A mon avis, nous vivons une bonne politique de la "patate chaude" avec les enfants. Les parents démisionnent, et "collent" leur bambins aux profs, pour les éduquer (alors que les profs ont mission d’instruire, et ce n’est pas pareil). En cas de pépin, c’est la faute du prof si le gamin devient violent (réaction typique : "après tout, il n’a qu’à tenir sa classe, ce gros fainéant toujours en grève").
De l’autre côté, la hiérarchie sort le parapluie au premier nuage dans le ciel de la classe. Ainsi, j’ai une amie qui est prof au collège. Elle a des élèves turbulents, qui passent leur temps à foutre le bordel, empêchant le cours d’avoir lieu, et compromettant du coup aussi l’avenir de celles et ceux qui voudraient travailler. Cette amie envoie le meneur chez le proviseur. Retour du proviseur "ce n’est pas mon problème, gérez vous-même vos élèves". Quelques jours après, elle exclut de nouveau l’élève, et le place sur une chaise dans le couloir, pour pouvoir au moins tenir son cours. Passe le sur-gé, qui entre abruptement dans la classe, lui demande ce que l’élève fait dans le couloir, et lui intime l’ordre de le réintégrer, parce qu’un élève ne doit pas se trouver seul sans surveillance, et qu’il fera un rapport au proviseur !
Que lui reste-t-il comme mesure coercitive ? Distribuer des colles le samedi matin. A condition, bien sûr qu’elle vienne elle-même assurer la surveillance de ses collés. Quand on connait la charge de travail des profs avec la préparation des cours, les cours, les corrections des devoirs (au demeurant de plus en plus illisibles, écrits en phonétique, voire carrément en SMS !), on se doute que le samedi des profs est libre pour assurer les fonctions normalement dévolues aux pions.
Démission des deux côtés, profs pris en sandwich entre deux je-m’en-foutismes. Entre l’angélisme de l’éducation nationale, et des parents qui ne sont plus un exemple (comment l’être quand le gamin voit sa mère, parent isolé, trimer jour après jour entre petits boulots et temps partiels pour sortir à peine de quoi payer le loyer et faire les courses chez Lidl ? Comment l’être quand le foyer est bouffé de l’intérieur par la vie morose d’un père chômeur de longue durée et une mère au RMI ? Comment l’être quand l’argent facile coule à flot à la maison, résultat d’une réussite professionnelle que les parents transmettent à leur progéniture en résolvant les problèmes par un "tiens, prends 20 euro et amuse-toi").
Notre société nombriliste tourne uniquement autour de la jouissance immédiate, au détriment de la construction du désir (qui lui, exige patience, abnégation et travail). L’autorité a disparu, qui consiste à abandonner volontairement une part de sa liberté pour suivre les préceptes de celui en qui l’autorité est placée ; l’autorité est substituée par le pouvoir, qui est un jeu de forces brutes. L’autorité nécessite éducation et civisme, car sans cela, impossible de consentir à l’abandon d’une part de sa liberté, pour l’établissement du bien commun. Le pouvoir est la jouissance immédiate de l’exercice d’une force brute sur des êtres qui n’y consentent pas. Le pouvoir n’a d’autre limite qu’un pouvoir plus fort. Les cours de récré sont devenues des lieux de pouvoirs, quand bien même elles devraient être des lieux d’autorité.
La faute à qui ? A nous tous, qui suivons les préceptes d’une société hédoniste et égoïste. Les exemples sont nombreux dans la philosophie, depuis l’antiquité, qui nous ont appris que la vie en société exige de trouver l’équilibre entre la liberté individuelle conçue comme respect de soi et des autres (Rousseau), et l’amalgame de personnalités égoïstes attachées à leur propre jouissance (Mandeville, premier des "libéraux"). Nous avons dérivé vers une exacerbation de ce dernier pôle, au détriment du premier. Nous voulons tout, tout de suite, sans condition. Et nos enfants en sont les premières victimes, mais pas les seules. La pollution, la bêtise télévisuelle, la violence sociale, le désintérêt pour les autres, la vogue des marques, tout cela participe du même mouvement : la divinisation de la jouissance immédiate.
Seul un retour de balancier vers un autoritarisme moral pourra nous sortir de là. A nous dès lors de le maîtriser suffisament pour ne pas retourner en arrière, vers la rigidité de l’époque victorienne. Cela passe par l’enseignement précoce des principes fondamentaux de la dignité, de l’autorité, de la vie en société. Et quoi qu’en disent certains, cela est purement du domaine de la morale laïque, qui pose les principes comme extérieurs à toute contingence, donc à toute religion.
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