La religion, l’islam et la violence. Pourquoi ?
Mars 2016. Encore un peu et nous serions habitués aux atrocités qui nous sont données en spectacle par les terroristes islamistes. Après la sidération, il est temps de se poser la question : « pourquoi ? »
Les belles âmes - ou réputés telles - continuent de répéter : « tout cela n'a rien à voir avec l'islam ». En est-on sûr ? Après tout depuis près de trente ans les attentats parmi les plus sanguinaires se sont fait au nom de cette religion. Et cela est loin de s’arranger, au contraire de ce qu’affirmaient avec assurance certaines de ces « belles âmes » lors du printemps arabe. On les entendait affirmer que l’islamisme, c’était fini, du passé, et que s’en inquiéter, cela ressemblait à du racisme. Hélas, mille fois hélas, ils avaient tort. Il est donc légitime de s’interroger.
Dénoncer l’islamisme radical et violent va de soi. Cela frise le pléonasme. Mais on ose rarement interroger le rapport de cette violence avec l’islam lui-même. Et encore moins interroger le lien, de façon plus fondamentale, entre la religion et la violence. Doit-on vraiment « Prier pour Paris », comme beaucoup l’ont fait en novembre 2015, à en juger par le succès du hashtag « Pray for Paris », afin de manifester son opposition à la violence religieuse ? Pour certains, ce serait vouloir éteindre le feu avec de l’essence.
Revenons-en pour l’instant à l’islam. Encore faut-il savoir en quoi il consiste. L’islam est-il la parole pacifique prononcée par la bien-pensance religieuse ? L’opinion majoritaire des musulmans mesurée par des sondages ou des enquêtes plus ou moins subjectives ? La parole des élites ? Faut-il supprimer par définition de l’islam les discours violents ? Mais dans ce cas, de quel droit l’islam pacifique représenterait-il le vrai islam et l’autre non ? Au nom des textes fondateurs ? Mais justement, lisons-les, ces textes fondateurs. Ils sont souvent, comme les textes des autres grandes religions, effroyablement violents et rétrogrades.
Selon nous l’islam n’est pas seulement le Coran interprété par des imams pacifiques et tolérants, c’est l’ensemble des phénomènes liés à cette religion. C’est pourquoi on peut dire que le terrorisme, la guerre offensive, l'esclavage ainsi que l'impérialisme font aussi partis de cette religion. Tout comme la Saint-Barthélémy, les guerres de religion, l’inquisition, la chasse aux sorcières jusqu’au Siècle des Lumières, les croisades et les bulles contre la démocratie jusqu’à Vatican II font partie du christianisme.
L’histoire nous montre que la religion a très souvent été liée à la violence. On répond souvent qu’elle a été utilisée comme prétexte. En est-on si certain ? N’a-t-elle pas été parfois une cause ou un facteur aggravant, plutôt qu’un élément modérateur ?
Il y aurait beaucoup à dire du christianisme, par exemple l’attitude des Églises allemandes face aux prétentions expansionnistes nazies. Mais cette violence se manifeste aujourd’hui au sein de l’Islam alors que celle du christianisme semble désormais faire partie de l’histoire. Y a-t-il des raisons à cela, que l’on pourrait trouver dans les textes fondateurs, la tradition religieuse, ou bien dans des facteurs historiques, culturels et sociaux ?
1. Les textes fondateurs des trois religions monothéistes sont violents et cruels
Ceux qui affirment que « le Coran n’a jamais dit cela » à propos de la violence, ou bien sont des menteurs, ou bien des ignorants. La lecture littérale du Coran fait froid dans le dos. Tout comme la lecture des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament certes, mais ce n’est pas une excuse. On y trouve de très nombreux versets de guerre et d’intolérance, des appels au meurtre des « mécréants » (l’usage même de ce terme signifie que tous ceux qui ne croient pas à ce que je crois croient mal et sont coupables. C’est déjà une forme de totalitarisme) et des apostats. Ainsi ceux qui tuent au nom du Coran peuvent réellement s’en réclamer. Et ceux qui disent que ce sont des ignorants ont tort. Ce sont eux, probablement, qui n’ont jamais lu le Coran.
