Evolution du programme de maths en terminale scientifique
Une comparaison brute des programmes d'une terminale C et d'une terminale S actuelle permet de comprendre en un coup d'oeil l'orientation de l'enseignement des mathématiques. L'enseignement supérieur devra tenir compte de ces changements dès la rentrée 2013.
Et si nous comparions le programme de TC 1971 et le programme TS 2013 ? Voici deux documents qui permettent de se faire rapidement une idée de l'évolution des programmes, de ce qui a disparu et de ce qui est apparu.
Le premier document est le programme de terminale C de l'année 1971-72 où j'ai signalé toutes les parties qui ont été envoyées aux oubliettes dans le programme 2013 en les surlignant en jaune. Il y en a beaucoup, et il s'agit malheureusement de parties fondamentales qui sont la clé des études universitaires en mathématiques comme en sciences physique ou en SVT. D'autres notions continuent d'être enseignées, mais sans fournir aux élèves une définition rigoureuse, donc en parlant avec les mains et en se mettant dans l'impossibilité de proposer des démonstrations qui utilisent ces notions. Le second document est le programme de terminale S de l'année 2012-13, option maths, où j'ai mis en surbrillance les notions de mathématiques qui sont apparues, essentiellement en probabilités et statistiques.
Les propriétés des entiers naturels et des réels ne sont plus étudiées, mais restent employées de façon inconsciente. Comme on ne précise pas les axiomes fondamentaux qui définissent N, on ne démontre pas le raisonnement par récurrence : on l'admet en 2013. On étudie les congruences en 2013, mais plus les anneaux Z/nZ. On travaille l'arithmétique, mais mystérieusement en 2013 on étudie les pgcd mais pas les ppcm.
On n'étudie plus les propriétés de R. En 1971, c'était je pense une mauvaise idée d'introduire les nombres complexes avec des matrices carrées de similitudes, et la présentation en 2013 est plus simple et directe. Par contre les linéarisations de polynômes trigonométriques ont disparu du programme. On n'étudie plus les racines n-ièmes d'un nombre complexe, et l'on ne cherche pas les racines d'un polynôme du second degré à coefficients complexes : en 2013 on se borne à étudier des polynômes du second degré à coefficients réels.
Pour la continuité, les limites et la dérivation des fonctions, on ne donne pas de définitions rigoureuses en 2013, donc on supprime beaucoup de démonstrations qui s'appuyaient sur ces définitions, comme on le faisait en 1971. Le nouvel élève devra admettre beaucoup de résultats et se contenter de vérifications graphiques. Il devra faire confiance à son professeur et à son manuel sans mesurer par lui-même la validité des énoncés qu'on lui propose, puisqu'on ne l'incite plus à le faire. Dérivée de la composée d'une fonction, d'une fonction réciproque d'une fonction dérivable strictement monotone : on n'en parle plus, en tout cas pas de façon générale.
L'étude des fonctions vectorielles de R dans un espace vectoriel euclidien a complètement disparu, on n'étudie plus aucune courbe paramétrée, et la cinématique du point est passée à la trappe. Il n'y aura donc aucune interdisciplinarité avec les sciences physique à ce niveau, mais il faut dire que le programme de sciences physique a été grandement allégé en parallèle.
Les sommes de Riemann ont disparu et l'on ne donne plus de définition rigoureuse de l'intégrale d'une fonction numérique sur un intervalle réel borné. En 2013, on présente l'intégrale essentiellement comme une aire sous la courbe, et l'on admet la suite. L'intégration par parties a été supprimée des programmes.
Les applications de l'intégration à la mécanique et à la physique a disparu : plus de calculs de volumes, de masses, de moments d'inertie, de vitesses et de distances parcourues, d'intensité et de quantité d'électricité, de puissance et d'énergie. Tout cela passe à la trappe.
