Excellent article de Eric Verhaeghe qui vient pile poile accréditer mes propos !
Les
initiés ne parlent plus que de cela : une méchante rumeur dit que la
dette française serait attaquée sur les marchés financiers au lendemain
de l’élection présidentielle. En particulier, il semblerait que
des banques américaines s’apprêteraient à vendre massivement des
obligations convertibles du Trésor français pour déstabiliser les
spreads, c’est-à-dire l’écart de taux avec l’Allemagne.
Intox ou rumeur fondée ? Personne ne peut le dire.
Mais il est à peu près sûr que l’état de grâce dans lequel la campagne
présidentielle s’est déroulé, en mettant la poussière de la dette
publique sous le tapis des promesses électorales, ne pourra durer plus
longtemps que le scrutin lui-même. La réalité va nous rejoindre au
galop.
Très vite donc, c’est-à-dire dès le
lendemain de son élection, le nouveau président, quel qu’il soit, devra
s’attaquer, dans le dur, et sans session parlementaire pour agir par la
loi, aux mesures impopulaires. Selon toute vraisemblance, les marchés
auront soif, non seulement d’équilibre budgétaire, mais aussi de
réduction des dépenses publiques.
Dans
l’hypothèse où un président de gauche serait élu, de quelle marge de
manoeuvre disposera-t-il pour mettre en place une politique économique
éloignée des objectifs fixés par les marchés ? La question
reste ouverte. Et risque de poser un véritable problème en termes
démocratiques : comment réagir si les places financières dictent aux
Français des choix contre lesquels ils se seront exprimés par la voix de
l’élection ?
L’exercice, dans ce cas de
figure, ne manquera pas d’intérêt. Car, si les sondages se vérifient, il
est plausible que François Hollande remporte les élections avec un
soutien majeur provenant du Front de Gauche dont les principes affichés
sont assez éloignés des diktats boursiers. Le mouvement de pédalo ne
manquera pas de piquant, avec, à babord Jean-Luc Mélenchon appelant à la
confiscation des biens des émigrés, et à tribord des marchés avides de
spéculation sur la dette française.
Contrairement
à l’expérience de 1981, la gauche ne disposera donc d’aucun état de
grâce pour gouverner, et sera très vite confrontée aux circonstances
économiques qui l’avaient conduite au grand tournant de la rigueur en
1983. Une belle revanche de l’histoire, puisque François
Hollande appartient à cette gauche moderne qui, à l’époque, fit le choix
précurseur de libéraliser les marchés financiers à outrance, de
déréguler l’industrie bancaire, et de rejeter dans la ringardise tous
les idéaux dont le Front de Gauche a fait aujourd’hui son fonds de
commerce.
L’ironie de l’histoire
sera peut-être là : ceux qui, en 1984, ont adopté la loi bancaire grâce à
laquelle la France a pris, avec la Grande-Bretagne, la première place
mondiale dans l’indu strie de la finance, pourraient très bien aussi
être ceux qui devront gérer les conséquences de leur engouement d’il y a
trente ans.
Puisque la France a réussi l’exploit de ne pratiquement pas renouveler son personnel politique pendant cette période.