Etienne Chouard, Don Quichotte des temps modernes -I
Analyse et commentaire critique de la conférence TEDxRepubliquesquare d’E. Chouard datée de Mars 2012 et intitulée « Chercher la cause des causes ».
Première partie : déconstruction de l’argumentaire
Si nous prenons ici le temps de procéder à la critique de l’une des conférences d’E. Chouard –conférence que nous trouvons assez représentative de son projet global, c’est que le sujet qui le préoccupe –l’origine des injustices sociales et du malaise qu’elles génèrent, est sur le fond très proche de celui qui est le nôtre et qui constitue la motivation première de la création de notre collectif. Aussi sommes-nous particulièrement sensible aux problématiques qu’il aborde et a fortiori aux conclusions qu’il formule et partage et qui ont un succès sur internet qui ne pouvait nous laisser indifférents.
Par ailleurs, il nous faut préciser que nous n’avons rien de personnel contre E. Chouard qui, malgré les défauts « majeurs » de son argumentation et de son raisonnement, n’en est pas moins quelqu’un qui semble honnête dans sa démarche et dans sa volonté de bien faire, ce qui, en dernière instance, reste pour nous -et de loin- l’essentiel. Cet idéalisme qui le caractérise et qui fait ici précisément l’objet de notre critique est paradoxalement ce qui fait pour nous l’intérêt de son propos.
Dans la conférence[1] que nous nous proposons ici de critiquer, organisée par TedxRepubliqueSquare le 22 mars 2012, Etienne Chouard se propose de nous exposer les résultats de ses travaux portant sur ce qu’il nomme la « cause des causes de toutes les injustices sociales ». Faisant sienne la méthode hippocratique de la déduction causale, consistant à ne pas se focaliser sur les symptômes, mais bien sur une hypothétique origine première et commune de ces derniers, il serait ainsi parvenu à identifier l’ultime raison de ces injustices. Celle-ci, nous dit-il, résiderait en effet dans le caractère représentatif des régimes politiques actuels, caractère qui graverait inévitablement dans le marbre de la constitution l’impuissance politique des peuples, et par là leur soumission aux intérêts particuliers d’une « oligarchie ploutocratique » que ce type de régime, toujours selon Chouard, impliquerait nécessairement.
Cependant, nous allons voir dans cette première partie qu’étant donnée la méthodologie adoptée, se voulant « scientifique » et « factuelle » mais reposant en réalité sur le postulat hautement métaphysique que constitue la possibilité même d’une cause des causes, sa démonstration est dès l’origine condamnée à la tautologie, tropisme condamnant à son tour l’hypothèse (la problématique retenue) comme la thèse (la solution proposée) formulées par Chouard à l’irrecevabilité. Cela nous conduira, à l’occasion de notre prochaine tribune, à reformuler le problème soulevé par E. Chouard et à proposer nos propres solutions.
Le caractère métaphysique de la recherche d’une « cause des causes »
Il faut rappeler ce que Chouard –qui admet s’être inspiré d’Hippocrate- ne peut ignorer, à savoir que la notion de cause des causes renvoie immédiatement à celle de la philosophie scolastique (et donc profondément théologique) de « cause première » (notamment développée dans La Métaphysique d’Aristote), qui renvoie elle-même ni plus ni moins à une entité « divine ». En effet, pour Aristote, qui -cherchant la cause première du mouvement des astres- est le premier à avoir procédé à cet exercice intellectuel de déduction causale, la cause des causes était un « moteur premier », moteur qui prendra dans la théologie scolastique moderne la figure de ce « deus ex-machina » qu’est le Dieu du christianisme et qui autorisera, comme pour Chouard, de « miraculeuses » démonstrations[2].
Plus fondamentalement, d’un point de vue strictement logique, la cause des causes est une antinomie, un paradoxe indépassable, puisqu’en vertu du principe de causalité, toute cause est l’effet d’une autre cause, et ce à l’infini[3]). Aussi, se donner comme projet de chercher la cause des causes est déjà en soi un projet « idéaliste », c’est-à-dire qui ne peut avoir aucune prétention à la validité scientifique. On ne peut en effet comme le fait Chouard déduire à partir du concept premier de cause des causes ce qu'il contient et on est conduit à la tautologie. En effet, « Aucun principes scientifiques ne peut être déduit par voie analytique. Par exemple, le principe de causalité ne peut pas être déduit analytiquement car si tout évènement à une cause, on ne peut déduire de la notion d’évènement la notion de causalité, on ne peut en déduire qu'il doive avoir une cause. » [4]. Et prétendre y être parvenu, c’est vraiment avoir pris, tel Don Quichotte, des moulins à vent bien réels pour des géants imaginaires !