Au niveau des fonctions d'une variable réelle, on étudie toujours les fonctions xn si n est un entier positif, mais plus si n est un rationnel. Sait-on seulement d'ailleurs encore ce qu'est un rationnel ? Heureusement, on parle encore de suites arithmétiques et géométriques, des fonctions circulaires (sauf la tangente dont on ne veut plus entendre parler, la laissant pour l'université). Le logarithme népérien et l'exponentielle sont toujours au programme, même si la présentation que l'on propose en 2013 est étonnante et compliquée. On ne parle plus, par contre, des fonctions logarithmes ou exponentielles en base a, ce n'est plus à la mode bien que le logarithme décimal soit utilisé dans d'autres sciences.
En 2013, on n'utilise plus la règle à calculs, et heureusement, mais plutôt l'ordinateur et les logiciels de tous genres, ce qui représente une évolution normale des enseignements.
Mais pourquoi s'interdire d'étudier des équations différentielles simples du premier et second degré comme on le faisait en 1971 ? Pour s'interdire d'utiliser des outils performants qui éclairent d'autres sciences ?
En géométrie, la terminale S 2013 fait table rase : plus d'études de transformations, d'isométries, de similitudes. Un élève commencera sa première année de licence en ignorant complètement ce qu'est une translation ou une rotation. Evidemment, on ne parle plus de structures algébriques, on préfère rester dans le flou et ne pas savoir exactement dans quel espace on travail. En restant très approximatif, on peut donc éviter de définir ce qu'est un espace vectoriel, ne plus parler du B A BA d'algèbre linéaire concernant les applications linéaires, les images, les noyaux. Plus d'homothéties aussi. Plus de barycentres, et plus de fonction scalaire (ou vectorielle) de Leibniz. Plus de symétries ni de projections, dans le plan ou dans l'espace. Plus d'applications affines, et plus de définition rigoureuse de l'orientation d'un plan. En 2013, on peut cependant encore parler de produit scalaire dans l'espace, celui du plan ayant été étudié en première. On peut aussi parler d'équations cartésiennes de plan (mais étonnamment pas de représentations paramétriques d'un plan) et de représentations paramétriques de droites dans l'espace (mais curieusement pas d'équations cartésiennes de droites dans l'espace). Mais on a supprimé l'étude des rotations de l'espace, des vissages et des applications orthogonales en général, on ne sait pas orienter l'espace, et l'on n'apprend plus ce qu'est le produit vectoriel.
En géométrie plane, et en 2013, on reste pratiquement au niveau du collège puisque les expressions complexes des similitudes ont disparues (avec les similitudes), que l'on ne parle plus du groupe des similitudes (puisqu'on ne sait pas ce qu'est une structure de groupe), que l'on n'étudie plus les coniques (donc les ellipses, les hyperboles et les paraboles conserveront tous leurs mystères), ce qui supprime beaucoup de problèmes qui étaient traités analytiquement.
Les probabilités sont enseignées différemment en 2013 : on utilise la machine pour faire de nombreuses simulations, mais on ne dispose plus de définitions précises. L'étude des variables aléatoires réelles d'un couple ou d'un produit a disparu. On ne parle plus de dénombrements, ni de coefficients binomiaux dans ce contexte, mais on insiste sur les arbres de probabilité.
Conclusion : le programme de terminale C de 1971 comportait 185 lignes sur le bulletin officiel. On en a supprimé environ 104 lignes pour aboutir au programme de terminale S de 2013, soit une perte de 56%. En 1971, un élève de terminale scientifique suivait 9 heures de cours hebdomadaire, mais plus que 8 heures en 2013. Mais attention, l'élève de 2013 a moins d'entraînement en sciences derrière lui puisqu'il n'a bénéficié que de 4h de mathématiques par semaine en première S, au lieu de 6 heures en 1971, et de 4h de maths en seconde au lieu de 5h en seconde C en 1971. Il ne faut donc pas s'étonner à ce qu'il soit bien moins entraîné et savant qu'un élève qui suivait les anciens horaires et les anciens programmes.
