Compétences de prof : culture vs pédagogie
La réforme du CAPES (« masterisation ») va encore empirer des conditions de recrutement du professorat déjà loin d’être optimales... Maintenant on veut carrément supprimer tout le côté pratique de la formation à l’enseignement : le diplômé sera mis face aux élèves sans passer par un stage de dernière année, qui normalement doit être validé par un inspecteur pour que le candidat obtienne son diplôme. Donc pas d’amélioration en vue, alors que déjà le CAPES actuel n’est pas bon. Oui, le système actuel est mauvais car il ne tient pas vraiment compte de la qualité et de la performance des professeurs. Pour accéder au poste, il faut un bout de papier qu’on obtient au concours du CAPES. Ensuite, plus de souci, on est assuré d’avoir sa place pour la vie, peu importe qu’on soit bon ou mauvais. Tous les cinq ans (voire moins souvent), une pauvre petite inspection sur une seule heure de cours, en étant prévenu bien à l’avance pour se préparer, sanctionne généreusement les compétences pratiques du prof, avec une probable augmentation de salaire à la clé. Mais si on est mauvais, rien de spécial. Aberrant. Et inimaginable dans le privé, où la performance est déterminante ! Car le client attend de la qualité, sous peine d’aller voir la concurrence. Est-ce une raison pour offrir aux élèves de l’enseignement public de la médiocrité ? Les parents s’en rendent bien compte, comme le montre l’essor des cours à domicile. Mais le développement rapide de cet enseignement parallèle se fait sur des bases parfois douteuses (pour faire face à la demande croissante, les critères de sélection des étudiants-professeurs par les sociétés de cours à domicile sont souvent trop souples) et pas forcément dans l’intérêt de l’élève. Bref, tout ce système mériterait d’être remis à plat.
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Les qualités d’un professeur
Les compétences vérifiées par le système de sélection des professeurs de l’Education Nationale ne sont pas les bonnes. Combien y a-t-il de profs hyper cultivés qui ne savent pas du tout transmettre leurs savoirs à une classe d’élèves loin d’être aussi cultivés qu’eux (donc loin d’eux) ? Ce qui compte pour enseigner correctement à des enfants, ce ne sont pas les connaissances, mais la pédagogie et le charisme. Or le CAPES est un concours où il faut avant tout avoir des connaissances solides pour réussir. Si on est mauvais pédagogue ce n’est pas grave, ça passe quand même. Mais à quoi servent les connaissances si on ne peut pas s’en servir ? Si on n’est même pas capable d’enseigner la fraction de connaissances qui est au programme des adolescents ? Sans compter qu’il y a même pire : certains professeurs n’ont ni pédagogie ni une vraie maîtrise de leur sujet ! Comment diable sont-ils alors arrivés à leur poste ? Tout dépend de la période à laquelle ils ont été recrutés - ils peuvent avoir profité de conditions favorables pour obtenir leur diplôme de justesse dans une période où on ratissait large au concours...
Mais pour bien enseigner des connaissances à de jeunes élèves (de collège ou lycée), n’est-il pas plus important de bien savoir "manier" les enfants et de bien savoir leur expliquer les choses, même sans avoir des connaissances très approfondies (et de toute façon inutiles à ce niveau d’études) ?
Afin d’offrir la meilleure formation à vos élèves, il faut des professeurs motivés, solides (mentalement aussi bien qu’au niveau des connaissances) et certes qualifiés pour leur matière, mais surtout qui sont capables de transmettre leurs savoirs aux élèves de manière stimulante. La transmission de savoirs et le défi quotidien que représente le travail avec des classes d’adolescents doivent stimuler tout particulièrement le professeur.
Pour le moment le CAPES atteste encore d’un minimum d’expérience acquise au cours du stage de 2ème année d’IUFM, mais il ne garantit pas l’aisance du professeur devant les classes difficiles ni que ce dernier communique à ses élèves le goût pour la matière tout en maintenant l’ordre au sein du cours.
