Rendant compte du « climat » courtois qui a régné lors du débat sur le sujet à l’Académie des Sciences, le 20 septembre 2010, Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de physique du globe de Paris, a, dans une vidéo parue sur AgoraVox (1), insisté sur cette évidence.
« La science ne résulte pas d’un vote, a-t-il dit, ce n’est pas une activité démocratique. Malheureusement une seule personne peut pendant des dizaines d’années avoir raison contre une autre, », voire une majorité, a-t-on envie d’ajouter. De même, a-t-il souligné à propos de la pétition adressée par des climatologues à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, « que des scientifiques demandent à une autorité politique d’expliquer qu’ils avaient raison, était quelque chose de curieux. »
La fiabilité d’une information qui est la fin dernière de toute recherche scientifique, n’a pas cessé, en effet, de rencontrer comme obstacles deux pouvoirs : celui de l’autorité et celui de la pression du groupe.
Savoir et pouvoir de l’autorité
L’Histoire montre à suffisance que l’autorité ne tolère que le savoir qui accroît sa puissance et combat celui qui la menace. Depuis Archimède inventant, outre le principe et la vis qui portent son nom, nombre de machines de guerre, le savant est protégé par les princes dans la mesure où il contribue par ses inventions à les rendre plus redoutables à leurs ennemis, leurs rivaux et leur peuple. Mais dès que ses hypothèses ou découvertes peuvent affaiblir leur autorité, il est persécuté.
Un exemple emblématique de ce conflit entre le savoir et l’autorité est sans doute Socrate condamné à mort, en -399, sous prétexte de corrompre la jeunesse par son enseignement. Mais Galilée en est un autre : il a, par ses observations astronomiques à la lunette, validé l’héliocentrisme proposé un siècle plus tôt par Copernic, contredisant par voie de conséquence la représentation géocentrique de l’univers imposée jusque-là par la Bible et enseignée par l’Église. La réaction de l’appareil ecclésiastique ne s’est pas fait attendre : le 22 juin 1633, au couvent dominicain de Santa Maria Sopra Minerva à Rome, à deux pas du Panthéon, il a dû, sous peine d’être brûlé comme Giordano Bruno en 1600, qui avançait l’hypothèse d’une pluralité de mondes, renoncer à sa thèse, à savoir « que le Soleil est au centre du monde et ne se déplace pas, et que la Terre n’est pas au centre du monde et se déplace ».
Deux autres figures emblématiques plus récentes pourraient être celles de deux physiciens, un américain, Robert Oppenheimer et un russe/soviétique, Andréi Sakahrov. Tous deux ont joué dans leur pays respectif un rôle décisif dans la construction de l’arme nucléaire et ont été couverts d’honneurs jusqu’au jour où, prenant conscience du danger mortel qu’elle représentait pour l’humanité, ils ont voulu chacun à leur façon alerter leur gouvernement. Ils ont été traités alors comme des parias, suspectés d’être des agents de l’ennemi. Oppenheimer a été chassé des laboratoires ; Andréi Sakharov a été assigné à résidence comme l’avait été avant lui jusqu’à sa mort Galilée dans sa petite villa d’Arcetri près de Florence.
Lyssenko au contraire, a, bénéficié de toutes les faveurs de Staline : dans les années 1940, avec l’Académie agricole de l’URSS, il a combattu la génétique, théorie réactionnaire faisant du gène le support invariable de l’hérédité, et jugée contraire aux croyances déduites du Livre, « Le Capital » de Marx. Il défendait au contraire l’influence prééminente du milieu sur l’évolution pour la ruine de l’agriculture soviétique.
Ainsi, qu’elle soit religieuse ou politique, ou qu’elle soit libéraliste ou communiste, l’autorité tend-elle à combattre tout savoir qui l’amoindrit ou la menace.
Le savoir et le pouvoir de la pression du groupe
La seconde forme de pouvoir issu d’un consensus majoritaire qui constitue le critère de décision dans une démocratie, n’offre pas plus de garantie d’accès à "une représentation fidèle de la réalité". L’Histoire montre, en effet, que les groupes majoritaires peuvent délirer et croire à des mythologies éloignées de la réalité. Les divers réflexes innés et socioculturels conditionnés dont l’individu est équipé, sont activés par le groupe : ils trompent et paralysent son exigence de rationalité - ou besoin de comprendre - et subornent son exigence d’irrationalité ou besoin de satisfaire ses pulsions et désirs.
