En
y réfléchissant, nous – ceux de ma génération – sommes des
survivants ! Eh oui, avec la vie qu’on a eue, rapporté aux
standards actuels, nous devrions être morts depuis longtemps !
Quand
j’étais miston, il y avait des peintures au plomb partout et les
tuyaux d’adduction d’eau étaient aussi en plomb. Ça faisait de
jolies hernies quand il gelait, alors on appelait… le plombier !
Les prises électriques étaient évidemment sans protection, les
fils de la lampe pendaient, les isolants étaient en bois et, bien
sûr, il n’y avait pas de prises de terre. On
se chauffait au charbon dans une seule pièce et il n’y avait pas
d’aération, sauf par les portes et fenêtres bancales. On
allait s’alléger dans « la cabane au fond du jardin ».
On
mettait l’eau de Javel, le permanganate et le crésyl (produits
indispensables et courants à l’époque) dans des bouteilles de
pinard vidées généreusement. Quant aux quelques médicaments
(vermifuge Lune, Alunosal,
élixir parégorique, cachets d’aspirine « Usine
du Rhône », etc.) ils étaient sur l’étagère de la
cuisine, à côté de la boîte à sel et de la bouteille d’huile.
Quand on avait des poux on nous
saupoudrait généreusement de DDT.
On
buvait l’eau au robinet ou à la pompe dans la rue, et non des
bouteilles cachetées. On bouffait du pain, du beurre quand il y en
avait, des gâteaux bien sucrés et on n’était pas obèses pour
autant parce qu’on se bougeait le cul.
On
jouait, quand il n’y avait pas école dans la rue, dans
les terrains vagues, au bord du Rhône. On
fabriquait des traîneaux à roulements avec des planches et des
roulements à billes et on descendait à fond la caisse. Les gamelles étaient
nombreuses et ça nous apprenait à vivre. Les
genoux et les coudes écorchés étaient
soignés à l’eau oxygénée, à l’eau
d’Alibour
et au mercurochrome rouge !
On
grimpait aux arbres, aux poteaux et on se cassait parfois
un bras ou quelques ratiches sans faire d’histoires ni porter
plainte contre le maire.
On
avait plein de potes partout : il suffisait de sortir dans la
rue, tous les gosses étaient là, c’était notre terrain de jeux. On
rentrait chez nous à la nuit sans que nos parents ne se tracassent
la tête.
À
l’école, dans nos classes à 40 élèves, quand un mec ne
suivait pas, on l’aidait et s’il était trop branque, il
redoublait. Sans que les « parents d’élèves » ne
s’offusquent. Et si on était trop chiants et que le « maître »
nous traitait par la podoculothérapie, les parents non seulement ne
le faisaient pas mettre en taule, mais ils redoublaient la sanction
podoculesque !
Pareil
pour les gardes champêtres qui nous coursaient quand on
faisait des konneries et nous secouaient le matricule sans qu’on
soit pour autant des « victimes de la société ».
Ados,
à l’âge où ta console de jeux c’est ce que tu as dans le
calbar, nous avons connu les premiers émois en découvrant
l’autocoït palmaire en lorgnant les rondeurs des femmes localement
floutées de
la
revue
Paris-Hollywood…
Et
les bagnoles, plus tard, nos vieilles Deuches ou 4L n’avaient ni
ceintures ni air bag, quant aux freins ils étaient plus que douteux.
Et
ne parlons pas du nombrenconséquent de verres de vin que nous
avons
bu tout au long de nos
décennies d’existence ! Bien au-delà du "premier
verre qui donne le cancer".
Pensez
donc, on n’avait pas de portables ! Et même pas de nintendo,
de play station, d’ordinateurs, de baladeurs, de télé 80
chaînes, etc. Quelle triste vie ! Et
pourtant on a survécu !
On
avait la liberté, on assumait les risques, on acceptait les échecs,
on jouissait des succès, on était responsables !
Je me rends compte que normalement, avec une vie aussi « risquée »,
un environnement aussi « hostile », des façons de vivre
aussi « aberrantes », je devrais être mort depuis bien
longtemps !
La
vie c’est quelque chose de fantastique. Tout est bon, même les
emmerdes. Les emmerdes font partie de l’aventure. L’aventure
c’est résoudre tous les jours les problèmes qui nous sont
proposés voire imposés. Même si c’est compliqué il faut les
résoudre. Il faut s’adapter, tout le temps. Et actuellement, je
vis avec ma compagne encore une drôle d’aventure…