Nous avons abordé précédemment les liens étroits entre certains pouvoirs d’Amérique du Sud, notamment le Chili de Pinochet, la CIA et certains groupuscules européens d’extrême-droite. Ces groupes ont fourni des éléments qui sont devenus le bras armé d’une CIA à l’étranger, qui ainsi évitait de mouiller ses hommes ou des citoyens américains. Lors de l’affaire célèbre de la Baie des Cochons, à Cuba, ce sont des éléments similaires qui ont été amplement manipulés pour arriver au fiasco final que l’on sait. Au Chili, c’est l’extrême-droite italienne qui a été recrutée, notamment deux fascistes purs et durs nostalgiques de l’ère mussolinienne. Responsables de l’assassinat de deux ministres d’Allende, dont un effectué sur le sol américain même. Toutes ces tentatives nécessitaient une intense préparation et un fichage qui a vite débouché sur celui des américains eux-mêmes. Le pouvoir est très vite devenu paranoïaque dans les années Nixon, phénomène qui ne fera que se renforcer sous Reagan et encore davantage sous Georges Herbert Walker Bush, le père de l’avant dernier président US. Logique : en 1975 et 1976, il a été le directeur de la CIA, bien avant de devenir vice-président (de Reagan) puis président des Etats-Unis, de 1988 à 1992... Son fils ne fera que reprendre le flambeau, et réactiver surtout des méthodes qui avaient été interdites après l’affaire du Watergate. Il existe donc bien une continuité à la CIA, et c’est plutôt celle de la famille Bush depuis une bonne trentaine d’années maintenant.
A lui seul, "ALFA" est tout un poème, et démontre que le pouvoir chilien était
bien fasciste, et s’appuyait en Europe sur les éléments fascistes : de tous les néo-fascistes ou fascistes purs et durs, c’était bien l’un des pires en effet. Son CV résume des années d’activisme de l’extrême-droite la pire existant, n’hésitant pas à tuer ou à placer des bombes partout : en 1970 il sera dans le coup d’état en Italie qui tentera de renverser le pouvoir par la force :
"Après la tentative de coup d’État à Rome du 8 décembre 1970 (golpe Borghese) menée avec Junio Valerio Borghese, ancien homme de main deMussolini, il s’enfuit en mars 1971 vers l’Espagne franquiste 12, comme Vincenzo Vinciguerra. Là-bas, il se lie avec des hommes qui participeront ensuite aux GAL, les escadrons de la mort anti-ETA, ainsi qu’avec le Belge Léon Degrelle. Il rencontre notamment José Lopez Rega, l’éminence grise d’Isabel Peron, et aussi le fondateur de la Triple A, un escadron de la mort argentin " précise Wikipedia. Un ami de Degrelle, un de plus ! On a bien affaire à l’extrême-droite européenne et à des nostalgiques du führer comme soutiens direct, en Europe, de la CIA. Nous retrouverons la même filière avec l’affaire des tueurs du Brabant Wallon : les liens de la CIA avec l’extrême droite ne se sont jamais taris. Le relais étant donné en
Belgique par l’Otan.
Ce fut le ministre Orlando Letelier, arrêté en 73 par Pinochet et torturé, qui fut visé en second par un attentat réussi à la bombe, le 21 septembre 1976, en plein Washington, où son assistante Ronni Moffitt mourut également. Pour cela les USA recrutèrent un homme de mains, l’activiste anti-castriste d’extrême droite lui aussi Luis Posada Carriles, qui fut bien "brieffé" sinon "brainwashé" par la CIA avant de tenter l’assassinat du ministre. Selon Contreras, c’est clair, ce sont bien les Etats-Unis qui ont tué Letelier, même si le boulot a été fait par des chiliens : " L’Institut d’études politiques de Letelier était considéré comme un institut marxiste que le FBI avait infiltré. Mais la CIA ne pouvait pas agir de l’intérieur des Etats-Unis ; elle ne pouvait agir que par le biais d’étrangers. Alors elle l’a tué et a rejeté la responsabilité sur nous". Et aujourd’hui, on le confirme cette implication directe par l’attitude du gouvernement américain sur les documents de la CIA de l’époque. Clinton avait déjà refusé de les laisser paraître au grand jour, son successeur fit de même (*1). Ne pas faire paraître la vérité, celle d’une implication directe de la CIA dans l’assassinat, et cette fois, sur le territoire américain même ! 36 ans après Allende fait encore peur à ce point ? Letelier ne sera pas le seul visé : le sénateur démocrate-chrétien Bernardo Leighton le sera aussi, d’une manière très révélatrice, politiquement parlant où l’on retrouvera l’extrême-droite comme agent recruté, encore une fois. Les liens entre extrême-droite et CIA sont patents, comme on a déjà pu le remarquer en Europe et en Belgique surtout lors de l’affaire des tueurs fous du Brabant.
