Sarkozy, Poutine, Chavez, Bush, Clinton : quelques considérations sur la limitation des mandats présidentiels...
Le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, restera bien le maître du Kremlin pour les quatre prochaines années. Une information qui me donne l’occasion de faire quelques considérations sur le mandat présidentiel en général.
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Lorsque Nicolas Sarkozy s’était présenté à la présidence de la République, il avait fait savoir qu’il souhaitait faire quelques modifications de notre Constitution de 1958. Parmi ses idées, il y avait notamment la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs, pour empêcher à toute personnalité politique d’occuper plus de dix ans de suite le pouvoir régalien.
En finir avec les présidences interminables.
Parfois soupçonné de tentation de pouvoir absolu, Nicolas Sarkozy se montre, en revanche, très sincère lorsqu’il assure qu’il ne souhaite pas ’durer’ au pouvoir.
Les deux dernières présidences interminables de François Mitterrand (14 ans) et Jacques Chirac (12 ans) semblent d’ailleurs un solide argument pour écourter ces longs mandats qui, par usure, incitent à l’immobilisme.
À la fin d’un éventuel second mandat (mai 2017), Nicolas Sarkozy aurait à deux années près quasiment le même âge que François Mitterrand et Jacques Chirac quand ils ont commencé leur présidence ! (Valéry Giscard d’Estaing, quant lui, lorsqu’il finissait son septennat, avait l’âge, toujours à deux ans près, de Nicolas Sarkozy commençant ce quinquennat).
Agir et réagir au lieu de durer
Par ailleurs, dans le monde actuel, fait de haute technologie à évolution très rapide et de conquêtes économiques très réactives, le temps semble s’être accéléré à tel point que redemander aux électeurs plus souvent leur avis est un gage d’efficacité dans le bon contrôle démocratique. C’était d’ailleurs l’objectif déclaré de la réduction de sept à cinq ans de la durée du mandat présidentiel adopté par référendum en septembre 2000 (auquel j’ai voté ’non’ pour refuser la concomitance de l’élection présidentielle et des élections législatives).
Nicolas Sarkozy, lui, veut surtout agir. Et agir vite.
Je ne sais pas si ’agir’ et ’communiquer’ sont synonymes pour lui, mais ce qui est clair, c’est que Nicolas Sarkozy est sans doute plus axé sur le présent que sur le passé ou le futur. Au risque d’ailleurs d’adopter les mêmes mauvais réflexes que nombre de ses contemporains : zapping, boulimie d’activités, absence de vision claire et cohérente à long terme et oubli des leçons antérieures.
Si, étrangement, cette mesure (limitation à deux mandats présidentiels consécutifs) n’a pas été reprise par le ’Comité Balladur’, Nicolas Sarkozy l’a explicitement indiquée comme objectif dans sa lettre de mission à François Fillon du 12 novembre 2007 :
« Conformément aux engagements de la campagne présidentielle, et alors même que le comité ne l’a pas retenu, je propose que le nombre de mandats successifs d’un même président de la République soit limité à deux. Je considère que le rôle de la Constitution est aussi d’aider les responsables politiques à agir plutôt qu’à chercher à se maintenir. ».
En ce sens, Nicolas Sarkozy est très cohérent avec ce qu’il a toujours dit sur le sujet et avec sa pratique actuelle.
Je n’ai pas encore connaissance du texte (a priori édulcoré pour obtenir la majorité des trois cinquièmes) qui a fait l’objet des récentes consultations à Matignon et qui sera présenté au Conseil d’État dans quelques jours (le texte de l’avant-projet comportant 28 articles circule depuis le 19 décembre 2007, notamment dans les rédactions du Figaro et de Libération), et donc, je ne sais pas si cette mesure sera reprise in fine, mais c’est sûrement probable puisque c’est la volonté présidentielle et qu’elle n’est soumise à aucune opposition frontale.
Limitation à deux mandats : avantage sur la démocratie
Pourtant, la capacité de renouveler les mandats présidentiels autant de fois que souhaite le peuple pourrait être une liberté qu’on pourrait ainsi lui retirer. Certes, dans une optique de meilleure redistribution de la démocratie, éviter qu’une même personne reste trop longtemps au même poste à responsabilité est sain et nous pourrions même penser que ce serait sain également dans toutes les collectivités locales où la durée est parfois, effectivement, impressionnante (trois voire quatre décennies !).