Enfin, il est important de souligner le caractère éminemment tautologique de l’idée même de cause des causes, car elle renvoie à celle d’un auto-engendrement spontané et réciproque de la cause et de l’effet, tautologie qui précisément est celle qui, dans la mesure où elle caractérise et par là de ruine son projet dans son principe, caractérise et ruine avec la même radicalité son principal argument, argument dont la critique constitue précisément l’objet de notre seconde partie.
Nous allons maintenant voir en effet que le projet même de recherche de la cause des causes, dans la mesure où il implique nécessairement une réduction arbitraire du champ d’investigation causale (puisque, niant le principe de causalité, il nie la chronologie des évènements, dont toute une partie en deçà d’un moment « t » arbitrairement choisi est purement et simplement ignorée, comme si le phénomène expliqué était spontanément apparu à ce même moment), ne pouvait avoir pour conséquence que de conduire Chouard à une démonstration tautologique qui, tel le baron de Münchhausen qui s’extirpe lui et son cheval de l’eau en se tirant lui-même par les cheveux, contrant par-là toutes les lois de la physique, s’auto-justifie elle-même contre tous les principes d’un raisonnement logique et rationnel élémentaire
L’argument tautologique de notre Don Quichotte des temps modernes
La cause de « toutes les injustices sociales » serait, nous dit-il, notre impuissance politique, impuissance politique qui viendrait elle-même d’une constitution écrite par et pour les représentants (hétéronomie institutionnalisée/censure institutionnelle).
Or, précise-t-il, la cause ultime de cette cause, serait que nous laisserions écrire cette constitution par nos représentants. Ainsi, nous dit-il sans nuance, puisque le pouvoir corrompt systématiquement les politiciens et qu’ils ne sont donc pas responsables des maux qui nous accablent (on notera au passage la discutable radicalité d’un tel raisonnement), nous entretiendrions nous même notre propre impuissance politique (autohétéronomie/autocensure).
Autrement dit, la cause des causes serait que nous laisserions écrire la constitution par des individus nous interdisant de l’écrire. N’est-ce pas là un amusant paradoxe ?
Ainsi Chouard affirme que le problème ne serait in fine qu’une censure (hétéronomie) institutionnelle qui aurait pour cause une autocensure (autohétéronomie) qui aurait elle-même pour cause…. une censure institutionnelle ! Soit une impuissance politique qui s’auto-engendrerait spontanément ! On est ici face à un argumentaire tautologique (la cause et l’effet se confondent), et par là aporétique (on ne sait pas en définitive lequel engendre l’autre).
D’où l’imprécision des propos tenus par Chouard qui qualifie lors de cette conférence alternativement de cause des causes l’hétéronomie institutionnelle et l’autohétéronomie, imprécision qui ne tient qu’au fait que ces deux causes ne sont en fait pas dissociables l’une de l’autre.
Pour sortir de cette impasse logique dans laquelle nous conduit inévitablement son projet irréalisable de chercher la cause des causes (qui ne peut se faire par définition que par abstraction du contexte historique d’émergence du phénomène étudié, la notion de cause des causes renvoyant nous l’avons vu à une négation de la chronologie qu’impose le principe de causalité), il aurait fallu précisément interroger cette évolution chronologique, et donc la recontextualiser pour en analyser les causes historiques. Autrement dit, chercher les causes de cette autocensure institutionnalisée. Pourquoi donc les citoyens acceptent-ils cette situation depuis, selon lui, deux siècles ?