La tentative de meurtre sur Leighton devait avoir lieu à Rome. La date prévue étant le 6 octobre 1975. Pour ce faire, Contreras va puiser dans ses relation politiques sur place... et recruter deux hommes de main au passé plus que sulfureux : le fasciste italien Stefano Delle Chiaie, fondateur de "
Avanguardia Nazionale" et Junio Valerio Borghese, qui n’est autre que l’ancien homme de main de Mussolini, Les deux hommes échoueront lamentablement, et on connaîtra plus tard leur implication grâce aux dépositions de deux autres : un terroriste repenti, Vincenzo Vinciguerra, et un américain, Michael Townley, ancien agent de la CIA au service de la DINA de Contreras. pour la tentative avortée d’assassinat, un juge italien, Giovanni Salvi condamnera, en juillet en 1996 Manuel Contreras à 20 ans de détention par contumace. Pour mémoire, Junio Valerio Borghese, fasciste convaincu, pendant la seconde guerre mondiale était commandant de sous-marin puis chef des hommes grenouilles italiens chevauchant leur mini sous-marins spectaculaires, les "
maïale" (cochons), responsables d’actions d’éclat de torpillage ou de sabotage. Un mussolinien, un vrai de vrai. Toujours prêt à faire le coup de main.
Des tentatives de meurtres, mais aussi parfois des techniques plus subtiles, utilisant tout l’arsenal possible, y compris l’usage de drogues, pour transformer certains en doux agneaux dociles, voire en traîtres avérés. Les gens de la Gestapo ne pratiquaient pas autrement. La capture d’opposants potentiels, leur interrogatoire musclé et leur élimination étaient aussi au programme. Le Viet-Nam sera le terrain de jeu favori de la CIA pendant l’ère Johnson pour une raison extrêmement simple : Johnson, qui est lié au lobby des armuriers texans, ne souhaite donc pas terminer la guerre. Mais il s’est rendu compte qu’elle est ingagnable sur le terrain militaire, malgré la débauche de matériel qu’il favorise tant qu’il peut. Aussi a-t-il demandé à la CIA d’élaborer une méthode, ou un programme, lui permettant de gagne la guerre autrement, ou de moins perdre la face militairement. Ce programme consistera à cibler des adversaires et à les éliminer physiquement, le plus discrètement possible, en prenant exemple sur des conflits passés. Celui d’Indochine, naturellement, et des méthodes utilisées plus tard en Algérie. L’origine du programme est en effet à chercher chez...Aussaresses et Trinquier :
"(...) , il livre aux futurs officiers américains du Vietnam les clefs de la « guerre subversive ». Quadrillage du territoire, contrôle de la population, hiérarchies parallèles : l’ensemble du dispositif de protection urbaine (DPU) inventé par le colonel Roger Trinquier est décortiqué pour ces stagiaires aux ordres de la politique définie par Washington." Le
rapport de Trinquier établissant noir sur blanc ce que sera la lutte anti-terroriste moderne. C’est à sa lecture qu’on peut s’apercevoir que la fameuse traque de Ben Laden est une invention pure et simple : Trinquier explique noir sur blanc comment capturer ce genre d’individu, et même rapidement !!!!
C’est donc à quoi va s’attaquer la CIA, ce quadrillage et cette surveillance, en y ajoutant une bonne dose de dérives d’exactions physiques. Ainsi, selon
Robert Komer, un agent de la CIA qui deviendra justement l’un des proches conseillers du président Lyndon Johnson pendant la guerre du Viêt-nam, la célèbre opération Phœnix durant cette guère n’est autre que la copie conforme de la bataille d’Alger, qui avait vu un bon nombre de prisonniers tombés aux mains d’Aussaresses être "retournés", par des tas de moyens y compris la torture, la répression familiale ou la dénonciation.
"Pour cela, on retournait des prisonniers, puis on les mettait dans des commandos, dirigés par des agents de la CIA ou par des bérets verts, qui agissaient exactement comme l’escadron de la mort de Paul Aussaresses" dit Robin dans son magnifique ouvrage les "Escadrons de la Mort. " Selon beaucoup, l’opération Phoenix, dite de "pacification" a tourné très vite à la boucherie véritable, causant plus de 20 000 morts parmi les prisonniers Viet-Congs, interrogés et violemment torturés, souvent inutilement : (*2). Des chiffres ahurissants ! Evidemment, ces idées de fichage n’allaient pas en rester là, ce que nous étudieront plus tard si vous le voulez bien....
(1)"Although a draft indictment of Pinochet was reportedly prepared, the George W. Bush administration refused to take action. The ’family members of Orlando and Ronni deserve the full truth about this horrible act’, IPS Fellow Sarah Anderson said. ’Releasing the documents is the very least the Bush Administration could do for these victims of international terrorism".
(2) "According to Defense Dept official 26,369 South Vietnamese civilians killed under Phoenix while op under direct U.S. control (Jan 68 thru Aug 72 ). By same source, another 33,358 detained without trial. Colby in 73 admitted 20,587 deaths thru end 71 , 28,978 captured, and 17,717 "rallied" to Saigon gvt. Thus approx 30% targeted individuals killed. All Phoenix stats fail to reflect U.S. Activity after "official" U.S. Control of op abandoned".