Certes on trouve aussi des versets de paix dans le Coran. Mais il y en a si peu qu’on cite toujours les mêmes. Au point de les connaitre par coeur.
C’est la même chose pour la Bible, dira-t-on. Tout à fait. La Bible comprend des passages d’une très grande violence : appel à la guerre offensive, au massacre, au meurtre des non-croyants, au génocide dans les territoires conquis, bétail compris, au cannibalisme à l’encontre ses ennemis. Ces textes n’échappent pas à la violence et aux moeurs de leur époque. Même Jésus-Christ, souvent présenté aujourd’hui comme une sorte de hippy pacifiste, de beatnik aux traits fins et aux cheveux longs, profère à plusieurs reprises des paroles d’une très grande violence : ceux qui ne m’ont pas suivi, dit-il dans la parabole des mines (Luc 19.11) qu’on les apporte devant moi et qu’on les égorge. Ce passage est peu connu. On le cite rarement dans les églises et il est totalement absent du catéchisme moderne. Même la plupart des experts critiques envers la religion semblent ne pas le connaitre. Des passages violents, il y en a beaucoup dans le Nouveau Testament. L’Apocalypse est un texte halluciné qui appelle à une fin du monde cataclysmique et au massacre de tous les non-croyants. Ceux-ci seront assassinés plusieurs fois pour qu’ils souffrent davantage, avant de brûler en enfer sous la férule de Jésus Christ lui-même, armé d’une verge de fer. Toute secte qui écrirait cela aujourd’hui serait interdite et considérée comme très dangereuse.
Ainsi le texte du Coran comprend davantage de passages violents que de passages pacifiques et peut malheureusement justifier les pires atrocités y compris, y compris la guerre totale. N’en déplaise aux « belles âmes », les terroristes ne font rien d’autre qu’appliquer la majeure partie du Coran et c’est peut-être eux au fond qui l’appliquent le mieux. Ils peuvent alors à bon droit se qualifier de « pieux musulmans », comme ils le disent eux-mêmes. Arrêtons de mentir et de s’aveugler. L’Islam est une religion qui comporte une grande part de violence, à commencer par ses textes fondateurs. Certains imams le reconnaissent bien volontiers, mais ils sont encore trop rares.
2.L’évolution des religions
Cette violence existe, on l’a dit, dans les textes fondateurs des trois religions monothéistes. Cependant les chrétiens et les juifs ont fait évoluer considérablement l’interprétation des textes à tel point que, sous prétexte d’interprétation, on leur fait dire le contraire de ce qu’ils signifient. On parvient à lire des messages de paix dans des textes qui, explicitement, appellent à la guerre. Ceux qui s’en tiennent au sens des textes sont souvent qualifiés de lecteurs naïfs. Pourtant interpréter ne signifie pas inverser le sens. On ne peut pas au nom de l’exégèse transformer l’égorgement d’un mécréant en un symbole pacifique. C’est pourtant bien ce que tente de faire l’herméneutique catholique. On tord les textes pour transformer la plus vile violence en son contraire. Les catéchismes d’aujourd’hui évident soigneusement toutes traces de violence et adaptent le message à l’évolution des temps. Il faudrait décrire leur l’histoire. On y verrait une profonde évolution et on constaterait que le message des Églises, loin d’être intemporel, s’est au contraire adapté à l’évolution de la société. Le christianisme s’est converti au pacifisme, aux droits de l’homme, à la démocratie ainsi qu’à la raison scientifique et philosophique. Mais il ne l’a fait que très tardivement, et, comme l’attestent les historiens, contraint, forcé, après avoir livré une rude bataille contre les principes des lumières.
Mieux vaut tard que jamais, après tout. Cette pacification est la bienvenue. Mais elle trompe. On modifie le sens de la religion et on fait croire aux fidèles qu’elle vient de textes dont la valeur est intemporelle. Or ces textes fondateurs, en réalité, ne sont plus que des reliques. Ils n’ont plus aucune force de loi et ne sont là qu’à titre de symboles. La religion du temps peut encourager la mise en lumière d’un passage et la mise à l’écart de tel autre, ou bien son interprétation à rebours de ce qui est écrit. Mais alors ce ne sont pas ces textes qui donnent un sens à la religion, c’est au contraire la religion qui leur impose une interprétation.