Si E. Chouard soulève cette interrogation, il ne la traite pas, et la balaie du revers de la main comme s’il s’agissait d’un insignifiant détail, d’une « simple conséquence », se contentant simplement de qualifier avec tout le tact et la nuance qui caractérise son rapport aux masses populaires « d’indéfendable » le fait de « voir tous ces pauvres défendre l’élection » (sic !). Et il ne la traite pas plus dans ses autres interventions que dans celle-ci. Sans nécessairement prétendre chercher « la cause des causes », il eut été en effet intéressant de s’interroger sur la ou les causes de cette acceptation plus ou moins généralisée de l’impuissance politique ici incriminée, et ce sans recourir à un argument tautologique consistant à dire que cette impuissance s’est auto-engendrée spontanément et que si les gens l’acceptent c’est pour la simplissime raison que ce sont des abrutis mystifiés qui « défendent l’élection comme une vache sacrée ».
Ainsi nous avons tenté de montrer brièvement en quoi l’argumentaire d’E. Chouard, reposant sur le postulat métaphysique de la possibilité de trouver une cause à toutes les causes, invalidait à l’origine sa démarche. Aussi allons-nous voir maintenant en quoi la solution proposée par notre Don Quichotte des temps modernes, consistant en un « retour » au tirage au sort comme procédure de sélection de nos gouvernants, est elle-même -conséquence directe de cet écueil principiel, condamnée à l’irrecevabilité.
La solution magique de notre Don Quichotte : le tirage au sort. (Ou comment faire surgir un lapin athénien d’un chapeau babylonien)
Comme nous l’avons dit, le caractère métaphysique de la démarche, qui condamnait la démonstration à la tautologie, ne pouvait que conduire à une solution aporétique. En effet, affirme Chouard, si « c’est à nous d’interdire [aux gouvernants] d’écrire la constitution », il faut que nous puissions l’écrire nous-même. Ce raisonnement déjà tautologique le conduit à voir dans le tirage au sort le meilleur moyen d’y parvenir. Cependant, le pouvoir d’imposer le recours au tirage au sort comme procédure de sélection des représentants supposerait préalablement le pouvoir pour le « bon » peuple d’écrire lui-même la constitution. Pour le dire trivialement, on tourne en rond encore une fois !
Par ailleurs, le recours aux postulats métaphysiques condamne Chouard à d’inévitables paralogismes. Aussi, si l’on admet comme le fait E. Chouard une conception idéaliste de l’humanité selon laquelle les concepts de bien et de mal comme ceux de normal et de pathologique seraient universels, il est tout aussi aporétique de proposer un tel recours à la souveraineté populaire. De fait, si d’une part, comme il l’affirme, le pouvoir corrompt nécessairement ceux qui y accèdent, et que d’autre part, citant Alain à l’appui, les « gens normaux », ces « Hommes justes » et « bons » par nature, ne veulent par essence pas gouverner (nous avons vu qu’il y avait déjà là une contradiction majeure), pourquoi ces derniers voudraient-ils soudainement faire ce qu’ils ne veulent pas faire -et que leur nature leur interdit de toute façon de faire, et cela même au prix de la « bonté » et de la « normalité » qui les caractérise et qui précisément les tient éloignés du pouvoir ?
Plus fondamentalement, et en prenant le problème par l’autre terme de la contradiction évoquée précédemment, si ce sont nécessairement, comme l’affirme Chouard, les « pires d’entre nous » qui veulent gouverner, et que le reste, les « bons », les « normaux », ne le souhaitent pas, en quoi proposer le recours au tirage au sort sur la base du volontariat résoudrait quoi que ce soit au présent problème ?
