Bonsoir Bernard,
Beaucoup de penseurs pensent que l’on est aujourd’hui dans l’ére post-moderne. Et nous sommes d’ailleurs dans une période de friction qui marque le passage vers cette ére. Je crois personellement que Mai 68 correspondait au début de ces frictions mais que nous vivons depuis dans des chocs continus : 1989 en est un autre, correspondant à la fin du communisme et donc à la fin des grands récits dont vous parlez avec justesse.
Oui, le monde vit aujourd’hui dans le présent, il ne cherche plus à se justifier par rapport à son passé (qui parait irrelevant à cause de la vitesse du changement) ni à se projeter dans le futur qui inquiéte. Nous vivons dans le présent jusqu’à nos formes d’expression comme l’art contemporain qui n’est plus ancré dans l’histoire de l’art comme l’art moderne l’était.
En fait, nous rentrons dans ce que Neil Postman a appelé « The Technopoly » : Les changements dans les moyens de communication rendent la mise en place de grands récits quasi impossible car la société ne peut plus se défendre contre le déluge d’information qui viendra attaquer tout grand récit (ce qu’il appelle le SIDA culturel). De plus en plus, l’état de notre monde devient justifié uniquement par l’état de l’art de la technique. Il faut prendre ici technique au sens large et ne pas englober seulement la technologie mais la démarche technicienne au sens large.
Des auteurs comme Postman ou Ellul semblent regretter cet état de fait qu’ils ont très bien saisis mais qu’ils condamnent. Pourtant tout n’est pas noir ou blanc :
- D’un coté cette nouvelle forme de civilisation nous apporte un confort sans précédent et un bon niveau de vie.
- Cette forme de civilisation est la seule à permettre un changement radical rendu nécéssaire par l’épuisement des ressources. L’esprit technicien va devoir tourner à plein régime pour nous fournir les outils dont nous avons besoins.
- Cette forme de civilisation, en annulant tous les grands récits aide à ce que la mondialisation se passe en paix.
- Rien ne dit qu’une fois le processus de friction terminés de nouveaux grands récits ne parviennent pas à voir le jour. Ils sont juste à écrire « from scratch » ce qui complique clairement la donne. Mais les textes de Richard Stallman sur le logiciel libre par exemple ne sont ils pas une façon d’apprivoiser la civilisation technique et de lui donner un sens supérieur ?
Une chose est sure c’est que ce changement sans précédent se produit également à une vitesse sans précédent. Mais il est finalement une sorte d’aboutissement logique de la période moderne et l’on peut se demander si finalement la période moderne ne correspondait pas aux frictions de la mise en place de ce nouveau monde. Nos arriéres petits enfants qui deviendront historiens pourront répondre à cette question, pas nous.