"Jacqueline de Romilly est venue me rencontrer dans un Salon du livre de Paris. “J’emporte avec moi Socrate, Platon et vos livres !”
m’a-t-elle dit. J’étais abasourdi. Par la suite, nous nous sommes
revus, nous sommes devenus amis. Un jour, je lui ai demandé : “Madame,
je vais vous poser une question embarrassante : où en êtes-vous dans
votre foi ? Excusez-moi pour cette question, je sais qu’un prêtre
français n’agirait pas de la sorte… mais je suis libanais.” Elle m’a répondu : “Mon
père, je suis au seuil. – N’y a t il pas moyen de franchir ce seuil ? –
Cela va être difficile. Je me suis fait baptiser en 1940… et puis
c’est tout.” Plus tard, elle m’a téléphoné pour me dire : “Père, pouvez-vous passer chez moi, je voudrais que vous me parliez du christianisme.”
Nos échanges étaient très libres et pleins d’humour. Elle s’est
confessée. Le jour de sa première communion, son regard était celui
d’une enfant de 10 ans. Elle m’a appelé plus tard pour me dire, avec
malice : “Père, vous êtes chargé de mon âme, désormais. Or, vous savez que je ne suis pas confirmée.”
Nous avons donc poursuivi ce cheminement ensemble. Il m’est arrivé à
plusieurs reprises de lui donner la communion. Après sa confirmation [à 95 ans, NDMJ], elle disait volontiers : “Je suis maronite, maintenant.” C’était une femme d’une éthique imperturbable. Elle ne trichait pas. » Père Mansour Labaky