"Parent
pauvre de la construction européenne, le Parlement européen a acquis
progressivement des pouvoirs significatifs : de simple assemblée
consultative en 1951, il négocie aujourd’hui le contenu des directives
et règlements de l’Union avec le Conseil des ministres, c’est-à-dire
les Etats membres. Il peut en modifier le contenu et les rejeter
(co-décision). Il vote le budget européen et approuve enfin le nom du
président de la Commission et la composition de l’« exécutif » dans son
ensemble. Mais ces prérogatives ne suffisent pas à faire du Parlement
européen une véritable assemblée législative : il n’a pas l’initiative
des « lois » (directives et règlements) car c’est la Commission qui
décide de l’opportunité de soumettre un texte un texte au vote et qui
en détermine le sens. En outre, son pouvoir de « co-décision » est
écarté de matières sensibles comme la justice ou les affaires
intérieurs, la fiscalité et la politique étrangère. Enfin, si les
députés peuvent modifier les dépenses de l’Union, ils ne peuvent en
décider les recettes ; ils peuvent rejeter la composition de la
Commission, y compris son président, mais ne peuvent eux-mêmes proposer
des noms. Le Parlement semble pris en sandwich entre la Commission et
les Etats membres.
Tous les pouvoirs du Parlement lui sont chichement comptés. En
effet, depuis l’origine, sa légitimité est contestée. D’une part, Jean
Monnet avait fait de la Commission l’organe central de décision car son
modèle était celui de l’expertocratie. Pour lui, la technocratie était
un gage d’efficacité quand les discussions politiques sont aléatoires
et font perdre du temps. L’assemblée a été rajouté à la demande
certains Etats membres sans pour autant redessiner le schéma global des
institutions, inchangé depuis cinquante ans. Et ce, malgré
l’accroissement des compétences transférées à l’Union et celui du
nombre d’Etats membres.
Plus profondément, en l’absence de « communauté politique
européenne » (sans même parler de « peuple européen ») où l’on se sent
partager un destin commun dont on peut discuter avec une certaine
clarté, de quoi le Parlement est-il le représentant ? Il n’existe aucun
espace public européen qui permettrait de faire émerger de manière
crédible l’intérêt général de l’Union : les députés sont élus sur des
questions nationales, s’expriment dans des langues différentes ce qui
fait que leurs collègues n’entendent, la plupart du temps, que la voix
monocorde des traducteurs. Ils arrivent souvent à Bruxelles et
Strasbourg (les deux villes où siège le Parlement européen) avec des
préoccupations toute nationales ou même régionales. La très grande
technicité des questions, liées à la réalisation du marché commun,
achève d’annihiler tout débat sérieux sur le devenir de l’Union. A cela
s’ajoute que le clivage droite/gauche ne joue qu’un rôle marginal dans
le fonctionnement du Parlement : le Parti socialiste européen (PSE) et
le Parti populaire européen (PPE) se partagent le pouvoir dans
l’assemblée et votent ensemble les directives et les règlements. Dans
cette perspective, la construction européenne a un effet dépolitisant.
Le fameux « déficit démocratique » (en fait le manque de démocratie)
jette un doute sur la légitimité des décisions européennes. Si chacun
s’accorde à reconnaître ce problème (ce qui n’a pas toujours été le
cas), il n’y a pas de consensus sur la manière de le résoudre. En
effet, la solution dépend de la réponse à cette question : où se trouve
la légitimité démocratique dans l’Union ? Dans les Etats membres ou au
niveau de l’Union ? Quand les peuples français, néerlandais ou
irlandais rejettent un traité que le parlement européen approuve, qui a
raison ? Et quand le Parlement européen demande qu’on passe outre ces
votes nationaux, en a-t-il vraiment la légitimité ? La démocratie n’est
pas, en effet, une simple affaire de procédures. Il ne suffit pas de
voter, il faut que cela ait un sens. Devrait alors s’ouvrir un débat
sans cesse remis à plus tard : pour démocratiser l’Union européenne,
faut-il augmenter les pouvoirs du Parlement (ce qui suppose résolue la
question de sa représentativité) ou bien faut-il renforcer les
contrôles effectués dans le cadre des Etats membres, notamment par les
parlements nationaux (ce qui suppose de clarifier les compétences des
uns et des autres) ? Les derniers traités adoptés font un peu des deux
sans que la démocratie y trouve son compte."