Nul ne sort indemne de la pression qu’un groupe exerce sur lui. Les expériences de Solomon Asch entre 1953 et 1955 l’ont montré : l’individu aspire profondément à adhérer à l’opinion du groupe, tenue pour le critère de la normalité, fût-elle délirante : plus d’un tiers des sujets étudiés renonçaient à leur propre perception pour adopter celui de leur entourage qui prétendait que le segment de 10 cm à gauche était égal à celui de 20 cm à droite. Les deux tiers qui maintenaient leur point de vue contre le groupe, n’en étaient pas moins rongés par le doute : ils ne pensaient pas pouvoir avoir raison seuls contre l’apparent pluralisme de sources que représentait le groupe. C’est ainsi que les croyances les plus insensées ont eu la vie dure : la terre était plate, le soleil tournait autour d’elle, la femme ne jouait dans la procréation que le rôle d’un four dans lequel on glissait un pain pour le cuire, les êtres vivants naissaient par génération spontanée...
Inversement, des découvertes majeures ont été souvent faites par des individus ayant raison contre tous. Descartes l’avait signalé dans « Le discours de la Méthode » en 1637 : « (…) La pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu malaisées à découvrir à cause qu’il est bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple. (…) » Et La Fontaine lui avait emboîté le pas en 1678 dans sa fable « Démocrite et les Abdéritains » : Démocrite passait pour un fou aux yeux de ses concitoyens parce qu’il émettait l’hypothèse que l’univers était constitué d’atomes. Le médecin Hippocrate, dépêché auprès de lui, découvre que « Ces gens étaient les fous et Démocrite le sage ». Et La Fontaine de conclure : « Le peuple est juge récusable. / En quel sens est donc véritable / Ce que j’ai lu dans certain lieu / Que sa voix est la voix de Dieu ? »
Ainsi des chercheurs ont-ils d’abord été méprisés avant que leur découverte fût reconnue.
- Ignace Semmelweis se fait rire aux nez quand il conseille en 1847 de se laver les mains quand on passe de la dissection d’un cadavre à une séance d’accouchement : il a pourtant fait faire un grand pas vers la prévention de l’infection, la fièvre puerpérale, dont mouraient nombre de femmes qui accouchaient.
- Charles Darwin comme Galilée se heurte aux représentations de la Bible : il propose en 1859 une réprésentation de l’origine et de l’évolution des espèces contraire à la création de la Genèse.
- Dans la même période, Louis Pasteur n’est pas davantage pris au sérieux quand il réfute « la génération spontanée ».
- Qui croit Grégor Mendel, ce moine de Brno, dont les expérimentations sur les petits pois mettent en évidence l’existence de gênes dans le développement de l’être vivant en 1865 et les manifestations de leurs apparences. Il faut attendre 40 ans pour que ses travaux soient reconnus par la génétique naissante.
- Au 20ème siècle, Les théories d’Albert Einstein sur la relativité n’ont pas été accueillies non plus avec enthousiasme au début par la communauté scientifique.
- Alfred Wegener, défenseur de la dérive des continents ouvrant sur la théorie de la tectonique des plaques, n’est guère cru davantage au début.
- La découverte de deux chercheurs australiens, Robin Warren et Barry Marshall, qui identifient dans les années 1980 une bactérie et non le stress comme cause de nombre d’ulcères gastroduodénaux, suscite les sarcasmes de la communauté scientifique, jusqu’à ce que B. Marshall avale une dose de cette bactérie en culture, attrape évidemment un ulcère et le soigne par antibiotique. Ils ont obtenu le prix Nobel de physiologie et de médecine en 2005.
C’est donc avec raison que Vincent Courtillot en appelle sur le climat à un débat « ouvert » et « contradictoire » : la science ne se décrète pas ni ne s’impose par consensus. Il en est de même de la fiabilité de l’information en général : le doute méthodique en est la condition d’accès. Des procédures démocratiques, seule la liberté d’expression qui permet le débat, trop souvent confondu avec "la polémique" par des médias ignorants, contribue à la découverte de la représentation de la réalité la plus fidèle. En revanche, la loi de la majorité en éloignerait plutôt. Un stade supérieur de démocratie devrait justement en tirer une leçon : puisque la majorité peut se tromper, on ne devrait plus parler de « dictature de la majorité », le respect de la minorité devrait s’imposer. Et la majorité prise comme critère pour l’adoption d’une loi ou le choix d’un élu, ne devrait être considérée que comme une simple technique de prise de décision provisoire et rien de plus. Paul Villach
(1) Vidéoscopie, émission du 29 octobre 2010, « Vincent Courtillot se dit satisfait par le débat sur le climat à l’Académie des sciences », AgoraVox, 31 octobre 2010.