Des mesures pour sauver les maths !
Des mesures viennent d'être annoncées pour améliorer le niveau en mathématiques des Français, et attirer plus de jeunes vers des métiers scientifiques ou le professorat de mathématiques. C'est urgent. Mais où sont les bonnes idées ?
Je reprends certains éléments de l’interview de Delphine Bancaud [1] annonçant des mesures pour « sauver les mathématiques » qui n’attirent plus et retrouver quelques enseignants de maths à placer rapidement devant nos enfants, pour y réagir à chaud, en tant qu’enseignant de maths. Sans ambages, je dirai ce que je pense pour éclairer le débat…
a) « C’est pour cela que nous avons travaillé sur cette stratégie globale, qui s’appuiera sur de nouveaux programmes de mathématiques à l’école et au collège, une meilleure formation des enseignants dans ce domaine et un travail sur l’image de cette matière. Il faut donner le goût des maths aux élèves. » [1]
= BONNE IDEE.
b) « Dans le cadre des nouveaux programmes, nous allons développer des approches nouvelles des maths. L’introduction de l’algorithmique permettra par exemple de mieux former les élèves au raisonnement déductif. Le numérique sera aussi mis à profit pour permettre aux élèves d’effectuer davantage d’exercices avec des niveaux différenciés et d’avancer aussi chacun à leur rythme. » [1]
= FAUSSE ROUTE. L'algorithmique n'a rien à voir avec l'esprit mathématique, ni avec le raisonnement déductif. C'est une technique qui permet d'automatiser des choix et les faire réaliser par une machine. C'est bien, cela sert beaucoup surtout à faire fonctionner des machines. Sans bagage disciplinaire suffisant, cela sera perçu comme franchement inutile et ennuyeux par la majorité des gosses du collège. L'algorithmique, c'est fastidieux, la programmation, c'est la prise de tête avec une syntaxe à rendre fous même les plus sympathiques, donc si on en propose beaucoup aux gosses, on est certain qu'ils auront encore plus horreur des maths !
Peste et commisération, c'est pourtant ce que beaucoup de décideurs veulent tester actuellement, et vu ce qu'on entend comme propagande partout, c'est ce que l'on fera unanimement, et comme un seul homme (puisqu'on étouffera tous ceux qui pensent le contraire). Alea jacta est. C'est la vie !
Pour moi, le test de l'algorithmique au primaire ou en collège, c'est déjà fait ! J'ai animé un club informatique en collège quand je débutais. J'ai vu, j'ai vite compris et l'affaire est réglée. Pas pour d'autres qui découvrent ce qu'est une machine.
Mais demandez quand même à des élèves de lycée s'ils adorent la programmation et l'algorithmique. Faites des statistiques, et dites-moi...
c) « Il faut proposer aux élèves des questions qui font sens pour eux dans leur approche des mathématiques, en utilisant des problèmes ancrés dans le réel. Nous allons aussi développer plus d’actions éducatives, en lien avec des associations scientifiques telles que « Les petits débrouillards », mais également dans le cadre de la Semaine des mathématiques. Aujourd’hui, près de 10% des jeunes Français de 17 ans rencontrent des difficultés pour conduire un calcul dans des situations simples. Les outils mathématiques sont indispensables au quotidien. Il faut permettre aux élèves d’en prendre conscience. » [1]
= DANS LE MUR. Faire du sens, encore du sens, toujours du sens. On ne sait plus pourquoi, mais ça aura du sens !
Les apprentissages se font déjà toujours à l'aide d'activités colorées, et tellement diverses qu'on ne voit plus de cohérence dans cette discipline. On a évacué les exercices répétitifs et formateurs, et on s'est habitué à proposer sans cesse de nouveaux problèmes originaux sur lesquels perdre son temps. On a ainsi dégoûté beaucoup d'élèves qui ne peuvent s'apercevoir que d'une chose quand on essaie de savoir quel est leur niveau : c'est qu'ils ne savent rien et n'arrivent plus à utiliser de connaissances solides. Ils perdent alors toute confiance en soi !
Alors les « semaines des mathématiques » pour apporter la « bonne parole », les approches qui « font du sens » mais reste au niveau ras de terre, et les jeux pour les « petits débrouillards », cela n'amusera pas grand monde et ne formera pas beaucoup d'élèves au raisonnement ni à la résolution d'une simple équation du premier degré du genre 3x+7=5, équation que très peu d'élèves de seconde savent maintenant résoudre après des tonnes de réformes qui n'en finissent plus d'améliorer le système. On n'apprend plus jamais ce qu'est un nombre, quelles règles régissent les réels, qui sont les rationnels, on ne sait plus bien dans quel espace on travaille. Mais on boulonne comme seul un littéraire sait le faire. Tout cela n'est pas important pour nos « débrouillards » : il suffit qu'ils s'amusent sur un petit problème ouvert, et basta !
