La parole d’un historien :
Jean-Dominique Durand est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Jean Moulin-Lyon III. Il est spécialisé dans l’histoire du catholicisme. Il fait notamment partie de la commission d’historiens sur Pie XII mise en place par le mémorial Yad Vashem de Jérusalem. Il répond à LCI :
« Il est surtout le témoin de la montée du nazisme -il est en poste à Munich lors du putsch d’Hitler en 1923. Les rapports qu’il envoie au Vatican lors de cette période sont très violents contre le nazisme. Lorsqu’il revient à Rome pour être secrétaire d’Etat du Saint-Siège, l’équivalent d’un Premier ministre, il est confronté à l’arrivée des nazis et d’Hitler au pouvoir. [...] En mars 1933, deux mois après la victoire d’Hitler aux élections, il signe un concordat pour protéger l’Eglise catholique, menacée par le nouveau régime. Mais il sait aussi être très ferme. En 1937, il tape du poing sur la table en étant le principal auteur de l’Encyclique Mit brennender Sorge, que l’on peut traduire par »avec une très grande inquiétude". C’est une position forte contre le nazisme. Nous ne sommes alors plus dans la diplomatie. [...] Fin 39-début 40, Pie XII a, de fait, participé indirectement à un complot visant à tuer Hitler. Il a en effet été contacté par la résistance allemande, qui lui demandait de servir de relais avec l’Angleterre en transmettant la question suivante à Londres : quel serait le sort de l’Allemagne si Hitler mourrait ? Mais Churchill n’a pas donné suite. [...]
Ce supposé « silence » est à la fois vrai et pas vrai. Il a bien pris position et s’est exprimé sur le massacre des Juifs, mais de manière peu claire pour le grand public. A Noël 1942, dans un discours relayé par la radio, il utilise le mot italien « stirpe », que l’on peut traduire par la « race », au sens très fort du terme. Cela fait bien sûr référence aux Juifs. Mais comme le fait alors remarquer un diplomate américain, c’est incompréhensible pour les non-initiés. Ce message de Noël, aujourd’hui fortement critiqué, est un message de diplomate. Il a d’ailleurs été très bien compris par les nazis puisque la presse allemande se déchaîne contre le pape. [...] Plutôt que taper du poing sur la table, le pape fait le choix de mobiliser les catholiques pour sauver le maximum de Juifs. Les nonciatures participent au sauvetage, notamment en Grèce ou en Bulgarie, et les congrégations religieuses cachent des réfugiés. Cela a même été le cas de femmes cloîtrées, qui ont accueilli des hommes. Or, vu le fonctionnement de l’Eglise à l’époque, c’est impossible que Pie XII n’ait pas donné son accord. On peut donc bien parler de stratégie diplomatique et souterraine plutôt que celle du choc frontal. A titre de comparaison, début 1943, la Croix-Rouge a également choisi la même option pour continuer à pouvoir intervenir dans les camps de prisonniers.
TF1 News : Au lendemain de la guerre, il n’y a pas de polémique.
J.-D. Durand : Pie XII est même remercié par les Juifs. Fin 1945, il reçoit des rescapés des camps de la mort et prononce un discours important qui renforce son image positive auprès d’eux."