Enfin, il nous faut évoquer un dernier paralogisme de taille. En affirmant qu’in fine le recours au tirage au sort nous permettrait de donner le pouvoir aux « meilleurs d’entre nous » (Chouard doit ici faire référence à une espèce d’élite naturelle, naturellement bonne et incorruptible, qui parviendrait à aller contre cette « loi physique et implacable » qui veut que le pouvoir « rende fou » inévitablement. Assumons, si l’on tente de suivre son imparable raisonnement, qu’il doit s’agir de ceux qui veulent le moins le pouvoir et qui par-là souhaiteraient le plus être volontaire pour être tirés au sort…), notre expert en cause des causes ne nous propose ni plus ni moins que le modèle d’une aristocratie idéale (comme celle voulu par un autre idéaliste nommé Platon) ! Ce qui, reconnaissons-le, est assez cocasse quand on se présente comme le défenseur de la « vraie » démocratie…
Aussi, et par extension, outre le fait que pour pouvoir imposer le recours au tirage au sort, dans la mesure où, comme le dit Chouard à juste titre, les gouvernants actuels n’ont aucun intérêt à nous rendre notre souveraineté, il nous faudrait littéralement « prendre les armes » (seul moyen de lever l’aporie), la possibilité même d’une telle démocratie directe reposerait en définitive non seulement sur l’hypothèse profondément idéaliste de la nécessaire bonté du peuple, mais également sur les postulats tout aussi idéalistes que sont d’une part celui de l’existence de ladite élite naturelle qui, se sachant meilleure que les autres de par la conscience qu’elle aurait de son profond dégoût du pouvoir, souhaiterait néanmoins par pur altruisme accéder à ce qui la rebute le plus, et d’autre part celui de la bonne volonté intrinsèque d’une majorité populaire qui, consciente quant à elle de sa vulnérabilité face à l’attrait du pouvoir, ne le souhaiterait précisément pas (oui, c’est quelque peu kafkaïen : elle s’en détournerait précisément car elle sentirait au fond d’elle-même qu’elle pourrait éventuellement aimer ça…) et laisserait ainsi l’élite désintéressée (qui elle ne voudrait donc vraiment pas gouverner, ce qui serait précisément sensé la motiver à vouloir gouverner. Vous suivez toujours ?) se charger de les représenter.
L’écueil éthico-pratique de la « solution chouardienne »
Lors de la conférence qui nous occupe, Chouard, qui évoque la question de la citoyenneté et de l’esclavage, nous dit de but en blanc qu’elle n’est pas le problème, et qu’il nous faut uniquement nous concentrer sur la liberté politique des citoyens de l’époque. Il affirme également avec ce sérieux et cet enthousiasme naïf qui le caractérise, invoquant Aristote comme s’il s’agissait d’un oracle infaillible, que durant les deux cents ans de démocratie athénienne, « ce sont toujours les pauvres qui ont gouverné ». Encore une fois, Chouard est pris en flagrant délit de légèreté –pour ne pas dire de malhonnêteté- intellectuelle.
Avant d’aborder la question de l’intime relation entre une certaine conception métaphysique de l’Homme, le servage institutionnalisé par le droit et la démocratie directe dans l’Athènes de l’époque, nous rappellerons au sujet de la nature humaine ces propos d’Aristote, ce « grand » défenseur de la démocratie directe (et référence récurrente de Chouard pour cette raison) :
« Le même rapport se retrouve entre l'homme et les autres animaux. D'une part les animaux domestiques sont d'une nature meilleure que les animaux sauvages, d'autre part, le meilleur pour tous est d'être gouverné par l'homme car ils y trouvent leur sauvegarde. De même, le rapport entre mâle et femelle est par nature un rapport entre plus fort et plus faible, c'est-à-dire entre commandant et commandé. Il en est nécessairement de même chez tous les hommes. Ceux qui sont aussi éloignés des Hommes libres que le corps l’est de l’âme, ou la bête de l’Homme (et sont ainsi fait ceux dont l’activité consiste à se servir de leur corps, et dont c’est le meilleur parti que l’on puisse en tirer), ceux-là sont par nature des esclaves ; et pour eux, être commandés par un maître est une bonne chose, si ce que nous avons dit plus haut est vrai. Est en effet esclave par nature celui qui est destiné à être à un autre (et c'est pourquoi il est à un autre) et qui n'a la raison en partage que dans la mesure où il la perçoit chez les autres mais ne la possède pas lui-même. (Aristote, La Politique, Livre I).
Faisant abstraction du caractère pour nous profondément choquant de tels propos, on remarquera la proximité entre les postulats métaphysiques d’Aristote portant sur l’essence humaine et sa classification entre individus naturellement nobles et naturellement vils et les hypothèses de même nature mobilisées par Chouard et portant sur la naturelle vertu du « bon » peuple par opposition à la tendance naturelle à l’égoïsme et à la corruption de ceux qui par essence souhaiteraient gouverner. Or, si cette proximité n’a rien de surprenante, puisque nous l’avons vu Chouard a fait sienne la métaphysique aristotélicienne, depuis la méthodologie jusqu’aux postulats, c’est bien celle-ci qui en dernier lieu pose problème.
