Utopie ou réalité : le revenu minimum d’écriture
Un million de personnes sont aujourd’hui au RMI en France (Revenu minimum d’insertion). Avant sa mise en place en 1986, quiconque aurait lancé l’idée de sa création aurait sans doute aussitôt été qualifié d’utopiste. Et pourtant, le RMI existe bel et bien, et se maintient en l’état. Certaines des personnes qui en bénéficient sont des romanciers, des auteurs qui n’ont pas forcément en tête d’accomplir les démarches d’insertion telles que se les représentent les assistantes sociales, mais de se réaliser dans l’écriture. Pour ces derniers, à moins de devenir scénariste de film ou de série télé et de bénéficier du régime intermittent, ce qui n’est certes pas donné à tout le monde, il n’existe aucun dispositif adapté. Pour eux, on pourrait créer un Revenu minimum d’écriture (RME).
Un
peu avant les élections présidentielles, le site fluctuat.net
relançait l’idée de l’économiste Thierry Alembert d’un revenu minimum
d’écriture. 400 euros par mois pour quiconque peut faire la preuve d’un certain
nombre de pages écrites annuellement. Non cumulable avec le RMI ou l’allocation
spécifique de solidarité, évidemment. Cependant, « le RME pourrait (...)
être cumulé dans une proportion à déterminer avec une activité commerciale ou
d’intérêt général (cours du soir, soutien scolaire, travaux d’écrivains
publics). » Une mesure qualifiée d’« imbécile » chez Fluctuat,
le billet, ironique à souhait, l’évoquant sous le couvert d’un tag
« élucubrations ».
Pourtant,
un tel dispositif correspondrait à mon avis à une réalité. Posons-nous en effet
la question : qu’existe-t-il actuellement pour aider les auteurs et
romanciers ? Réponse, les aides à l’écriture du Centre national du livre
(CNL). Quels en sont les critères ? Etre publié en magazines (nouvelles)
ou diffusé en librairies (romans). Des critères qui ne sont évidemment plus en
phase avec la réalité du marché, et notamment l’essor de la vente de livres sur internet et de l’autopublication via les nouvelles technologies telles
l’impression à la demande ou la numérisation des ouvrages. Ne l’oublions pas,
l’espace physique des librairies est restreint. En outre, les éditeurs les plus
puissants négocient auprès des libraires la présence de catalogues de livres en
échange des ouvrages les plus vendeurs. C’est ce que l’on appelle les offices.
En clair, si vous êtes libraire et que vous voulez Harry Potter, il vous
faudra accepter un certain nombre d’autres ouvrages moins vendeurs du même
éditeur. Autant de place en moins pour les petites maisons d’édition ou les
auteurs autoédités. Les heureux élus qui bénéficient de l’aide du CNL ne sont
donc clairement plus représentatifs de la globalité des auteurs.
Quelle
forme pourrait prendre le RME (ou RMA pour revenu d’auteur ou
d’activité) ? Quels en seraient les avantages et contraintes ? Je
verrais deux critères possibles d’éligibilité : une formule light qui
s’adresserait uniquement aux bénéficiaires actuels du RMI ou de l’allocation
spécifique de solidarité (ASS) ayant déjà publié au moins un ouvrage
autopublié, à compte d’auteur ou à compte d’éditeur dans les trois ans et ayant
un projet d’écriture en cours. Il faudrait que les auteurs en question aient
fait l’effort de donner la possibilité aux lecteurs d’acheter leur livre, ne
serait-ce que sur internet. Ainsi, on est sûr de ne pas faire perdre d’argent à
la société et peut-être même de lui en faire gagner puisque le montant du RME,
400 euros, quoique supérieur à l’ASS est inférieur au RMI. Les auteurs seraient
simplement basculés de l’ASS ou du RMI au RME. Plutôt que d’être mis en marge
de la société et qu’on leur demande des efforts improductifs d’insertion, les
auteurs sont alors considérés comme des éléments productifs et actifs. Ils
regagnent ainsi leur dignité et peuvent injecter de l’énergie positive dans
l’économie. Demandez aux assistantes sociales s’il est facile de réinsérer des
personnes qui ne vivent que par et pour l’écriture...
La
formule étendue comprendrait également les conjoints ne pouvant percevoir le
RMI ou l’ASS à cause des revenus de leur moitié, et ne générant pratiquement
pas de ressources par eux-mêmes. Cette formule serait plus juste, mais plus
onéreuse.
Quelles
seraient les contraintes ? Il faudrait donc avoir été publié ou autopublié
dans les trois ans et avoir mis son livre en vente, ce qui limite forcément le
nombre de bénéficiaires, et avoir un projet d’écriture en cours. Un organisme
de type Société des gens de lettre vérifierait la production annuelle (et non
mensuelle, pour tenir compte des auteurs victimes d’une panne d’inspiration sur
un mois) des auteurs. Les seuils de productivité devraient évidemment être
discutés par la profession, mais j’estime que sortir un livre tous les deux ans
et écrire entre 300 000 et 350 000 signes par an serait le minimum
pour continuer à bénéficier du RME. L’organisme en question ne se prononcerait
que sur la cohérence et l’aspect fini des œuvres, il devrait se déclarer
incompétent pour juger de leur qualité intrinsèque. De puissants logiciels tels
ceux utilisés par les professeurs seraient mis à contribution pour détecter
d’éventuels pillages et spoliations d’écrits que l’on trouve sur internet.
Le
gouvernement et, à terme, la société, reconnaîtraient ainsi enfin l’existence et
le travail des auteurs, lequel ne serait plus considéré comme une activité
annexe comme c’est le cas actuellement (98 % des auteurs ont une activité
rémunératrice en dehors de l’écriture), mais bien comme un véritable métier. Car
pour l’instant, la société ne tient compte que des réussites littéraires, mais
pas des innombrables cafouillages et tâtonnements qui servent à produire un
jour ces réussites. C’est aussi négliger qu’une réussite littéraire (même quand
elle provient de l’étranger, car il ne faut pas oublier la TVA) va bénéficier à
la société, de par toutes les activités annexes qu’elle génère : adaptations de
romans en film, avec la fabrication ultérieure de DVD et de CD de musique qui
en découlent, de jeux vidéo, de figurines ou de jouets tirés des personnages ou
de l’univers du livre, de tee-shirts, sacs et tous les autres produits dérivés
imaginables des licences à succès.
N’oublions
pas non plus que les auteurs autoédités sont de plus en plus nombreux à arriver
sur le marché. Si la société lulu.com a
pu doubler son chiffre d’affaires depuis son arrivée en France, c’est en grande
partie grâce à eux. Ce que l’on appelle communément la longue traîne, les
petites ventes démultipliées, rapporte donc énormément d’argent, et participe
de l’économie. A partir du moment où ils cherchent à vendre ce qu’ils
produisent, les auteurs, quels qu’ils soient, jouent donc leur rôle.
Aujourd’hui,
c’est dans les mentalités que la révolution doit se faire. Pourquoi en effet ne
pas faire baisser les chiffres du RMI et transformer ce qui est énergie
négative en énergie positive ?
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