Tout à fait d’accord avec vous, Paul, les sondages sont nos nouveaux oracles. Et tout oracle appelle son haruspice, expert en déchiffrement de l’obscure parole divine. Les fameux politologues tiennent assez bien lieu de déchiffreurs des non moins fameuses données brutes, qui comme chacun sait, sont volontiers corrigées des variations saisonnières, à l’image de l’interprétation de l’antique vol des corbeaux dans le ciel, corrigée par le temps qu’il faisait.
Il n’est pas indifférent de noter que les économistes sont également experts en décodage de chiffres, c’est-à-dire à proprement parler, en déchiffrage. Et que sur les mêmes chiffres, leurs avis divergent de façon proverbiale. Bernard Maris a déjà glosé sur cette convergence entre devins antiques et experts économiques actuels.
Et il est encore moins indifférent de relever que dans tous les cas, c’est le chiffre qui sert de fuligineuse matière première à leurs vaticinations. Au Moyen-Âge, Dieu, silencieux, parlait par la bouche des prêtres ; aujourd’hui, Dieu, plus bavard apparemment, mais gâteux, laisse échapper des chiffres informes dont des voyants informés assurent la traduction arrogante, au service d’un pouvoir non moins secret.