Le programme de terminale S de 2013 comporte néanmoins des nouveautés et non des moindres. Il s'agit des lois de probabilité à densité (loi uniforme, loi exponentielle, loi normale), du Théorème de Moivre-Laplace (admis) et de chapitres sur les statistiques inférentielles avec l'étude des intervalles de fluctuation et des intervalles de confiance. Ces chapitres imposent d'admettre de nombreux résultats et d'essayer de comprendre des énoncés difficiles où interviennent à la fois les notions de limite et de probabilités. On peut raisonnablement se demander si ces chapitres sont vraiment du niveau d'un élève moyen de terminale.
En outre, on peut reprocher à ces nouveaux programmes d’avoir éliminé toute interdisciplinarité entre les mathématiques et la physique alors que, de façon évidente, la recherche fondamentale en physique nécessite une nouvelle génération de chercheurs à mi-chemin entre les mathématiciens et les physiciens. Galilée n’a-t-il pas dit « Le grand livre de la nature est écrit dans le langage mathématique », et plus près de nous, Max Tegmark, professeur de physique au MIT, énonce : « La réalité physique extérieure dans laquelle nous vivons repose sur une structure mathématique qui est en dehors du temps. Ceci veut dire, dans un sens bien défini, que l’Univers est mathématique (…) » (relevé dans l’excellent livre de Igor et Grichka Bogdanov (Bogdanov & Bogdanov, 2012).
De plus, n’y a-t-il pas une arrière-pensée politique dans l’écriture de ces nouveaux programmes, tant en physique qu’en mathématiques, destinés à former des techniciens des sciences à large spectre qui pourront tout aussi bien aller vendre leurs compétences dans les secteurs commerciaux, bancaires et financiers, que dans les domaines de l’ingénierie industrielle et de la recherche fondamentale ?
Les Trissotins de l’éducation nationale qui ont concocté ces nouveaux programmes sans concertation aucune avec les enseignants et le monde scientifique, se sont permis d’ignorer les mises en garde répétées de membres éminents de l’Académie des sciences (excusez du peu…) formulées en mars 2011 (ce communiqué est repris plus bas). D’ailleurs, rien d’important ne leur échappe puisque récemment ils se sont intéressés au problème insurmontable des rythmes scolaires avec le succès que l’on sait.
Nos décideurs de l’éducation nationale sont à l’image de nos hommes politiques dans les coulisses du pouvoir : le nez sur le guidon mais des ambitions affichées démesurées, sans donner aux enseignants ni aux élèves les moyens de les mettre en œuvre. Comme on peut le lire dans le communiqué de l’Académie des sciences de mars 2011 : « on voit apparaître des propositions assez surprenantes sur le « modèle de diffusion d'Ehrenfest » ou les « marches aléatoires sur les graphes » dont l'intitulé fait plutôt penser à des recherches avancées de spécialistes... ».
C’est encore pire en physique où compte tenu de la longueur démesurée du programme de terminale S, peu de professeurs de sciences physiques pourront se targuer d’avoir terminé à temps leur programme pour le bac de juin 2013. Des preuves ?
Décidément, Trissotin a pris le pouvoir.
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Trissotin : immortel personnage de Molière, pédant ridicule par sa prétention et odieux par son hypocrisie.
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Voici le communiqué dont je parle plus haut, dont on n’a pas tenu compte, et dont la lecture est indispensable :
« Communiqué de membres de l'Académie des Sciences à propos des propositions ministérielles de programmes de mathématiques pour la classe terminale, soumises à consultation en mars 2011 :
Le Ministère de l'Éducation Nationale a proposé à la consultation de nouveaux programmes de classe terminale en mars 2011, voir http://eduscol.education.fr/consultation. En ce qui concerne les programmes de mathématiques de terminale S, un examen détaillé des textes proposés révèle de graves insuffisances et incohérences. Les ambitions affichées dans le préambule (capacité à effectuer des recherches autonomes, à avoir une attitude critique, à modéliser) ne seront en aucun cas réalisables compte tenu des horaires assignés et des contenus proposés. On observe en plusieurs endroits l'abandon des définitions utiles et du formalisme minimal qui seuls pourraient permettre de conduire des raisonnements précis et argumentés. Ainsi en analyse, alors que la définition des dérivées est supposée déjà avoir été travaillée en classe de première, la notion de limite finie en un point n'est plus au programme, et toute mention de la relation avec la continuité a disparu.