D’ailleurs, dans la pratique, le second mandat présidentiel a toujours été le dernier. Et avant la réélection de François Mitterrand en 1988, aucun président de la République française n’avait réussi à terminer son éventuel second mandat : ni Jules Grévy rattrapé par les scandales, ni Albert Lebrun noyé dans les pleins pouvoirs à Pétain, ni même de Gaulle éconduit lors du référendum de 1969 (de toute façon, mort en novembre 1970, il n’aurait pas pu terminer son mandat jusqu’au bout, en décembre 1972).
Limitation à deux mandats : inconvénient sur l’autorité présidentielle
La raison qui me paraît plus intéressante pour conserver l’état actuel d’imprécision, c’est de préserver l’autorité présidentielle. Laisser au président de la République, au cours de son second mandat, la possibilité de garder le leadership de ses troupes dans la perspective d’une éventuelle nouvelle candidature.
Évidemment, dit comme cela dans le contexte de l’année 2007, cela pourrait paraître risible. Car la non-candidature d’un Jacques Chirac vieillissant en 2007 n’a pas du tout été une surprise (prévisible depuis août 2005) et Dominique de Villepin en aurait même profité dans son autorité de Premier ministre.
Et aussi, vu la manière dont Nicolas Sarkozy assume aujourd’hui sa fonction présidentielle dans une omnipotence quasi-ministérielle, on pourrait se dire que le président n’a plus besoin de préserver son autorité, car il en a largement, voire il en déborde institutionnellement de toutes parts.
Certes. Mais si l’un des trois grands candidats de 2007 (qui avaient à peu près le même âge) avait été élu deux fois de suite, une fois en 2007, et une autre en 2012 (mon raisonnement n’est pas valable seulement pour Nicolas Sarkozy donc), à la fin du second mandat, on pourrait penser qu’entre 62 et 65 ans, le président pourrait encore être capable d’exercer un nouveau mandat sans craindre le ’naufrage de la vieillesse’. D’autant plus que la réforme du quinquennat renforce la capacité de ’zapping’ présidentiel.
Tant que l’élection présidentielle se déroule dans des conditions loyales et sans fraude, je ne vois donc pas l’intérêt d’une limitation du nombre de mandats présidentiels successifs. La précision ’successifs’ d’ailleurs permettant constitutionnellement à un ancien président après dix ans de mandat de se représenter cinq après la fin de son dernier mandat.
Il peut s’avérer d’ailleurs que des circonstances particulières, comme la guerre ou des crises exceptionnels rendent une personnalité plus indispensable que d’autres (dans une conjecture où les électeurs le veulent évidemment).
Et puis voici que l’actualité internationale nous donne quelques éléments pour contourner cette règle quand on veut s’accrocher au pouvoir.
En Russie
La Constitution de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993 s’est largement inspirée du modèle américain en limitant une présidence à deux mandats de quatre ans consécutifs.
Pour Vladimir Poutine, qui finira son second mandat à la tête de la Fédération de Russie en mars 2008 (l’élection présidentielle est prévue les 2 et 23 mars 2008), la question était en gros : comment pourra-t-il garder son pouvoir sans changer la Constitution, une réforme qui aurait une fâcheuse ressemblance avec le Venezuela de Chavez, et qui serait une sorte de coup d’État à la russe.
Comme prévu, Poutine a trouvé beaucoup mieux.
Premier acte le 14 septembre 2007, il nomme un nouveau Premier ministre, Viktor Zoubkov, un haut fonctionnaire collaborateur de Poutine du temps de Saint-Pétersbourg (1992), économiste compétent, mais sans ambition politique.
Deuxième acte, il est leader de son parti pour les élections législatives du 2 décembre 2007 (ce qui est exceptionnel dans la brève histoire de la démocratie russe).
Le troisième acte en est la conséquence : une large majorité de députés de son parti, Russie unie, à la Douma (avec 315 sièges sur les 450, et 64 % des voix), lui permet de contrôler tous les gouvernements futurs pendant les quatre prochaines années.
Quatrième acte le 10 décembre 2007, il annonce le soutien de son parti à Dimitri Medvedev à l’élection présidentielle. Premier vice-Premier ministre de 42 ans, Medvedev est aussi le président du Conseil d’administration du géant Gazprom et ancien collaborateur de Poutine à Saint-Pétersbourg (1990 à 1995).
Enfin, cinquième acte le 17 décembre 2007, Poutine confirme qu’il acceptera d’être le Premier ministre de Medvedev si celui-ci est élu à la présidence de la Fédération de Russie (Medvedev le lui avait proposé dès le 11 décembre 2007, le lendemain de sa désignation comme candidat).