C’est la seule manière d’adapter le message tout en maintenant le dogme de la révélation, pilier de ces religions, sans lesquelles le clergé craint qu’elles ne s’écroulent. Mais c’est qu’une fable et toute l’habilité de l’Église consiste à faire croire que c’est toujours le même message. En réalité le christianisme d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui des origines et les textes fondateurs sont totalement périmés. Mais comme personne ou presque ne les lit...
Le problème avec cette fausse lecture est qu’on donne aux fondamentalistes un argument formidable. Car si on prétend que ces textes ont une valeur intemporelle, alors ces derniers diront, eux qui lisent vraiment les textes, qu’on s’est écarté du sens originel. Et ils auront raison ! Ainsi, en voulant moderniser la religion sans renoncer à la fable du texte révélé, on tord le cou à la vérité. Et surtout, on donne une justification aux fondamentalistes.
Et l’islam ? Il existe aussi dans cette religion une tradition qui tente d’interpréter les textes en mettant en avant des passages et en plaçant d’autres à l’écart afin de construire une doctrine pacifiste et humaniste. Le problème est qu’il n’y a pas d’autorité centrale en islam et souvent pas de clergé officiel. N’importe qui peut se déclarer imam et prononcer des fatwas. Ainsi, à côté d’un islam tolérant qui affirme que le contexte doit être pris en compte, ce qui permet d’écarter certains passages, de nombreux autres affirment que les textes doivent être lus de manière littérale et intemporelle.
Premier jalon de réponse. Pourquoi cette violence ? La religion musulmane, comme les autres religions, contient de nombreux passages violents et rétrograde dans ses textes fondateurs. Mais contrairement aux religions chrétiennes et juives, il n’y a pas d’autorité suffisamment puissante pour privilégier une interprétation en phase avec la modernité.
3. La rançon de l’histoire
Mais pourquoi justement une vision pacifique et moderne ne s’est-elle pas largement imposée dans l’islam d’aujourd’hui, comme dans d’autres religions ?
Les hasards de l’histoire peuvent jouer leur rôle. Par exemple c’est le hasard qui a donné à la péninsule arabique, qui valorise une version très rétrograde de l’islam, une visibilité et une influence sans commune mesure avec son développement culturel et politique naturel, pour la seule raison qu’il repose sur un sol gorgé de pétrole. Sans cela, que serait devenu le wahhabisme ? Pas grand-chose, sans doute.
Il existe sans doute d’autres phénomènes plus structurels. N’en déplaise aux discours politiquement corrects, la violence dans l’islam n’est pas nouvelle. La conquête arabe a été très rapide dès l’apparition de l’islam comme élément fédérateur et elle s’est faite à la force de l’épée. Les ancêtres des musulmans se sont souvent convertis par la violence ou par la contrainte. Les musulmans imposaient aux non-musulmans qui ne voulaient pas se convertir un statut d’infériorité, la dhimma, que nos « belles âmes » ont voulu faire passer pour un statut protecteur. L’islam, qui n’autorise pas l’esclavage des musulmans, l’autorise pour les non-musulmans. Ainsi le monde islamique a encouragé la traite africaine et européenne d’esclaves, qui sont quasiment restés sans descendance, pendant plus de mille ans.
Certes on rappellera que l’histoire du christianisme a été également violente. Mais cela a souvent été dit, répété, et la repentance à ce sujet largement exprimée. L’islam a été une religion dominante et impérialiste qui dans le passé a menacé et a envahi l’Europe à l’est et au sud. Puis au XIXe siècle, renversement. L’occident a imposé sa domination. Existe-t-il dans l’esprit de certains musulmans comme un air de revanche ? Pour ne rien arranger, l’occident a exercé sa puissance en même temps qu’il apportait dans ses valises les droits de l’homme, de façon tout à fait contradictoire. Générant ainsi un amalgame fâcheux pour un être plongé dans le ressentiment.