S'amuser... Je pense qu'on a perdu la bataille d'avance si l'on s'engage dans cette direction. Il y a des jeux beaucoup plus intéressants sur consoles ou PC, dans lesquels il faut raisonner pour gagner, et savoir utiliser ses manettes. A quand Warcraft en classe de maths pour apprendre à gérer ses approvisionnements et mener une stratégie efficace ? Voilà la vraie réforme des maths !
Et ceux qui auraient seulement envie d'apprendre POUR DE BON comment résoudre une équation du premier degré, pour la beauté, pour comprendre réellement une technique, ou pour simplement « jouer à faire des maths » ? Et ceux qui veulent s’entraîner sur des exercices de géométrie suffisamment répétitifs pour arriver à un certain niveau de connaissance et de prise de distance ? Acquérir des connaissances pour pouvoir réfléchir ? Ben non, ils auront toujours des petits jeux à résoudre, et resteront à ce niveau jusqu'à la sortie du système. C'est le système des « petits jeux ». Ils changeront de méthode en entrant à la fac, s'ils arrivent à tenir jusque-là ! Et si nous choisissions de « jouer pour de vrai une belle partition » ?
d) « Toutes les disciplines sont concernées par l’acquisition des compétences et des techniques fondamentales des mathématiques, qu’il s’agisse des grandeurs, des pourcentages, de la lecture de graphiques etc. Par exemple, un professeur d’éducation physique et sportive peut faire mesurer les performances sportives en mettant en relation temps et distance, un professeur de géographie, travailler sur la compréhension des échelles. » [1]
= BLA BLA BLA. Et un petit gargarisme sur l'utilité des maths partout où on ne les étudie pas. Et puis quelles maths ! Pourcentage et graphique, nous voilà armés pour la vie ! On pourra devenir journalistes.
Amusant : on n'a jamais aussi peu fait d'interdisciplinarité au lycée que depuis la dernière réforme de 2010 : maintenant les maths ne servent à rien pour la physique, et réciproquement ! Il fallait arriver à dissocier un couple de disciplines si proches ! Maintenant au lycée, on propose de la physique comme on le ferait au XIXe siècle avant la découverte de l'électricité : c'est très descriptif, et il faut peu d'équations. De toutes façons, les élèves ne savent plus ce qu'est une fonction ni une équation différentielle très simple. C'est trop dur il paraît. Il faut palabrer autrement. C'est le progrès !
Quant à calculer des pourcentages en EPS, voilà de quoi dégoûter encore plus de futurs footballeurs qui penseront toute leur vie que les maths, c'est fait pour ennuyer un max, même en sport.
Et puis tout le monde sait bien qu'en science, l'histoire-géographie, ça ne sert à rien. On en fait pourtant jusqu'en terminale en section scientifique, parce qu'il y a un lobby histoire-géo qui sait y faire. Mais on perd son temps. A quoi ça sert en sciences ? Je pense qu'on fait vraiment tout pour avoir de moins en moins de scientifiques, et qu'après, on s'en étonne béatement...
e) « Nous allons actionner trois leviers : le nombre de postes ouverts aux concours de mathématiques (1.897 postes au CAPES et à l’agrégation externes pour 2015), qui sera maintenu à un niveau élevé » [1]
= BONNE IDEE, mais pourrait-on faire autrement, sauf à avoir une marée de parents d'élèves mécontents dans les rues ? Ce qui faut, ce sont des « pions » à placer rapidement devant chaque classe, quel que soit la nature du pion. Il faut gérer la crise, donc il faut recruter tous azimuts. Pas d'autre solution devant l'impasse où l'on s'est placé depuis 20 ans. On récolte toujours ce que l'on sème.
f) « la création d’une option informatique au CAPES de mathématiques pour attirer de nouveaux candidats, » [1]
STUPIDE ET DANGEREUX. Une option informatique ne servira à rien pour enseigner les maths, bien au contraire. Idée : pour recruter plus de profs de maths, recrutons des profs moins formés en maths et qui ont une autre spécialité !
