Toute ma sympathie au frère de Patrick et à sa famille.
Je suis allé voir le compte rédacteur de Patrick et j’ai trouvé quelques rares articles qui avaient été réfusés. Parmi eux, un est bien intéressant, même si un peu polémique, car il montre bien le rapport que Patrick entretenait avec le désert. Le titre aussi est tout un programme... Bonne lecture.
« La lune n’est pas une vierge arabe que ces salauds d’Américains sont allés déflorer »
Devrais-je présenter des excuses pour mon ton jugé « néo Bigeardien » par certains, à propos de mon commentaire un peu vif concernant l’article de Monsieur Kalima qui cherchait, après tant d’autres, à s’époumoner dans le désert ? Peut-être aussi me couvrir de cendres ? Déchirer ma tunique ? Et puis... un apéro de la repentance, ça se porte pas mal par les temps qui courent, avec des olives fourrées aux amandes ou aux anchois et de ces petites choses délicieuses au paprika qui agacent les gencives - excusez je délire, car il y a pas mal de temps que je n’ai pas eu le plaisir de goûter à ces menus plaisirs - et chacun rentre chez soi, fier du devoir accompli...
Je tente une explication.
Oui, j’ai réagi de façon viscérale à un texte qui partait très certainement d’un bon sentiment, je n’en disconviens pas, mais c’est peut-être parce que précisément il me semblait dégouliner de trop bons sentiments pour rendre compte d’une réalité que je côtoie depuis des années et qui mérite sans doute un autre traitement qu’une récupération identitaire, aussi poétique soit-elle.
Ainsi, c’est avec mes tripes qu’en un cri j’ai dit : « Moi, Monsieur, dans le désert, j’y vis ». Il n’y avait rien de particulièrement martial ni accaparateur à cette réaction, peut-être un peu d’empressement, car le sujet me tient à cœur.
Eh oui... j’en ai assez, et plus qu’assez même, d’entendre la même accumulation de poncifs qu’on se trimbale derrière nous depuis des lustres dès qu’on touche au désert : le désert, c’est grand, c’est immense, donc c’est divin... Et nous, on se sent tout petits devant lui... Pourquoi devrais-je me priver du plaisir de gueuler dans le désert (littéralement et en français dans le texte) : « Y’en a marre ! ». Je pense en avoir le droit, même et surtout si les gardiens du politiquement correct cherchent à me clouer le bec.
Je vais encore choquer certains mais, le désert, c’est mon truc depuis pas mal de temps. Ça serait presque mon prophète à moi, sans les sentences et les prosternations. Alors qui si frotte s’y pique, mais je n’émets pas de fatwa. Le désert, c’est à moi depuis des années. Je l’ai apprivoisé comme il m’a apprivoisé. Et, de même que je me suis approprié la place de la Concorde durant les années où j’ai vécu à Paris, je me sens aujourd’hui le droit de me l’approprier, non comme un bien personnel (pas totalement fou le gus quand même...) mais plutôt comme une relation privilégiée, voire amicale ou amoureuse suivant les jours. D’autant que je m’efforce de le restituer dans son authenticité et non pas au travers d’un amas de siruposeries (encore un terme pompeux, pas vrai ?) qui colle à ses dunes ou à ses falaises de grès noir, comme le morceau de scotch au doigt du capitaine Haddock.
Le texte de monsieur Kalima semblait prétendre que la lune est une vierge de l’Arabie Heureuse que ces salauds d’Américains sont allés déflorer...
Le désert, s’il vous plaît, arrêtez de le prendre en otage pour vos démonstrations d’humanisme, de mysticisme glauque ou vos délires d’authenticité perdue, cultivés à l’abri des vitres en triplex d’une brasserie parisienne ou de province.
Le désert, ce n’est pas ça, pas ça du tout. Ni pour ceux qui y vivent, ni pour les gens de passage. Le désert, c’est un peu de chacun de nous. Juste un peu de vérité par rapport à nous-mêmes. Une vérité qu’on ne découvre jamais mais qui finit, elle aussi, par se laisser apprivoiser, pour nous consoler à peine quelques instants et nous éviter d’avoir le sentiment de mourir trop cons. Alors laissez-le respirer tranquille, sans le revendiquer comme des enfants qui se disputent un gadget quelconque dans la cour de récréation en criant : « c’est à moi, je l’ai vu le premier... »
J’ai toujours été fasciné par l’hésitation et le doute qui ont retenu Saint-Exupéry à la première ligne de Citadelle, incapable de trancher entre deux phrases à la puisance évocatrice qui lui permettaient d’ouvrir cet ouvrage sur deux représentations du monde distinctes mais indissociables, car elles sont la part du drame et de la jouissance de la vie que nous portons en nous. L’une disait : « J’étais seigneur Berbère et je rentrais chez moi ». L’autre : « Car j’ai vu trop souvent la pitié s’égarer ». Je suis toujours aussi étonné d’être en situation de pouvoir me dire, presque chaque jour, que je vis au cœur de cette articulation.
Je ne veux pas faire de peine inutilement à monsieur Kalima, mais personne ne vient plus clamer sa foi dans le désert. Et surtout pas les Saoudiens car ils viennent plutôt pour chasser les dernières outardes qui trainent encore dans le coin, les étourdies..
Psichari, c’est fini et bien fini, Dieu merci !
Rimbaud n’a rien écrit sur le désert... Intéressant non ?... Pourtant, il y a déjà tout dans « Une saison en enfer »... Même les vierges. Enfin, les vierges folles...
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