Vous avez infiniment raison de signaler ce fait tant qu’il reste anecdotique... avant qu’il ne se généralise !
Voilà des années, vers 1986, confrontée dans notre collège de province aux prémices de ce qui devint "La violence et l’échec en milieu scolaire", et aux débuts de l’absentéisme de certains enfants, j’avais monté un projet sur mesure pour ces gamins. C’était l’époque du grand slogan de la LUTTE CONTRE L’ECHEC SCOLAIRE.
Mes postulats initiaux étaient les suivants : s’ils se rebellent, c’est qu’ils ont des réserves d’énergie qu’il convient de canaliser, (ils ne sont pas encore totalement "cassés"), c’est que ce qu’on leur demande est incompatible avec leurs capacités et leurs besoins (ils avaient autour de treize ans et leur niveau scolaire frisait celui du CE2/ CM1... mais ils étaient en 5° !) ; s’ils s’absentent (pour des raisons souvent couvertes par les parents, mais incohérentes), c’est que, pour eux, dehors est bien mieux que dedans... C’est donc en allant voir dehors avec eux qu’il est possible de comprendre leurs centres d’intérêt pour mieux les faire entrer.
Ce projet, je l’avais intitulé : "Cheminement particulier", en référence à certaines pratiques québécois pour les enfants en échec et les enfants de migrants.
J’ai donc couru la campagne (c’était en zone rurale, proche d’une capitale régionale) avec eux. Là, j’ai découvert des gamins adorables et possesseurs d’un savoir dont l’école n’avait rien à faire. C’est sur ce savoir que je me suis appuyée pour bâtir mon programme. Ils connaissaient bien des plantes, bien des oiseaux, bien des poissons... étaient capables les nommer, de parler de leurs séances de braconnage (en particulier pour la pêche aux anguilles, aux grenouilles)... Ils avaient le sens de l’orientation...
Le plus difficile, pour moi, en tant que prof de lettres, a été de trouver les textes en phase avec leurs intérêts et de les conduire à écrire ce dont ils savaient si bien parler et de leur faire admettre la nécessité de connaître la grammaire et l’orthographe.
Les débuts ont été durs, mais les résultats ont dépassé mes propres attentes. Le plus délicat a été de les persuader qu’ils n’étaient pas des "nuls"... de restaurer l’image qu’ils pouvaient avoir d’eux-mêmes, de leur faire admettre que si je les avais regroupés ainsi, c’était pour les aider, non pour les "punir". (Tous étaient de milieux défavorisés, certains étaient fraîchement immigrés, et tous vivaient mal leur statut dans l’institution scolaire... pour la plupart, ils avaient l’habitude d’avoir été mis à l’écart et livrés à eux-mêmes.)
Le rectorat, informé du projet (mené contre l’administration de l’établissement qui trouvait vraiment inutile de mobiliser une équipe pour 18 élèves qui ne méritaient pas qu’on s’intéresse à eux, mais avec le soutien des fédérations de parents d’élèves), a dépêché une inspectrice pour voir ce qui se faisait réellement. Elle a trouvé l’expérience passionnante... mais les crédits n’ont pas suivi, et en dehors de ces 18 élèves, d’autres n’ont pu bénéficier de ce "traitement" pourtant salutaire. (Je précise qu’à deux près, tous ont obtenu un diplôme professionnel après le collège et certains ont intégré le lycée. Deux ont eu un diplôme de l’enseignement supérieur, un a eu un BTS).
Si je rends compte de cette expérience, c’est simplement pour montrer que des solutions existaient mais que c’est le système lui-même qui se voilait la face et ne voulait pas faire l’effort de les rechercher ou de les appliquer... C’est vrai qu’il est plus simple d’offrir une place de cinéma à celui qui consent à venir au collège ou au lycée que de lui donner une véritable formation... cela coûte moins cher !