Justice : la rétention de sûreté risque de compromettre la présomption d’innocence
Les faits divers atroces sont désormais souvent le point de départ à nouvelles lois pénales. Dans quelques jours, les députés vont débattre du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale défendue par Rachida Dati. Un projet prévu depuis l’été dernier.
L’horrible fait divers qui a coûté la vie à la jeune Anne-Lorraine Schmitt a replacé dans l’actualité, une nouvelle fois, le problème des délinquants sexuels qui ont déjà commis des délits ou des crimes et qui ont fini de purger leur peine.
Une polémique bien inutile
Mon propos ici n’est pas de revenir sur une polémique à plusieurs étages, à mon sens stérile, concernant l’assassinat d’Anne-Lorraine Schmitt sinon pour préciser deux points.
1. Les idées qu’aurait semblé revendiquer la victime et qui seraient apparemment loin des miennes (mais elle n’est plus là pour se défendre), son environnement familial et social, et sa réaction de défense face au violeur n’enlèvent rien à l’atrocité du drame qu’elle a malheureusement vécu.
2. Et faire un parallélisme avec une autre tragédie, la mort accidentelle des deux jeunes à Villiers-le-Bel, tant sur le traitement médiatique que sur la réaction des proches, ne me paraît pas être non plus porteur d’apaisement et de respect pour les disparus.
Des faits divers instrumentalisés bien avant Nicolas Sarkozy
Cette parenthèse refermée, on a pu observer qu’à chaque drame de ce type (viol de femmes, assassinat, enlèvement d’enfants...) dont l’horreur peut difficilement être échelonnée sinon qu’elle enlève dans des conditions émouvantes des êtres chers, de nombreuses personnes demandent des lois de plus en plus sévères (voire le rétablissement de la peine de mort).
Si l’abolition de la peine de mort semble un acquis définitif (notamment par son inscription dans la Constitution en février 2007, l’un des derniers actes du président Jacques Chirac), le reste de la législation reste bien sûr amendable.
Depuis plus d’une douzaine d’années, beaucoup de lois pénales ont été élaborées sous le coup de l’émotion, après un fait divers marquant. Cela a commencé avec le principe d’incompressibilité d’une peine, défendue par le ministre de la Justice Pierre Méhaignerie, l’un des quatre grands ‘barons’ (ministres d’État) du balladurisme triomphant.
Et ses successeurs ont agi souvent avec le même processus : un fait divers grave, une effervescence médiatique, une profonde émotion dans l’opinion publique, une nouvelle loi pour aggraver les sanctions pénales. Et ce cycle se poursuit. Or, une loi devrait être le fruit de mûres réflexions, pas l’aboutissement de compassionnelles émotions.
Une nouvelle loi en discussion
Sans rien à voir avec les deux faits divers que j’ai évoqués au début, mais répondant à des crimes antérieurs, le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental a été adopté au Conseil des ministres du 28 novembre 2007 et sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 18 décembre 2007 (en principe), défendu par la garde des Sceaux Rachida Dati et le rapporteur de la loi, Georges Fenech, député de Lyon et ancien juge.
De quoi s’agit-il ?
De trois volets : la rétention de sûreté, qui concerne mon article, la modification de la procédure quand l’auteur d’une infraction est atteint de troubles mentaux, et enfin des mesures pour renforcer l’efficacité du dispositif d’injonction de soins.
Sur le second volet, l’objectif n’est pas de changer fondamentalement les choses : l’auteur d’une infraction atteint de troubles mentaux resterait déclaré irresponsable pénalement, mais pourrait être cependant (c’est nouveau) reconnu comme l’auteur des faits. « Le but, c’est de faire en sorte que l’infraction soit reconnue comme telle, avec une audience publique devant la chambre de l’instruction si les victimes le souhaitent », a expliqué Laurent Wauquiez, le porte-parole du gouvernement.
Être du côté des victimes...
Dès le 29 novembre 2007 à la télévision, le président Nicolas Sarkozy a enfoncé le clou en se déclarant du côté des victimes. Qui peut s’en offusquer ? Ses propos sont cependant assez durs, évoquant des ‘prédateurs’ et divisant la société par un manichéisme assez puéril en deux catégories : les ‘voyous’ et les ‘honnêtes gens’.
La rétention de sûreté contre les risques de récidive
Le dispositif prévu pour la rétention de sûreté est assez simple à expliquer. Il s’agit de créer une mesure de rétention, pour certains criminels à l’issue de leur peine, dans un centre fermé appelé « centre socio-médico-judiciaire ».
Cette mesure a été imaginée pour renforcer la prise en charge de criminels (surtout sexuels) qui restent encore très dangereux une fois sortis de prison.
La rétention de sûreté ne serait ni une peine ni une sanction, mais une mesure visant à prévenir la récidive.
Déjà, quatre mesures de ce type, déclarées constitutionnelles, sont applicables : le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins (loi 98-468 du 17 juin 1998), la surveillance judiciaire (loi 2003-239 du 19 mars 2003), l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (loi 2004-204 du 9 mars 2004) ainsi que la surveillance judiciaire (loi 2005-1549 du 12 décembre 2005) qui permet d’imposer, le cas échéant, une injonction de soins et une surveillance électronique mobile.
Bien sûr, la rétention de sûreté aurait un caractère exceptionnel et ne s’appliquerait qu’à des auteurs de crimes commis contre les mineurs condamné à quinze ans au moins de réclusion criminelle et qui présentent, à l’issue de leur peine, un « risque très élevé de récidive » et uniquement dans le cas où les quatre mesures citées plus haut (lois 1998, 2003, 2004 et 2005) seraient jugées insuffisantes.
