Je vous conseils une des meilleurs critiques du livre « la route », traduite dans plusieurs pays que jamais « bien sûr » le film ne fait ressortir car la route est avant tout une langue, une poésie minimalisme...
Lien ici de stalker mis ci-dessous pour sa version littéraire et la critique du Film lien ici
Je dédie ce texte à la mémoire de Vincent Murlin. Puisses-tu, sur la route blanche, trouver un peu de chaleur et de réconfort.
Bien sûr, La route de Cormac McCarthy évoque l’écriture
dépouillée (non pas pauvre) du premier Hemingway, celle du dernier
Beckett, toute remplie de silences, ces derniers semblant parfois
occuper plus de place que le texte lui-même, les souvenirs des plus
noires tragédies de Shakespeare (mais aussi le génial foisonnement de
sa langue, c’est un point qu’André Bleikasten, qui sans doute ne sait
pas lire l’anglais, mésestime gravement), les images au symbolisme
démoniaque que Conrad dispersa, comme autant d’énigmes insondables, le
long du fleuve lentement remonté par Marlow, l’errance des personnages
des Raisins de la colère de Steinbeck, la certitude que la barbarie ne peut être vaincue par le progrès comme l’évoque Sa Majesté des mouches
de Golding, la fragilité extrême du voile qui, justement, nous sépare
de cette barbarie, enfouie sous un vernis de bons sentiments et de
technologie, comme le rappelle L’île du docteur Moreau (et aussi La Machine à explorer le temps et La guerre des mondes) de Wells mais c’est avant tout des précédents romans (1) de Cormac McCarthy que La route s’est nourri, surtout de No Country for Old Men.
Les toutes dernières lignes de ce roman, évoquant le rêve du shériff
(redevenu jeune enfant, il accompagne dans la nuit son père qui, avec
une lampe rudimentaire, s’enfonce dans les ténèbres), semblent annoncer
l’aventure qui se déroule dans La route.
Il reprend aussi son écriture tendue, remarquablement précise,
superbement concise, sans toutefois adopter son rythme échevelé, ne
renonçant pas non plus à évoquer, de façon plus ample qu’il ne l’avait
fait dans ce précédent roman, la sombre beauté d’un monde ravagé ni
même à délaisser quelques instants la description de l’errance de ses
deux personnages : alors l’écriture de McCarthy retrouve l’hypnotique
souffle du Bernanos hanté de Monsieur Ouine,
paraît s’évader hors du monde détruit par une guerre nucléaire totale,
pour chercher l’ultime trace de charité s’étant réfugiée dans
l’univers.
Où
est-elle ? Dans quelques gestes élémentaires de survie, des paroles
échangées entre un père et son fils, de douloureux rêves d’un monde
passé, cassé, quelques rencontres, aussi belles que rares, avec des
hommes qui ne sont pas retournés à la sauvagerie, à peine contenue par
une société qui est désormais détruite, rasée.
C’est donc, effectivement, le temps des loups des très vieilles
légendes, époque dont un père et son fils subissent l’implacable
rigueur : au moins McCarthy n’hésite-t-il pas à nous rappeler que les
hommes peuvent se tenir à hauteur d’homme sans la moindre béquille
sociale, l’ensemble des survivants redevenus loups n’important en fin
de compte guère aux yeux de deux êtres humains qui ont décidé de se
tenir et de se retenir de plonger dans le gouffre. La sauvagerie doit
être voulue, désirée, embrassée, comme toute maîtresse digne de ce nom
: elle ne peut s’emparer de l’homme que si ce dernier s’est débarrassé
de sa claire vision de ce que sont le Bien et le Mal. Kurtz ne devient
l’incarnation (pourtant labile) de la sauvagerie que parce qu’il a
décidé de se laisser remplir par le flot noir. Il était vide il est
vrai, comme n’ont cessé de le répéter, après Conrad, T. S. Eliot puis
Bernanos et Broch. Les personnages les plus ténébreux de McCarthy ne
s’expliquent jamais par les si pitoyables causes sociales (une enfance
malheureuse voyez-vous, une mère battue, un père alcoolique, légèrement
tripatouilleur, une jeunesse dans une barre d’immeubles pourris, etc.)
qui diluent notre responsabilité dans une mélasse sociologique infecte.
Voyez Suttree : marginal, paumé, errant et pourtant grand homme, la
caboche remplie d’autre chose que d’un peu de bourre. Nul doute
d’ailleurs, que les mauvais journalistes reprocheront au romancier ce
paternalisme qu’ils jugeront conservateur, voire réactionnaire, déjà
présent dans No Country for Old Men.
De grâce, qu’ils nous laissent lire les romans de McCarthy en paix, ces
imbéciles pleurnicheurs, qui n’auront même pas vu que ce roman de la
dévastation absolue fonde plus qu’il ne détruit, fonde dans la
destruction même. Nous y reviendrons.