Auparavant, il avait été imprudemment dit que Poutine aurait pu devenir le président d’une sorte d’Union entre la Russie et la Biélorussie que voulait le président biélorusse autocrate Loukachenko à la fin de l’ère Eltsine pour s’emparer de la Russie (union dont il ne veut plus vraiment depuis l’instauration d’un pouvoir fort par Poutine).
Tout est donc mis en place pour minimiser le suspense qu’aurait pu entretenir l’échéance de mars 2008.
Cette perspective donne donc à Poutine encore beaucoup de pouvoirs malgré cette limitation constitutionnelle. Il peut même espérer revenir à la présidence pour l’élection de mars 2012 (il n’aura que 59 ans) ou même lors d’une élection anticipée en cas de démission de Medvedev.
Pour l’instant, Medvedev et Poutine semblent très complices, ce qui ne peut être autrement avant l’élection présidentielle. Toutefois, les politologues pensent que Medvedev pourrait très bien avoir des ambitions politiques et créer la surprise. Tout en restant loyal avec Poutine, il pourrait en effet prendre de plus en plus d’influence personnelle, surtout que le gouvernement a, depuis 1990, toujours été court-circuité par les conseillers présidentiels et que Poutine ne veut pas remettre en cause le pouvoir présidentiel.
Certes, la situation russe est très différente de celle de la France, les médias y sont tous muselés, le déroulement des élections parfois peu loyal (en tout cas, contesté).
Au Venezuela
Là aussi, les droits de l’opposition semblent bafoués et l’autocratisme reconnu, voire revendiqué. Mais la tentative de contournement de la limitation à deux mandats s’est faite de manière un peu moins habile.
En août 2007, Hugo Chavez annonce une large réforme de la Constitution du 30 décembre 1999 (qu’il avait pourtant lui-même élaborée !) pour instaurer une République socialiste et dont l’un des éléments-clés est l’abrogation de la limitation à deux mandats présidentiels.
Cette réforme lui permettrait ainsi de briguer un nouveau mandat. Élu le 6 décembre 1998, réélu par anticipation le 20 juillet 2000 et le 3 décembre 2006, il ne pourrait pas en effet se représenter en 2012.
Cependant, le référendum du 2 décembre 2007 fut un échec. Il est bien sûr obligé d’accepter ce verdict des urnes (comme Pinochet avait accepté le résultat du référendum du 5 octobre 1988 en renonçant à prolonger son mandat à la tête du Chili), mais, apparemment, Chavez n’a pas dit son dernier mot et s’était fixé jusqu’en 2010 pour réformer la Constitution.
Et même aux États-Unis
Heureusement, comme la France, les États-Unis, vivent dans une longue tradition démocratique et la presse est même parfois un sérieux contre-pouvoir.
Pendant très longtemps, il n’y avait pas de règles constitutionnelles sur le nombre de mandats présidentiels. Après la longue présidence de Franklin Roosevelt (élu quatre fois de suite), un amendement (le vingt-deuxième) a été adopté le 27 février 1951 pour limiter à deux mandats consécutifs.
Pour ce pays, un amendement est aussi précieux que le texte même de la Constitution du 17 septembre 1787 (220 ans de longévité avec 27 amendements, un record pour une constitution écrite après celle de Saint-Marin) et ne se modifie pas facilement.
Pourtant, depuis une vingtaine d’années, il semblerait quand même que cette règle commence à être contournée par famille interposée. George Bush père battu a eu sa revanche avec son fils George W. ; et maintenant, Hillary Clinton semble bien partie pour récupérer la Maison-Blanche de son mari Bill. Bush, Clinton... familles régnantes... ’à la Kennedy’... les Américains se monarchiseraient-ils ?
Une américanisation des institutions qui n’a rien d’un bonapartisme
Évidemment, chaque pays est dans une situation très différente, où les règles de la démocratie sont très diversement appliquées.
Si nous revenons à la France, le projet de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République n’est certainement pas l’élément le plus marquant de la réforme. Il concourt sans doute, avec l’éventuelle possibilité donnée au président de la République de s’exprimer devant les parlementaires, à une américanisation symbolique de nos institutions qui ne me paraît ni utile ni souhaitable.
Mais au moins, nous pourrons dire que sur ce terrain-là, Nicolas Sarkozy s’éloigne nettement des tentations bonapartistes qui, par deux fois dans l’histoire de France, ont commencé par une présidence (ou un consulat) de dix ans, puis à vie.
Documents joints à cet article
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