Beaucoup de définitions en appellent à de vagues intuitions et la plupart des résultats fondamentaux sont admis. Au lieu de recommander l'affermissement des capacités calculatoires des élèves, l'ambition affichée pour le calcul des dérivées se réduit à l'emploi d'une prothèse, à savoir l'usage de logiciels de calcul formel. La fonction tangente semble quant à elle avoir disparu des exigences. Au titre des graves incohérences, on constate la disparition du chapitre sur les équations différentielles, tandis que la fonction exponentielle continue à être introduite comme la solution d'une telle équation. Le chapitre sur les probabilités, qui ne paraît imposant que superficiellement, se voit privé de beaucoup des fondements nécessaires à son traitement et à sa compréhension : il vaudrait bien mieux en la circonstance cadrer davantage le contenu afin de pouvoir étudier la question en profondeur. La géométrie est hélas de nouveau le parent pauvre de ce projet de réforme ; ainsi, l'introduction des nombres complexes est amputée du support géométrique que constitue l'étude des similitudes, et le contenu de géométrie dans l'espace manque cruellement d'une vision d'ensemble. Le programme de l'enseignement de spécialité ne vient guère corriger ce tableau général médiocre puisqu'à côté des notions de décomposition en produit de facteurs nombres premiers ou de pgcd qui auraient pu autrefois relever du début du collège, on voit apparaître des propositions assez surprenantes sur le « modèle de diffusion d'Ehrenfest » ou les « marches aléatoires sur les graphes » dont l'intitulé fait plutôt penser à des recherches avancées de spécialistes...
La conception de nouveaux programmes ne saurait s'improviser en quelques semaines, et il serait très souvent souhaitable d'effectuer des expérimentations préalables dans des classes représentatives, suivies d'une analyse impartiale a posteriori par des experts et par le milieu enseignant. L'effet des propositions soumises à la consultation, au-delà de l'incantation de quelques prétentions inaccessibles, sera surtout de réduire encore les contenus de mathématiques délivrés aux élèves. L'introduction de sujets nouveaux comme l'algorithmique ne peut se faire sans que l'équilibre global des horaires des différentes disciplines soit revu. Les horaires consacrés aux sciences sont aujourd'hui très insuffisants dans la voie scientifique du lycée. Il est également très regrettable que les mathématiques aient disparu de certaines séries littéraires qui restent pourvoyeuses de cadres de l'état ou d'enseignants généralistes. Dans ces conditions, l'urgence serait de mettre sur pied une réforme cohérente et ambitieuse du lycée et des cycles qui précèdent, condition indispensable pour enrayer l'hémorragie actuelle des vocations scientifiques.
Premiers signataires : Jean-Pierre Demailly, Jean-Marc Fontaine, Jean-Pierre Kahane, Gilles Lebeau, Bernard Malgrange, Gilles Pisier, Jean-Pierre Ramis, Jean-Pierre Serre, Christophe Soulé (Délégué de la Section de Mathématiques). »
(Réf. http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/ demailly/communique_math_TS_2011.pdf)
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(Bogdanov & Bogdanov, 2012). La pensée de Dieu. Grasset.
Trissotin : immortel personnage de Molière, pédant ridicule par sa prétention et odieux par son hypocrisie.
Programme et commentaires de terminale C en 1971 (complet sans mise en surbrillance).
Documents joints :
Le texte mis en surbrillance a disparu dans le programme 2013.
Le texte mis en surbrillance indique les nouveautés par rapport au programme de 1971.
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