Je propose qu'on crée une option anglais au CAPES maths pour enseigner les maths en anglais. Cela ne sert à rien, sera un obstacle de plus pour qui voudra acquérir un certain niveau en maths pour pouvoir enseigner à nos enfants, mais drainera des profs estampillés « profs de maths » sur le terrain, et on y verra que du feu. Ils sauront mieux parler anglais, mais bon…
g) « et un appui aux enseignants contractuels pour leur préparation aux concours. » [1]
= VAGUE, VASEUX, GAZEUX, mais gentil : on va les appuyer. On profite bien de vous depuis qu'on a supprimé l’auxiliariat et les avantages liés à ce statut, mais on pense à vous ! On est de tout coeur avec vous : allez hop vous y arriverez ! C'est sympa et ça ne mange pas de pain.
h) « Les carrières scientifiques sont encore l’apanage des garçons. Comment attirer davantage de jeunes femmes vers ces filières ? Nous allons nous appuyer sur le nouveau service public régional de l’orientation et sur les associations, pour promouvoir les filières scientifiques et techniques auprès des filles. Un effort particulier sera porté à l’identification des stéréotypes sexués dans l’écriture des exercices et à l’accompagnement des enseignants sur ce sujet.(...) En mathématiques, les filles peuvent réussir aussi bien que les garçons. Les dix mesures de la stratégie mathématiques y contribueront. » [1]
= COMBAT PASSEISTE. Faut-il encore jouer les filles contre les garçons au XXIe siècle ? On se trompe de cible, mais on en a l'habitude. Vous avez vu les classes de terminale scientifiques ? Il y a une grosse majorité de filles non ? Elles sont bonnes en maths et travaillent souvent mieux que les garçons. Et en collège, on n'en parle même pas !
Les garçons se dirigent en priorité dans le mur dès le collège. Ils croient être intelligents à jouer les « forts à bras avec cervelles de moineaux », et ça marche ! Ejectés du système par dégoût prononcé, manque d'intérêt pour les études et par l'appel insidieux de la vie hors bahut, détruits par un intérêt sans borne pour tout ce qui est jeux électronique, beaucoup d'entre eux n'arriveront pas en seconde par incapacité notoire.
Cet échec scolaire masculin précoce n’apparaît jamais dans les statistiques unisexes. Celles-ci évoquent 150 000 jeunes sortants sans qualification, sans préciser qu'il s'agit de plus de 110 000 jeunes garçons qui ont laissé tomber. A la sortie de l'école primaire, on parle de 20% de jeunes élèves qui ne savent ni lire ni écrire, sans dire qu’il s’agit de près d’un garçon sur trois et de moins d’une fille sur 8. La situation est catastrophique en lecture où 32% des garçons, soit près d’un garçon sur trois en 2012, n'arrivent pas à obtenir une compétence minimale en lecture. De quoi être assuré de rater toute sa scolarité, et de gâcher son avenir. Que peut-on apprendre si l'on ne sait pas lire ? (Pour ces chiffres, voir [2]).
Alors pitié : apprenez à LIRE à nos enfant, et ce sera un bon départ dans la vie. Que ceux qui ne savent pas lire en sixième vienne en classe seulement pour apprendre à déchiffrer des textes et à écrire, Il faut arrêter de croire qu'on peut avoir un cursus normal en collège si on ne sait ni lire ni écrire. De qui se moque-t-on ?
Pour le reste, filles ou garçons, c'est pareils : tous ont droit au savoir et à s'épanouir dans le domaine qu'ils auront choisis, en maths comme en lettres, ou dans des domaines professionnels, ou ailleurs.
L'époque est à ne voir que du sexe de partout. On est obnubilé par tout ce qui est sexué, en prétendant le contraire. Doit-on passer ses jours à sans cesse faire la distinction entre garçons et filles ? Ce sont des êtres humains avant tout, mais on ne le répète plus. Offrons le meilleur à tous, c'est ce qui importe.
Ah ! On va dire que je ne propose rien. Allez juste une idée… Si l’on veut une recette efficace qui permettrait de recruter des professeurs de maths d'un bon niveau pour nos enfants, et bien cette mesure a déjà existé en temps de pénurie : c'est un pré-recrutement de type IPES sur concours à la fin de la première année de fac de sciences, comme en 1975, puis un contrat liant les lauréats pour dix ans avec l'éducation nationale, charge à eux de passer le CAPES au moins trois fois et de le réussir. Ces lauréats seraient payés comme fonctionnaires pendant leurs études, et cela permettrait de ne prendre que les meilleurs au-delà de toute ségrégation sociale. La République vaut bien ça, et nos enfants aussi.
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Références :
[1] Il faut donner le goût des maths aux élèves, 20 min info du 03/12/2014, propos recueillis par Delphine Bancaud en http://www.20minutes.fr/societe/1494195-20141203-faut-donner-gout-maths-eleves
[2] Interview de Jean-Louis Auduc sur les Outils pour l’égalité filles-garçons à l’école, sur http://www.enseignants-pour-enfance.org/spip.php?article297
* Pour d'autres nouvelles sur le front de l'enseignement des mathématiques, vous êtes les bienvenus sur https://www.facebook.com/avantimegamaths !
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