Elever avant d’enseigner
Second problème : on attend d’un prof des qualités qui ne sont pas validées par le CAPES. On attend de lui qu’il éduque dans le sens "élever", par opposition à "enseigner", donc ce qui est censé être le rôle des parents. Sans doute une conséquence du fonctionnement de notre société qui a tendance à "mutualiser" ou "collectiviser" l’éducation des enfants en bas âge, avec les crèches et le périscolaire. Du coup les parents pensent que les professeurs de collège doivent continuer à élever leurs enfants à leur place. Faire le gendarme, veiller au bon comportement des élèves et leur apprendre les bonnes manières : les nouveaux rôles des professeurs ? [1]
L’éducation "collective" des enfants a sans doute des avantages sur l’éducation individuelle. Moderne, le concept permet aux mères de ménager leur emploi du temps. Mais en France, de toute façon, l’Etat ne va pas dans le sens de donner plus de tâches à son corps d’enseignants, comme le montre la vague de suppressions de postes dans l’Education nationale ces dernières années. Pour quelque raison que ce soit : économiser sur le budget de la France, réduire les impôts, etc. (soit dit en passant, les grèves sont d’ailleurs bien inutiles pour enrayer le phénomène). Mais ce n’est pas le nombre de postes qui est discuté ici (d’ailleurs si on enlevait uniquement les plus mauvais profs on ne perdrait pas grand chose). C’est de la qualité de la sélection des professeurs qu’il est question. Le nombre de professeurs est un autre sujet (dont dépendent la taille des classes et le travail qu’on peut demander à chaque professeur).
Conséquence : la déresponsabilisation des parents
Etant donné qu’on attend des profs qu’ils apprennent tout aux enfants, les parents croient donc qu’ils n’ont plus aucun rôle dans l’éducation de leurs rejetons. Pratique, puisque comme ça ils peuvent travailler et s’adonner à leurs loisirs tranquillement. Mais les enfants ne sont alors plus encadrés ni suivis par les parents, alors que c’est nécessaire pour les mettre sur le droit chemin. L’encadrement d’un enfant doit commencer dans la famille, où il doit apprendre le respect de l’autre : ce ne devrait pas être en classe que l’enfant teste ses limites. Ce n’est pas non plus au professeur de vérifier les devoirs de chacun de ses élèves - l’apprentissage n’est pas automatique et les parents doivent s’investir un minimum. Sinon c’est la porte ouverte à des initiatives comme faismesdevoirs.com.
Alors il faut bien se demander : dans l’éducation des enfants, quel est le rôle des parents ? de l’Etat ? Et les enfants qui n’ont pas la chance d’être bien élevés par leurs parents, qu’en faire ? Les enseignants n’ont pas les outils pour faire face à des enfants qui n’ont pas été éduqués par leurs parents, car leur formation est avant tout théorique ! Même les meilleurs parents ne pourraient pas élever 30 enfants à la fois.
Récemment est paru un baromètre à travers lequel ont été enquêtés 700 élèves suivis par l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville), du CP à la classe de 3ème, en difficultés scolaires et recevant du soutien bénévole.
A la question "en classe, est-ce que tu comprends toujours ce que l’on te demande de faire ?", seulement 15 % des élèves interrogés répondent "toujours". Un tiers des élèves interrogés disent qu’ils s’ennuient souvent, voire tout le temps à l’école.
A la question "tes parents te demandent-ils comment s’est passée ta journée à l’école/au collège ?", 15% répondent "non, jamais" et 43% "oui, quelquefois". En outre, 61% des élèves déclarent que leurs parents leur demandent "tous les jours" s’ils ont des leçons ou devoirs à faire, mais seuls 22% affirment qu’ils les aident pour leurs devoirs.
