Amusant que Fillon soit au Gabon en ce moment. Comment, vous ne voyez pas le rapport avec la polémique avec Eva Joly ????
Ceux qui critiquent Eva Joly ont raison sur au moins un point : le défilé militaire est une vieille tradition française et de fait, la candidate écologiste s’attaque à certaines « valeurs françaises » que ses détracteurs oublient d’expliciter. Cela semble aller de soi pour eux. Pourtant un petit éclairage historique ne ferait pas de mal à tous et permettrait d’éclairer le fond de l’affaire qui dépasse largement les petits jeux politiciens puisque au fond on toucherait à l’identité même de la France si l’on en juge par les réactions. Si l’on croise cette histoire avec le parcours d’Eva Joly, les choses deviennent limpides il me semble. Derrière la polémique, se cache un point aveugle de notre histoire : la politique africaine de la France à travers un de ses instruments privilégiés, l’armée.
Le premier défilé militaire a lieu le 14 juillet 1880 dans un contexte de propagande ethno-nationaliste suite à la défaite de Sedan. Cette année -là, Savorgnan de Brazza fonde Brazzaville et l’année suivante, toujours au Congo, le traité Makoko déclenche une fièvre nationaliste suivi d’une succession de surenchères de la part des nations impérialistes qui mèneront au « big scramble for africa » et à la conférence de Berlin. L’acte de naissance du défilé est doublement lié à la constitution de la « plus grande France » donc de l’empire colonial et à l’antagonisme franco-allemand. L’organisation de l’armée de la troisième république en sera profondément affectée.
Les comptes avec l’Allemagne étant soldés et l’armée ayant été professionnalisée, une question reste entière : est-on aujourd’hui sorti de cette tradition coloniale ? Chaque année la composition multiethnique des troupes exposées renvoie à cette page histoire qui est censée avoir été clôturé avec l’accession aux indépendances. La présence des Dom toms , reliquats de l’empire, est parfaitement justifié puisque ces territoires sont pleinement intégrés à la France. Mais que dire de la présence de troupes issues des anciennes colonies comme en 2010 lors du cinquantenaire des indépendances ? Pourquoi faire défiler ces troupes sur le sol de l’ancienne nation colonisatrice ? N’est-ce pas en totale contradiction avec l’idée même d’indépendance ? D’autre part, il faut faire le constat que durant ces cinquante dernières années le terrain d’action des troupes françaises est restée principalement l’Afrique et plus particulièrement le territoire des anciennes colonies. Algérie, Cameroun, Mauritanie, Biafra, Congo, Rwanda, Tchad, Côte d’Ivoire, et j’en passe, quel est le pays africain francophone qui ait pu s’affranchir des accords de coopération militaire ou échapper aux interventions militaire Françaises quelles soient officieuses ou parfaitement légales ?
Si l’on accepte l’idée, aujourd’hui solidement étayée par de nombreux observateurs et historiens, que la France n’est partie de l’Afrique que pour mieux y rester et que l’armée Française est un maillon essentiel du dispositif en place, ces questions trouveront réponse. En toute bonne logique, le défilé du 14 juillet reflète cette présence en Afrique que ce soit dans la composition de l’armée ou dans les missions qui lui ont été affectées. Il faut comprendre aussi que les armées des ex colonies continuent de constituer une « annexe » de l’armée française dans la mesure où elles ont été crées par elle (organisation, équipement, encadrement, instruction) et que beaucoup d’entre elles sont liées à la France par des accords de coopération. Certes l’impérialisme militaire à céder le pas à l’impérialisme économique mais pas totalement, le « coup de pouce » à Alexandre Ouattara en côte d’Ivoire le prouve amplement.
Bref le défilé militaire du 14 juillet renvoie en permanence à cette histoire impérialiste que la propagande officielle sur les missions vertueuses de l’armée Française ne peut masquer. Eva Joly, plus que tout autre, est la mieux à même de le comprendre. Son implication dans le dossier ELF, arrière cuisine de cette Françafrique, sa lutte actuelle contre la grande corruption, les paradis fiscaux, les pratiques de prédation et de pillage menés par les multinationales et les actuels dirigeants africains ne lui font peut-être voir dans l’armée française que le bras armée d’un néocolonialisme qui n’en finit pas de renaître de ces cendres. C’est très réducteur certes, mais à y regarder de plus près, elle met le doigt sur la partie gangrénée de la Vème république. Elle rompt avec les discours patriotiques creux et incantatoires entonnées à droite comme à gauche. En cela, elle doit être remerciée.
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