualifiée au Conseil des ministres (à l’horizon 2014). Celui de Nice favorisait les petits pays de façon inconsidérée, celui-ci fait fi de la pondération des voix par Etat, et ne garde que le principe de 55% des Etats, et 65% de la population. Avec la possibilité de constituer une minorité de blocage à condition de pouvoir rassembler les 3/4 de la minorité (de 45% des Etats ou bien de 35% de la population), qui permet de se donner une nouvelle échéance avant de proposer un texte en première lecture au Parlement européen.
5. Les coopérations renforcées deviennent plus aisées. Désormais, si un tiers au moins des pays-membres veulent aller plus loin, dans des domaines qui n’impliquent pas les autres et qui ne les obligent pas à modifier leur droit, ils le peuvent. L’ensemble des Etats-membres devront, par un vote à l’unanimité, donner l’autorisation à ces pays de débuter une coopération renforcée. On pourrait imaginer ainsi des coopérations renforcées sur un budget militaire commun, un taux d’imposition minimum... La dernière condition est évidemment que la coopération reste ouverte à tout pays qui voudrait s’y joindre.
On pourra déplorer que ce traité instaure en quelque sorte une Europe à la carte, avec les "opting-out" de Gordon Brown sur la Charte des droits fondamentaux ou la clause dérogatoire à la justice. On pourra déplorer les petites faveurs faites à l’Italie pour avoir un député de plus, ou à la Pologne pour avoir son avocat général à la Cour de Justice de l’Union européenne (nouveau nom pour la Cour de Justice des communautés européennes). On pourra donc s’autoflageller en pensant que tous ces reculs sont des reculs par rapport au TCE, et que c’est nous Français qui en votant NON avons provoqué ce retour sur des égoïsmes nationaux.
On pourra comprendre que Gordon Brown essaie de limiter les contraintes pour chercher à éviter un référendum anglais qui serait en cas de refus de ratification une véritable remise en question de l’adhésion de la Grande Bretagne à l’UE.
On pourra aussi saluer le principe de sauvegarde des services d’intérêt général à la concurrence, qui admettent des subventions à des entreprises publiques ou privées, à l’encontre du droit à la concurrence, pour leur permettre d’exercer leur mission dans des endroits désertés par les services publics (les services postaux à la campagne, par exemple).
On pourra enfin admettre que si ce traité ne change pas réellement du TCE, c’est parce que 18 pays ont ratifié le TCE, et que l’Europe n’étant (heureusement) pas peuplée de Mélenchon, il faut admettre que le minimum d’esprit européen c’est de reconnaître que ces 18 pays ont aussi une souveraineté et des peuples à respecter.
Reste qu’il y a toujours un texte constitutionnel, volontaire à adopter. Qui sait, par un référendum de tous les Européens ? En attendant, on ne va pas cracher de nouveau sur cette boîte à outils, qui nous permet d’écoper l’eau du bain que les nonistes nous ont fait garder en jetant le bébé.
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