Ces droits de l’homme permettraient une modernisation de la société et de la religion, tout comme en Europe. Mais il est tout à fait habituel que de tels changements suscitent des résistances. Les droits de l’homme remettent profondément en cause l’interprétation traditionnelle de la religion voire la prégnance même de celle-ci. On sait par ailleurs que tout changement génère une résistance au changement qu’on appelle réactionnaire. Cette résistance a été très vive en occident pendant longtemps. Au moins il s’agissait d’une résistance à une pensée interne. Dans le monde musulman, la pensée des droits de l’homme peut être considérée comme une pensée étrangère venant d’une puissance dominatrice, qui plus est en déclin. Même si on la considère comme universelle, son origine historique est exogène et liée à des peuples qui l’ont soumis à une domination impérialiste.
Pour toutes ses raisons sans doute, un islam littéral qui s’oppose frontalement à la pensée des droits de l’homme rencontre une relative adhésion chez un certain nombre de musulmans. Il promeut avec un certain succès le retour à une pensée traditionnelle marquée par l’ancienne puissance politique. Il permet une double revanche sur l’occident laïque : religieuse et politique. Cela n’est pas forcément une motivation explicite. Elle peut être confuse, mélangée à d’autres motifs, d’intensité variable. Mais elle peut jouer une part dans l’opinion.
L’Europe aussi a connu des replis réactionnaires et identitaires. Ces réflexes, ainsi que l’appétit de vengeance, le désir de retrouver un empire perdu, tout cela peut jouer dans l’opinion de certains musulmans et expliquer l’influence de l’islam rigoriste.
4. La religion et la violence identitaire
Mais d’autres facteurs plus généraux peuvent être à l’oeuvre. Et si la religion n’était, au fond, que le porte-drapeau des identités collectives, ou pire, un amplificateur de ces identités souvent meurtrières ?
Une vidéo dans laquelle des journalistes lisaient à des passants occidentaux des passages rétrogrades, présentés comme étant issus du Coran, a circulé sur internet. Ceux-ci trouvaient comme il se doit que ces passages étaient révoltants. Puis on leur révélait qu’en fait il s’agissait de passages de la Bible. L’émission « Le Petit Journal » a réitéré l’expérience avec des personnes venues écouter Donald Trump. Une femme qui avait trouvé ce passage scandaleux affirma, lorsqu’on lui dit qu’il s’agissait en fait de la Bible : « alors si c’est la bible qui le dit, c’est bien ». Cette réaction est cocasse par sa spontanéité, mais n’est en rien caricaturale, comme le montre de nombreuses expériences psychologiques. Elle est au contraire assez banale et illustre la plasticité de nos raisonnements par rapport à la rigueur logique. Ainsi que le réflexe d’assimilation aux valeurs du groupe. Le plus souvent la raison ne raisonne qu’en apparence et est un prétexte pour justifier nos idées préalables. Nietzsche, sur ce point, avait raison. La plupart du temps les conclusions sont déjà là, toutes faites, et fluctuent au gré des passions.
Or l’appartenance à une identité collective est l’une des plus fortes passions humaines. Et la religion est l’un des plus puissants marqueurs de cette appartenance collective. Plus fort que la nation, que la langue, que le football, et surtout plus pérenne. De plus rien n’est plus meurtrier que ce sentiment d’appartenance. Qu’on y réfléchisse. Sans identité collective, il est impossible de se faire la guerre. Comme reconnaître son ennemi ? Comme l’identifier ? Il peut bien y avoir des bagarres, mais tout combat organisé et durable entre deux entités suppose justement qu’il y ait deux entités reconnaissables. Supprimez les identités collectives, que les romantiques adorent. On supprimera la guerre.
Imaginons que tout d’un coup les Palestiniens oublient qu’ils sont musulmans et que les Israéliens oublient qu’ils sont juifs. Imaginons que les Irlandais du nord oublient qu’ils sont protestants et que ceux du sud oublient qu’ils sont catholiques. Même chose pour les peuples de l’ancienne Yougoslavie. Même chose pendant les guerres de religion. Dès cet instant, personne n’aura plus aucune raison de se battre et les armes leur tomberont des mains.