Elle ne pourrait être en effet adoptée que « si aucun autre moyen ne s’avère suffisant pour canaliser la dangerosité de l’individu ». Cette dangerosité serait appréciée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (déjà existante) après une expertise médicale.
Pour rappeler l’intérêt de cette procédure, il est rappelé que l’Allemagne, le Canada, la Belgique et les Pays-Bas ont déjà de telles dispositifs.
Qu’en penser ?
Personnellement, j’ai beaucoup de mal à me forger une opinion sur cette mesure.
Car elle concerne avant tout des criminels qui sont dans la capacité de recommencer leurs crimes, et souvent les plus odieux. La réalité des dernières années montrent que des viols d’enfants ont été commis en effet par d’anciens criminels dont la peine a été achevée. Si je me place du côté des potentielles victimes, je veux avoir le maximum de protection.
A contrario, on peut cependant s’étonner d’un élément. Si la peine est terminée, la société considère donc que la faute (le crime) a été sanctionnée et que le criminel a eu ce qu’il mérite. Pourquoi alors vouloir le maintenir encore en détention ? Pourquoi, par exemple, ne pas rallonger la peine pour le crime déjà commis, dans ce cas ? Pourquoi ne pas obliger de soigner ces malades sexuels durant leur détention ?
Dans ce dispositif, je vois trois éléments qui m’indisposent sans oublier qu’ils sont peut-être nécessaires pour renforcer la sécurité de tous.
La détection de la dangerosité et l’incapacité à envisager l’avenir
Le premier, c’est la capacité de déterminer ce « risque très élevé de récidive ». Sur quels critères ? Si c’est sur le crime ayant déjà fait l’objet d’une condamnation, ne serait-ce pas jugé une seconde fois le même crime ? Avec quelle méthode ? Comment se déroulerait l’expertise médicale ? Comment pouvoir déterminer le risque de récidive sinon en jouant à madame Soleil ?
Le deuxième, c’est le maintien du criminel en fin peine dans une absence totale de visibilité de son avenir. On sait bien que la projection vers le futur est un élément de motivation psychologique essentiel. Or, cette rétention de sûreté, si elle était prononcée, serait pour une durée d’un an « mais elle [pourrait] être prolongée (...) pour la même durée tant que la dangerosité de la personne et le risque de récidive [perdureraient] ».
Une présomption d’innocence mise en péril
Le troisième, c’est la principale crainte qu’a émise l’ancien garde des Sceaux (et ancien président du Conseil constitutionnel), Robert Badinter, dans une récente tribune dans le journal Le Monde du 28 novembre 2007.
Selon lui, cette loi serait « un changement profond d’orientation de notre justice ». La justice a pour rôle de prononcer une peine contre l’auteur d’une infraction qu’il a déjà commise. Ici, « le lien entre une infraction commise et l’emprisonnement de son auteur [disparaîtrait] ». Robert Badinter ajoute ainsi : « Nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses (le crime virtuel qui pourrait être commis par cet homme ‘dangereux’) ».
Il rappelle que si depuis une dizaine d’années « quand un fait divers particulièrement odieux suscite l’indignation du public, on durcit les peines et on accroît les rigueurs de contrôles », on a toujours respecté le principe de la responsabilité pénale. Le non-respect des mesures de contrôle par exemple (qui est, en lui-même, une infraction) entraîne une nouvelle incarcération.
Dans ce projet de loi, « le lien est rompu : il n’y a plus d’infraction commise, mais un diagnostic psychiatrique de ‘dangerosité’, d’une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes » et Robert Badinter prédit avec l’expérience de l’influence des crimes récents : « on verra s’accroître toujours plus le domaine d’une ‘justice’ de sûreté au détriment d’une justice de responsabilité, garante de la liberté individuelle ».
Robert Badinter avait déjà exprimé dans une interview au journal Le Monde du 9 septembre 2007 sa conception de la justice : « Au nom de la souffrance des victimes, qui appelle toute la solidarité de toute la société, nous ne devons pas altérer le difficile équilibre de la justice pénale qui repose sur les principes du procès équitable » ajoutant que « la justice ne peut se confondre avec la vengeance ni avec la compassion pour les victimes. C’est ce qui rend son exercice si difficile. Rappelons-nous l’affaire d’Outreau ».
Ce lien rompu (pas d’infraction entraîne malgré tout une détention par prévention d’hypothétiques crimes) remet donc explicitement en cause la présomption d’innocence en supposant la probabilité forte d’un crime non commis.
Quand le doute demeure...
Certains pourraient certes dire que s’il y a doute, il vaut mieux en faire bénéficier les éventuelles futures victimes que le criminel déjà condamné. Mais jusqu’où aller ? Et quel drôle de préférence ! Si elle était appliquée en Cour d’assise, alors cela voudrait dire qu’il vaudrait mieux condamner un innocent que de ne pas trouver de coupable ?
Sécurité et liberté, deux valeurs parfois antagonistes
La sécurité des personnes est l’un des principes fondateurs d’une démocratie. Sans sécurité, pas de possibilité d’agir en toute liberté. Les lois qui veulent assurer la sécurité se veulent évidemment de plus en plus contraignantes contre les criminels et les futurs criminels.
Mais n’oublions pas non plus que mise à l’extrême, cette sécurité des personnes aboutit à un État qui pourrait, à terme, atteindre aux libertés individuelles.
Ce projet de loi ne met évidemment pas en péril notre démocratie. Mais aurait-elle, comme les précédentes lois, un effet pour réduire la criminalité la plus odieuse ?
Pas si sûr.
Note documentaire :
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