Lundi 16 mars 2020 : un échange
de courrier entre deux urgentistes alsaciens :
« Les équipes commencent à
s’épuiser, avec un absentéisme qui grandit, lié à des cas
positifs ».
« Il n’y a plus de place en
réanimation »
« Il va falloir faire des choix
sur nos critères d’admission », préviennent ces médecins,
qui évoquent « une mortalité majeure » en gériatrie.
Lisez ces témoignages terrifiants :
C’est le cri d’alarme de deux médecins
urgentistes du Haut-Rhin, lancé à leurs collègues des autres
départements, moins touchés, pour l’instant, par l’épidémie.
« Les multiples appels téléphoniques que j’ai eus depuis
trois jours semblent montrer que l’importance de la situation est
totalement sous-estimée », s’inquiète l’un d’eux, en poste à
Mulhouse, dans un échange interne en forme de supplique, que Le
Point a pu consulter. Il dresse un état des lieux désespéré de
la situation dans sa région et son établissement :
« Nous sommes à plus de quinze
jours de vraie phase épidémique dans le Haut-Rhin, plus précisément
dans l’agglomération de Mulhouse, et depuis trois jours, nous sommes
submergés aux urgences par un flux incessant de patients avec des
critères AEG [altération de l’état général], hypoxémie [manque
d’oxygène] important, pneumopathies bilatérales… Le taux
d’hospitalisation après passage aux urgences est de 40 %.
L’ouverture de lits Covid-19 ne suffit plus et [notre] établissement
est quasiment au bout des moyens qu’il peut déployer. Les lits de
réanimation sont saturés et il est impossible de trouver des
respirateurs pour ouvrir de nouveaux postes de réanimation »,
indique-t-il.
Avant de mettre en garde :
« Depuis hier [samedi 14 mars], la mortalité dans les secteurs
de gériatrie est majeure et les cas symptomatiques dans les
Ehpad sont très nombreux, occasionnant des difficultés sur les
choix à faire en régulation. Samedi, [s’est réuni] un
collège de spécialiste [réanimateurs, infectiologue, médecine
interne, pneumologues, gériatres, urgentistes] afin de fixer des
indications aux différentes filières et, plus clairement, les
critères [notamment d’âge] de limitation d’accès à la réa. »
« Les équipes commencent à
s’épuiser, avec un absentéisme qui grandit, lié à des cas
positifs, même si la solidarité est importante. Durant ces quinze
derniers jours, toutes les mesures que nous avons prises ont été
dépassées et sont donc insuffisantes le jour même où nous en
avons décidé, tant la cinétique [progression] est rapide. » À
nouveau, il tire la sonnette d’alarme : « Il est
primordial que chacun de nos établissements se prépare rapidement,
et profite de cette période pour anticiper tous les problèmes liés
à cette crise sanitaire sans précédent. »
L’un de ses confrères, en poste à
Colmar, a renchéri, trouvant les propos de son collègue mulhousien
« trop peu alarmistes ». « Nous avons deux à trois
jours de retard par rapport à Mulhouse, ce qui nous a
servi considérablement, mais malgré les enseignements
quotidiens fournis par leur situation et l’évolution du Samu 68,
nous sommes dépassés par les événements […]. Toutes les
décisions et les aménagements pris [déclenchement du Plan blanc le
11 mars, renfort, extension des lits en réanimation…] sont
obsolètes dans les douze heures qui suivent, et pourtant, nous
étions très prévoyants. En permanence, il manque 25 à 30 lits
[…] pour prendre en charge les patients, non pas dans des
conditions correctes, mais simplement dégradées. Les urgences ont
l’habitude de travailler dans ces conditions dégradées, mais, là,
nous sommes dans le dégradé du dégradé du dégradé, et nous
attendons encore une dégradation croissante, voire exponentielle
pour les quinze jours à venir. La mobilisation du personnel
tient pour l’instant à un fil, mais les éléments ne tiendront pas
avec des Covid+ chez les praticiens, les infirmières et les
familles des soignants, ce qui apparaît clairement. »
Dans le service de cet urgentiste, le
Covid concentre 95 % de l’activité. « En l’absence de
critère de gravité, tous les patients sont réorientés vers leur
médecin traitant, sans même entrer dans les urgences. On attend une
ouverture de trente lits Covid+ pour lundi 13 heures, mais
c’est excessivement loin [vu la situation] et, mardi, ce sera
plein », s’affole ce médecin, qui précise que « tous
les patients en réanimation médicale sont Covid ».
« Même si le personnel médical
et paramédical de nos urgences est formidable, et malgré un soutien
indéfectible de notre direction, c’est le matériel qui manque :
moins de 5 jours de stock en soins hydroalcooliques, moins
de trois jours de stock en masques FFP2, moins de quatre jours de
stock en masque chirurgical, plus de stock en surblouse, très peu de
stock en lunettes… Et des perspectives de réapprovisionnement dans
six à huit semaines ! ! ! ! ! Nous étions
centre de référence NRBC [proximité de la Centrale nucléaire de
Fessenheim], mais là aussi, nos stocks fondent à vue d’œil. »
Il prévient : « Nous sommes
au bout d’un système, il va falloir faire des choix sur nos critères
d’admission, non seulement en réanimation, mais tout simplement dans
une structure hospitalière. Tous nos décès de ce jour [dimanche
15 mars] sont Covid+. Préparez-vous, ainsi que vos personnels,
à cette vague majeure. Il y avait un avant Covid-19, il y aura un
après Covid-19 avec de très lourdes cicatrices », conclut-il
à l’adresse de ses collègues.
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