A propos des exfiltration de l’eglise
"LE SAUVETAGE-RECYCLAGE DES BOURREAUX
Dès ce moment et dans la perspective d’un « renversement des alliances » qui s’avéra impossible du point de vue militaire général mais progressa à marches forcées sur le plan politique, Washington et le Vatican avaient commencé le sauvetage-recyclage des bourreaux : le premier, notamment via Taylor et le symbole ecclésiastique du « pactole » américain à Rome depuis 1925, Mgr Spellman, finança en large part cette opération de masse, réalisée pour l’essentiel grâce au maillage ecclésiastique du continent, qui achève de donner sens aux « silences » pacelliens 23.
De la guerre...
Walter Rauff, chef de « la section anticommuniste », fut pendant les négociations de reddition » séparée de l’Armée allemande d’Italie révélées en mars-avril 1945 « le principal interlocuteur » d’Alan Dulles, l’un des deux frères (avec Foster) de la célèbre firme d’avocats d’affaires Dulles, Sullivan and Cromwell, liés à la banque Schroeder, étai d’Hitler, et acteurs depuis 1919 de la liquidation douce de Versailles. Les tractations échouèrent en apparence - la capitulation en Italie ne précéda que de peu (le 2 mai) la générale -, mais sauvèrent « les officiers nazis qui y 0
avaient été mêlés », tel Karl Wolff, « chef de l’état-major personnel de Himmler » et d’un « groupe d’intervention SS » en URSS, « personnellement compromis dans les meurtres de 300 000 personnes », condamné en 1949 à quatre ans d’emprisonnement, dont il ne fit « qu’une semaine ». Ces pourparlers avaient eu pour médiateur le Vatican, où entre 1943 et 1944 Rauff et Hudal créèrent le « réseau d’évasion » des criminels de guerre couvert par les Anglo-Américains (et les Français), opérationnel bien avant mai 1945 24.
Ce que nous savons des rapports entre Hudal et Pie XII infirme la thèse des historiens officiels de la Curie, tel le P. Graham, selon lequel « « Mgr Hudal n’a joué aucun rôle » au sein de la Commission pontificale d’assistance » ; et oriente vers celle de Ladislas Farago, qui affirme que le pape hissa Hudal « au niveau le plus haut de la hiérarchie du Saint-Siège » et en fit le principal adjoint de Montini (futur Paul VI) dans l’« opération d’exfiltration des nazis ». Hudal apparaît dans les recherches des dernières décennies comme le pivot, avec Mgrs Montini, Riberi et Siri, archevêque de Gênes, du dispositif mis en place à Rome et dans toute l’Europe occupée, financé par des trésors nazis et assimilés, « blanchis » et enflés par le marché noir et les fonds alliés. Le 23 août 1944, sous couvert d’« action caritative en faveur des prisonniers de guerre », le Saint-Siège sollicita des autorités alliées l’envoi d’un « représentant » flanqué d’un secrétaire, pour apporter « aux prisonniers catholiques une assistance religieuse normale ». Après l’acquiescement américain, il réclama le 2 décembre pour « le directeur spirituel des Allemands résidant en Italie » - Hudal - le droit de « visiter en Italie les internés civils de langue allemande ». Hudal entama ainsi sa mission dans les Rat Lines (nom de code anglo-saxon des filières d’évasion), avec Rauff et Riberi, également chargé en novembre 1944 « de s’occuper officiellement, au nom du Saint-Père, des Allemands détenus en Italie par les Alliés » : « la commission pontificale d’Assistance » ainsi créée, « instrument efficace de la politique américano-vaticane », soustrairait en masse au châtiment les criminels allemands, croates, hongrois, slovaques, ukrainiens, baltes, français, etc., avec le soutien permanent, entre autres, de Taylor et du RP Carroll, second successeur depuis la fin de 1940 (après Mgr Hurley) de Spellman à Rome.
Travaux allemands, anglo-saxons, courriers du Quai d’Orsay de toute provenance infirment les conclusions de l’équipe d’historiens français auxquels Mgr Decourtray confia l’examen des archives ecclésiastiques pour étudier le rôle de l’Église dans le sauvetage de l’ex-milicien Touvier, exemple-type des criminels de guerre ripolinés en réfugiés accablés par le sort : des prélats français inconscients ou mal informés auraient par charité secouru un bourreau qu’ils avaient pris pour une victime, sans être mandatés ou couverts. Une partie de l’Église française se compromit en réalité comme toutes ses homologues dans une opération romaine. Dès novembre 1944, Tardini, de la Secrétairerie d’Etat, motiva devant le diplomate français, Guérin l’appel de « quatre prêtres américains » à la secrétairerie d’Etat « par l’importance croissante des affaires » communes, les besoins de la correspondance en anglais « en particulier, de l’organisation des secours », qui impliquaient coopération. En février 1945, « les divers organismes », les deux commissions pontificales d’Assistance aux réfugiés et aux rapatriés, furent groupés « en une seule oeuvre, la commission pontificale d’Assistance », financée par « l’UNRRA » - les Etats-Unis - « par l’intermédiaire du Vatican ». Au tournant de 1944, elle fonctionnait à Rome, dans toute l’Italie via « les centres diocésains paroissiens » et à l’étranger, par ses diverses missions, « dont certaines se sont rendues en Allemagne, en Autriche et en Hongrie ». Les « réfugiés politiques » arrivés en Italie « sont dirigés sur le père Faller », résidant Piazza Cairoli, « religieux allemand qui s’occupe d’un centre d’accueil destiné à tous les réfugiés se trouvant en Italie. Ce centre, qui a connu une activité particulière en 1944 et 1945, a reçu indistinctement les réfugiés de toutes nationalités venues d’Europe Centrale et particulièrement d’Allemagne ». Faller « les met en contact avec le père [français] Blondeau », de l’hôpital Fato Bene Fratelli, sur l’île du fleuve Tevere. Blondeau, pivot d’un réseau de « couvents dont le personnel est en partie français », leur « communique l’adresse d’un couvent à Rome susceptible de les héberger ». Faller les adresse aussi à Riberi, via Po, qui « leur délivre une carte donnant accès à un mess pontifical ». « La commission », qui travaillait « en accord avec les autorités italiennes ou alliées et avec l’UNRRA », servit dès 1944 « trois millions de repas » dans le réfectoire pontifical de la Via Po. Blondeau « remet enfin à chacun, suivant sa situation, une somme d’argent » pour l’achat de vêtements et objets de première nécessité. Dernière étape, « certains réfugiés ont obtenu des passeports pour se rendre en Amérique du Sud » : la Croix-Rouge internationale, à la demande des Anglo-Saxons très influents en Suisse, envoya à Hudal, à l’Anima, 1
ces passeports dont le flot gonflerait à partir de mai 1945. D’énormes poissons avaient déjà échappé au filet : Bormann, considéré par Hilberg comme mort en 1945 pendant « la bataille de Berlin », « aurait quitté l’Allemagne dès le 10 mai 1945 par le Tyrol et pour l’Argentine après quelques mois de secret romain sous la sauvegarde de Mgr Hudal », selon Jean-Pierre Blancpain, et de Rauff (Werner Brockdorff) ; le transfert de ce protégé de la Curie eut lieu selon Paul Manning en 1948, et on lui remit une grosse part de « la réserve financière de la Deutsche Bank » 25. "
LE VATICAN, DE L’ANTISÉMITISME DES ANNÉES TRENTE AU SAUVETAGE-RECYCLAGE DES BOURREAUX
Publié dans Golias, n° 47, mai 1996, p. 72-89
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