Oui, mais... C’est impossible bien sûr. L’identité collective est une constante du caractère humain. Certes. Mais faut-il pour autant l’encourager ? Beaucoup d’identités sont entretenues par la religion et mènent à la guerre. Des guerres d’autant plus terribles qu’elles peuvent être qualifiées de « saintes », et que, comme le disait Hitler, la religion est un outil formidable pour amener des hommes à mourir au combat. Constantin, ayant besoin d’une vision divine pour encourager ses guerriers à se battre, aurait choisi comme dieu celui des chrétiens, entrainant l’Empire Romain d’orient et d’occident dans la chrétienté.
Ainsi la religion est un outil formidable pour justifier des guerres et pour encourager à tuer et à mourir au combat. Elle est un outil puissant pour entretenir les querelles identitaires. Ses textes fondateurs encouragent les pires violences et défendent les principes les plus rétrogrades. Elle possède certes aussi une face spirituelle, pacifique et morale. Mais à l’examen, on s’aperçoit la plupart du temps que ce qu’elle contient de sagesse a été apporté par l’homme au cours de l’histoire, comme l’explique Richard Dawkins dans « The God Delusion (Pour en finir avec Dieu) ».
5. La responsabilité des élites religieuses
Pour son numéro anniversaire du massacre de janvier 2015, Charlie-Hebdo a mis en une un Dieu présenté comme coupable de ces tueries : « l’assassin court toujours ». Comme toute bonne caricature, elle déforme pour mieux révéler, et aussi pour réveiller. Oui, ils ont bien osé poser la question : « Et si, au-delà de l’islam et de l’intégrisme, c’est la religion elle-même qui avait une responsabilité dans cette violence ? »
Nous pensons qu’en effet l’ensemble des religions devrait s’interroger sur son rapport à la violence.
Les chrétiens et les juifs devraient assumer clairement la violence des textes fondateurs et cesser de la cacher sous le voile pudique des catéchismes ou derrière les contorsions des exégètes. Ils devraient admettre qu’ils ne sont que des reliques qui ne font pas loi. Dire le contraire justifie à l’avance la lecture des fondamentalistes. Assumer l’évolution de la religion par rapport aux textes fondateurs pourra aider les musulmans eux-mêmes à moderniser l’islam.
Les leaders musulmans devraient d’urgence oeuvrer massivement et activement pour une modernisation de leur religion et pour lutter contre les interprétations littérales. Il y a urgence. Y compris pour lutter contre les interprétations dites « quiétistes ». Car qu’est-ce qu’un salafiste quiétiste, si ce n’est un violent qui ne passe pas aux actes ? Les textes auxquels il croit sont violents.
6. L’opinion musulmane : une nécessaire introspection
Les musulmans ordinaires ont aussi un rôle à jouer. Cessons de croire que tout est de la faute des élites, ce serait leur assigner un trop grand pouvoir. Les « belles âmes », aussi bien intentionnées soient-elles, devraient arrêter de leur fournir des excuses toutes prêtes, elles ne leur rendent pas service. Ils doivent prendre conscience et s’interroger : « comment se fait-il que depuis si longtemps, certains de mes coreligionnaires musulmans, certes minoritaires, mais trop nombreux, adhèrent à une vision rétrograde de l’islam qui conduit à l’intolérance et à la violence la plus extrême ? »
Dire que les musulmans ne doivent pas se sentir responsables est absurde. Il est tout à fait normal que l’adepte d’une doctrine s’interroge à propos de ceux qui agissent mal au nom de celle-ci. Les démocrates s’interrogent à propos de la terreur révolutionnaire commise en son nom ou de la colonisation du monde menée par leurs aïeux. Les Allemands s’interrogent à propos du nazisme de leurs pères, les Français à propos du régime de Vichy, les Occidentaux à cause de la traite transatlantique des esclaves, les catholiques à cause de leur passé violent et intolérant. Pourquoi les musulmans seraient-ils les seuls à ne pas devoir s’interroger ? Bien sûr il n’est pas question de demander à chaque musulman ordinaire qui passe devant soi de se justifier, ni de le regarder d’un air soupçonneux. Mais les porte-parole ont le devoir de s’exprimer. Que dirait-on si le pape ne disait rien après des attentats dus à des intégristes catholiques ? Si aucun responsable occidental ne réagissait après des attentats perpétrés au nom de la « race blanche » ? Si les présidents français n’exprimaient pas leurs regrets sur le régime de Vichy ? Pourtant, nous n’étions pas nés à cette époque. Mais il est tout à fait normal de s’interroger et de condamner. Parce que cela peut revenir, et parce que cela se développe au sein d’une opinion, entité subtile et mouvante, dont nous sommes tous un peu responsables.