Quelles que soient les apparentes disgressions de McCarthy, il signe sa
maîtrise magistrale du récit par un trait qui n’aura jamais été aussi
remarquablement appuyé que dans La route
: d’un éclair, sa prose a beau s’aventurer dans des contrées
inimaginables, souvenirs anciens du père, évocation d’un passé
immémorial, chute vertigineuse dans les abîmes de l’espace, exploration
des contrées secrètes de la Terre, c’est toujours pour mieux revenir
rôder, comme un vent apaisant, autour du père et du fils pour... en
porter les aventures toutes simples. Les porter. Porter, n’est-ce pas,
après tout, l’unique rôle du romancier qui a mis au monde des
personnages nourris de son propre sang ? (2)
Cormac McCarthy ne lâche pas, une seule seconde, ses personnages : il
les observe, leur ménage quelques toutes simples surprises (un abri, de
la nourriture, des vêtements), déroule sous leurs pas une route dont la
symbolique est évidente. La via rupta
est le chemin qui creuse le mur du temps délétère. L’immobilité c’est
la mort, surtout dans le monde post-apocalyptique (dont la description
semble s’appuyer sur les conclusions popularisées par Carl Sagan (3) et
une équipe de scientifiques dans Le froid et les ténèbres),
donc impitoyable, que décrit McCarthy. La route est cette image
typiquement bernanosienne qui bouleversa Julien Gracq, comme il l’écrit
dans un de ses essais de lecture. La route de l’errance est d’ailleurs
l’un des décors favoris que McCarthy, dans tous ses romans, ne se lasse
pas de peindre.
Littéralement, Cormac McCarthy porte ses
personnages comme s’il était quelque invisible bon Samaritain pris de
pitié pour les êtres à terre, alors même que c’est le petit garçon qui
paraît donner au père la force de marcher coûte que coûte (voir les
propres paroles de l’enfant, p. 222), vers une côte moins sauvage que
stérile.
Notre romancier (mais aussi l’une, donc, de ses plus bouleversantes créations : l’enfant) mérite ainsi l’adjectif (christophore)
que Bloy accola au rôle secret et immense du Révélateur du Globe comme
il le surnommait, Christophe Colomb. Route et découverte sont les deux
faces d’une même réalité, signant symboliquement les plus fameuses
odyssées littéraires et métaphysiques.
Que s’agit-il, dans ce roman barbare et foudroyant, de révéler ? La
fondation d’une nouvelle chrétienté, qu’importe que Rome ait été rasée
ou pas. Nous ne savons d’ailleurs absolument rien de ce qu’il reste de
l’Église : seuls quelques éléments qui paraissent ne guère avoir retenu
l’attention de McCarthy, nous sont livrés : ainsi nous est-il dit (p.
20) que l’Amérique a été ravagée par des « sectes sanguinaires ». Cormac
McCarthy, à la différence d’un Maurice G. Dantec,
se moque de décrire les combats épiques et sanguinaires livrés par les
ennemis de l’Église aux derniers représentants de l’Ordre (4). Il
paraît même ne pas se soucier de savoir si traverse les âges de fer,
caché dans quelque souterrain, le crâne ricanant de Leibowitz dont le
savoir redonnera vie à une civilisation (qui de nouveau périra,
quelques siècles après la Renaissance d’une humanité ayant été
pratiquement détruite par les grands feux).
Cette nouvelle chrétienté sera donc identique aux toutes premières
communautés ayant reçu la Bonne Nouvelle : elle se cachera, elle sera
toujours tout près d’être emportée. Elle survivra néanmoins.
Qu’importe, même, que Dieu existe : il a peut-être été emporté lui
aussi par la cendre pulvérulente qui a recouvert le monde entier,
pollué les mers et les océans, obscurci l’atmosphère en voilant le
soleil. À quoi bon, dès lors, en retrouvant les accents de Job, Le
maudire (p. 16), céder au désespoir (p. 34), penser, follement, que la
vie véritable, dans un monde presque complètement mort, s’est peut-être
réfugiée dans la mort elle-même (p. 24) ou affirmer à l’incrédule
qu’Il, ce Dieu devenu fou adoré par des hommes redevenus bêtes, se
cache dans le fils (p. 149) que protège, jusqu’au bout de ses propres
forces, le père, simplement appelé Papa
? Si demeure en vie le petit enfant, s’il ne perd pas l’esprit en
contemplant la démence, le désespoir (celui de sa mère, qui s’est
suicidée), la pestilence et le Mal, et parvient donc à conserver
l’usage de la parole, alors c’est Dieu qui continue de parler puisque
« S’il n’est pas la parole de Dieu, Dieu n’a jamais parlé » (p. 10).
Cette fragilité bouleversante de la beauté, qui de toute façon est toujours
perdue (cf. p. 52), suffit à Cormac McCarthy, et ce dépouillement
extrême, cette consomption du langage même (cf. pp. 80, 156), de la
musique peut-être réduite à quelques sons informes (p. 71), ce danger
de tous les instants, ces menus gestes qui instituent (cf. p. 128),
pour affirmer que la lumière ne peut être dévorée par les ténèbres :
« Il restait allongé les yeux fixés sur le petit près du feu. Il voulait
être capable de voir. Regarde autour de toi, dit-il. Il n’y a pas dans
la longue chronique de la terre de prophète qui ne soit honoré ici
aujourd’hui » (p. 237).
On a même l’impression que ce qui a survécu de la catastrophe, le Reste
des vieilles prophéties juives, cette terre sèche, froide, obscure,
sans vie, ces quelques hommes errants cherchant un peu de pain et de
lumière, ce peu de choses est encore trop aux yeux de Cormac McCarthy
et que, tel un conséquent Maître Eckhart, le Rien est sa véritable
demeure, la nouvelle Arche d’alliance indestructible. C’est à partir de
rien qu’il faudrait fonder de nouveau, puisque ce rien est tout : « Du
pied il dégagea des emplacements dans le sable pour les hanches et les
épaules du petit à l’endroit où il allait dormir et il s’assit en le
tenant contre lui, ébouriffant ses cheveux pour les faire sécher près
du feu. Tout cela comme une antique bénédiction. Ainsi soit-il. Évoque
les formes. Quand tu n’as rien d’autre construis des cérémonies à
partir de rien et anime-les de ton souffle » (p. 68).
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