Eh voilà, ça y est, le pavé est dans la marre. Et les grenouilles coasssent la rage.
Je n’ai pas lu Onfray et je ne sais pas si je le lirai, parce qu’en leur temps Bénesteau et Van Rillaer m’ont paru largement édifiants. Et comme je comprends les choses, Onfray ne fait finalement que reprendre et compiler les arguments de divers précurseurs, psychologues, historiens, journalistes, philosophes, etc., qui l’ont précédé. Avec beaucoup de talent, j’imagine, mais bon…
D’ailleurs, et sans le blâmer, Onfray ne fait qu’enfoncer une porte ouverte. Il n’y a pas de débat académique, ailleurs qu’en France, sur le statut exact de la psychanalyse et sur sa position dans le monde des sciences. La psychanalyse n’est pas une science, n’a aucun moyen ni aucune intention de le devenir. Il s’agit simplement d’un discours, d’un échafaudage théorique, datant d’une autre époque et d’un autre monde, dont le succès ne s’est construit qu’au travers de la fatuité et de la vanité d’une certaine intelligentsia, largement surreprésentée dans le monde des arts et des médias. Pourquoi ? La question vaut certainement la peine d’être posée, et me paraît même bien plus intéressante que la question de la légitimité de la psychanalyse dans le monde des sciences et des savoirs, qui elle est tranchée. Peut-être parce que certaine « élites » culturelles sont tantôt crédules, tantôt cyniques ou opportunistes ? Peut-être parce qu’un simple vernis de savoir ésotérique suffit à emporter les convictions fragiles, surtout dans un univers de coteries où le conformisme est indispensable ? Sans doute parce que, bien à tort, la psychanalyse s’est faite la championne d’une pensée réellement libertaire, dégagée de tout tabou et de tout préjugé. Bien fallacieusement, il est vrai, car rarement on aura vu une pensée libératrice reposer autant sur la parole exacte de son père fondateur.
Mon grand regret est que, dans l’hexagone, la psychanalyse éclipse presque totalement la réalité de la psychologie actuelle. Dans son livre « Guérir », David Servan-Schreiber ne mentionne d’abord que « des psychiatres et des psychanalystes » comme les deux seules variantes de psy sur le marché. Il ne recourt au terme « psychologue » que lorsqu’il doit aborder le thème de l’emdr et de sa créatrice, Francine Shapiro, ou du love lab de John Gottman. Ce faisant, il ne témoigne pas d’un ostracisme volontaire, mais ne fait que refléter la perception franco-française de l’univers de la psychologie. Dans le film « Oui mais… » d’Yves Lavandier , dont l’authenticité lui a valu d’être recommandé par la société française de thérapie brève comme matériel didactique, la malheureuse héroïne (Emilie Duquennes) qui a entamé une thérapie brève doit constamment se défendre auprès de ses proches d’avoir commencé une analyse, tant cette démarche paraît incontournable aux yeux de tous. Pourtant, procurez-vous une manuel de base d’introduction à la psychologie, genre Hilgard et Atkinson, et vous découvrirez un autre monde, sans référence ou presque à Freud et consort. Un monde riche, dynamique, et scientifique. En connexion avec l’évolution des neurosciences. Et certainement pas à la solde de quiconque, d’un laboratoire ou d’une idéologie.
Parmi les défenseurs actuels de la psychanalyse, je distingue trois catégories.
1) Les convertis de base, ex-analysés ou analysés en cours, qui cherchent à convaincre tout le monde, y compris eux-mêmes, qu’ils sont « guéris », ou en tout cas, qu’ils contrôlent leur « névrose ». Ils adhèrent au discours psychanalytique avec une conviction qui tient de l’impératif de survie. Ce sont les troupes de base de l’orthodoxie, les plus pugnaces, les plus opiniâtres, celles qui ont le plus à perdre d’une désillusion.
2) La moyenne intelligentsia (comme il y a une moyenne bourgeoisie) qui a incorporé naturellement le discours psychanalytique pendant le cursus scolaire qui les a conduit à leur poste d’ « intellectuel », en l’occurrence, enseignants, travailleurs sociaux, représentants du monde académique et médical. Il ne tiennent pas réellement aux subtilités théoriques de la pensée freudienne, mais ont retenu que leur adhésion au modèle constituait une revendication de pensée libertaire et égalitaire. Pardonnable mais funeste confusion.
3) Les aparatchiks du régime, qui en vivent. Ils ne sont pas nombreux, mais profitent encore des vestiges de leur splendeur passée, et pratiquent l’enfumage avec candeur ou machiavélisme, selon l’inspiration des uns ou des autres. Les plus lucides sentent certainement le vent tourner, mais n’auront aucun mal à retourner leur veste le moment venu.
La psychanalyse va mourir de sa belle mort, très naturellement. La liberté de pensée n’y perdra rien, que du contraire.
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