Les musulmans ordinaires ont une responsabilité dans cette opinion, comme tout le monde. De s’interroger : que penser du droit des femmes ? Du voile ? Des horaires des piscines ? Des homosexuels ? Comment concilier islam et droits de l’homme ? Comment penser la coexistence entre Juifs et Arabes au Moyen-Orient ? Dois-je continuer à respecter tous les rites et à chercher à imposer des contraintes aux autres ? Que penser des textes du Coran et de la Sunna ? Que penser de la vie de Mahomet ?
Chaque musulman possède, comme tout citoyen, une responsabilité dans le développement de cette entité subtile et importante qu’on appelle l’opinion. C’est elle qui prépare le terreau qui légitime les actes futurs et qui entraine cette sorte accord tacite que La Boétie appelait la servitude volontaire. Elle se développe avec ce qu’on dit, ce qu’on ne dit pas, avec le regard qu’on porte ou qu’on détourne. Au détour de chaque conversation. Les musulmans ont le devoir, comme citoyen, de ne pas fermer les yeux lorsqu’ils sont témoins de certains actes ou de certaines discussions. Tout cela forge l’opinion et autorise ou empêche certains comportements. Or il serait temps de se rendre compte qu’il y a peut-être quelque chose de délétère dans une certaine opinion musulmane. Il serait temps de se questionner. Il semble que certaines réactions quant à la liberté de caricaturer, la laïcité, le droit des femmes, l’évolution des espèces, la charia, la Shoah, soient spécifiques en termes sociologiques, c’est-à-dire statistiques, d’une certaine population musulmane. Cela ne présage en rien de l’attitude d’un individu en particulier bien sûr. Rappelons qu’une statistique ne fait qu’établir une moyenne, par des comportements individuels. Mais elle dit des choses d’une mentalité plus ou moins partagée au sein d’une catégorie d’individus.
Quand le recteur de la Mosquée de Paris Dalil Boubakeur disait, en phase avec de nombreux musulmans : « qui sème le vent peut récolter la tempête » (voir le reportage « Charlie 712 », France 5, 2’50) à propos de la publication des caricatures de Mahomet en France, il justifiait plusieurs années à l’avance la pire des violences. Il l’appelait. C’est comme s’il disait : « OK, c’est mal de commettre des actions violentes, mais quand même, vous pouvez y aller, on comprendra. Mais attention, je n’y suis pour rien moi ». Un tel discours est gravissime. Pour nous il vaut appel au meurtre. Certes, il n’est pas le seul. Le Pape François a justifié la violence de la même façon, ou pire : « s’il maudit ma mère, il peut s’attendre à recevoir un coup, c’est normal », a-t-il dit juste après le massacre de la rédaction de Charlie-Hebdo (déclaration devant des caméras de télévision, janvier 2015). Et bien non, ce n’est pas normal dans un état de droit, justement. Il est même scandaleux de dire une chose pareille. Le pape François et Dalil Boubakeur, avec les terroristes ? Décidément, la religion a un problème avec la violence. Certes la violence n’a pas toujours besoin de la religion, hélas. Mais trop souvent cette dernière la justifie à l’aide de son empire moral au lieu de lutter contre elle.
Il est heureux que depuis les attentats de novembre 2015, pour la première fois peut-être, on ait entendu clairement des musulmans de France appeler haut et fort à cet examen de conscience et à une réforme de la doctrine musulmane. Jusqu'ici, ces appels étaient confidentiels. Espérons toutefois qu’ils se développent. Désormais il appartient à tous les musulmans de s’interroger. De prendre conscience qu’ils ont, chacun à leur mesure, un rôle à jouer dans l’évolution de l’opinion, si importante dans le cours des choses. Avec toute l’aide et l’amitié des non-musulmans.
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