Autre enseignement : les trois quarts des élèves interrogés ne pratiquent pas une activité culturelle ou artistique en dehors de l’école. Plus d’un tiers dit ne "jamais lire ou rarement un livre à la maison". Par ailleurs, 42% des élèves interrogés ne prennent pas ou rarement un petit déjeuner le matin avant la journée scolaire. 20% des jeunes sondés disent se coucher après 22H00.
Mais que font les parents ? Il n’est quand même pas trop difficile d’inculquer une bonne hygiène de vie à ses enfants, de les inscrire à une école de musique, de les abonner à des magazines...
Le professeur est descendu de son piédestal... et les parents aussi !
Depuis la fin des années 1960, le droit de l’enfant a fait son chemin, le châtiment corporel a disparu. Les professeurs n’ont plus d’autorité artificielle, et les enfants ne se sentent donc plus soumis car les profs n’ont pas d’outils assez efficaces pour les soumettre. Conséquence : l’autorité doit être naturelle, et un bon prof doit être convaincant - que ce soit en faisant peur (psychologiquement) ou à l’inverse en étant complice avec les élèves. Les connaissances ne suffisent pas pour être prof, il faut non seulement avoir la pédagogie, mais avant tout il faut savoir se faire respecter : la force de caractère joue un rôle important.
La société veut tout régler, tout doit faire l’objet d’une autorisation ou d’une interdiction (on n’a plus le droit de faire des choses dangereuses, comme se baigner dans la Seine - sous peine d’amende). On supprime la responsabilité. On a toujours quelqu’un d’autre à qui rejeter la responsabilité, ce qui donne des procès à gogo. Il y a 50 ans, il y a avait moins de lois mais elles étaient plus claires, on laissait aux enfants une plus grande autonomie. Aujourd’hui on veut les surveiller en permanence, savoir où ils sont et ce qu’ils font, les avoir à disposition comme des animaux de compagnie, mais on ne veut plus les éduquer : la société avec ses règles n’a qu’à le faire. En plus on enlève aux parents les moyens d’éduquer leurs enfants - en caricaturant on peut imaginer que si le fils a fait une bêtise qui l’a mené droit au commissariat, son père ne peut pas le gifler devant le policier car l’enfant aurait le droit de porter plainte ! Aux yeux de l’enfant cela efface l’autorité parentale puisqu’il est protégé face à ses parents par la loi. Conséquence : l’enfant perd ses repères, il ne peut plus savoir où sont ses limites. Comme l’individualisme se développe, les familles éclatent et à la maison chacun est dans son coin. Les profs passent plus de temps avec les enfants que les parents, ces derniers s’attendent alors que les enseignants éduquent leurs enfants. Dans les pires cas, des enfants en arrivent à poignarder des enseignants, comme c’est malheureusement arrivé récemment.
Enseignant n’est pas la même chose qu’éducateur ! Si on veut que les enfants soient élevés par des professeurs, il faut en donner les moyens à l’éducation nationale : plus de profs, plus de pouvoir (surveillants qui font appliquer l’autorité), des classes avec moins d’élèves (moins de 20 en tout cas !)... Et bien sûr des critères de sélection adaptés à la nouvelle condition des professeurs, qui doivent savoir s’imposer naturellement pour se faire respecter.
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[1] Impensable sans doute en Allemagne, où il est pratiquement impossible pour une jeune mère de reprendre le travail, en tout cas à plein temps, après la naissance de l’enfant (remarque : on ne fait pas grand chose pour aider la mère allemande, car les crèches sont quasi-inexistantes et il est très mal vu qu’une mère "délaisse" ses jeunes enfants pour aller travailler - celle-ci se contente donc souvent d’un mi-temps, prenant en charge un emploi du temps pas facile à gérer). A ce titre il peut être intéressant de comparer les politiques familiales de pays européens où l’approche de l’éducation des enfants en bas âge est radicalement différente, comme l’Allemagne et la Suède.
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