En effet, on ne peut pas isoler comme il le fait un régime politique de son contexte historique d’émergence, contexte qui en constitue la condition de possibilité. Et l’esclavage, comme l’exclusion des esclaves des femmes de la citoyenneté athénienne, constituent le premier versant de cette condition éthico-pratique de possibilité de la démocratie directe. (Ethique -ou morale, d’abord, car elle détermine une représentation du bien et du mal, et par la suite éminemment pratique, car elle implique une traduction institutionnelle de cette représentation, traduction politique qui détermine à son tour les modes d’organisation et de régulation du social).
En effet, toute pratique politique est de part en part déterminée par un « corpus anthropologique », c’est-à-dire une conception de la nature humaine et de sa « place dans le monde ». Et dans le cas de la démocratie athénienne, c’est sur la représentation aristotélicienne de l’humanité ci-dessus exposée que repose entièrement cette pratique.
Rappelons, contre Castoriadis, dont les réflexions sur la démocratie athénienne ont fortement inspirées E. Chouard[5] et qui pour nous se méprend gravement sur ce point, que l’Athènes de l’époque est un mélange de théocratie et de « mythocratie », et non cette société rationnelle que décrit l’auteur de La montée de l’insignifiance. Nous entendons par là qu’à la différence de notre paradigme humaniste[6] et libéral au sein duquel il n’y a pas de transcendance possible, c’est-à-dire que c’est à l’individu qu’il revient de produire sa propre vérité morale par le biais de la raison[7], le paradigme qui caractérisait la Grèce antique imposait une vision du monde subordonnée à un ensemble de représentations à la fois théologique (les grecs avaient leur panthéon, comme Aristote avait son « moteur premier », sa « cause des causes ») et mythologique (le présent s’expliquait par les mythes, ou, toujours pour Aristote, par des postulats métaphysiques), ensemble constituant un système symbolique déterminant un cadre moral autorisant la classification des individus et l’attribution de leur fonction sociale selon leur supposée nature (classification sur laquelle reposait également la République idéale théorisée par son maître Platon) .
L’Athènes de l’époque était donc précisément marquée par ce caractère que Castoriadis, lui refusait –et c’est là son incompréhensible erreur, à savoir une certaine « clôture de la signification », c’est-à-dire justement cet ensemble de représentations métaphysique dont la cohérence interne pouvait tout expliquer « par elle-même » (clos sur lui-même), autrement dit, de tout expliquer de manière « tautologique » (exemple trivial mais simple à comprendre, celui de l’autojustification consistant à légitimer quelque chose par le simple fait que cette même chose est conforme à la loi en vigueur).
Ainsi, la « liberté des anciens » reposait théoriquement sur une anthropologie rendant moralement acceptable l’esclavage, esclavage qui rendait à son tour possible dans la pratique la liberté politique d’une minorité d’individus.
Aussi, la question fondamentale que devrait selon nous se poser E. Chouard, et que la lecture de Castoriadis aurait dû lui suggérer fortement (car si nous ne partageons pas son analyse de la cité athénienne, nous partageons en grande partie les problématiques fondamentales qu’il retient concernant la « démocratie » actuelle), est celle portant sur les raisons non pas institutionnelles, dont elles ne sont que la traduction pratique, mais bien historiques et psychologiques, pour ne pas dire philosophiques, qui ont conduit à l’abandon d’un paradigme pour l’autre.
Ce point sera l’objet d’une deuxième tribune, où, partant de la distinction Constantinienne entre « liberté des anciens » et « liberté des modernes », nous nous proposerons de reformuler le problème soulevé par Chouard et d’y apporter nos propres réponses.
[1] Pour toutes les références concernant cette conférence, voir http://www.youtube.com/watch?v=oN5tdMSXWV8
[2] Notamment chez Descartes, qui fonde le cogito sur l’existence présupposée d’une telle cause première absolue et divine, mais également chez d’autres grands noms de la philosophie classique tels que Leibniz et son « harmonie préétablie », ou encore chez Spinoza et Malebranche et leur « créationnisme continu », qui fondaient tout ou partie de leur réflexion sur l’existence et sur l’action passée ou présente d’un « Dieu-cause-des-causes »
[3] Et la théorie du Big Bang ne le remet pas en question dans la mesure où l’impossibilité de connaitre la ou les causes d’un phénomène ne signifie pas que cette cause n’existe pas. Et la théorie quantique comme celle dite des « cordes » tendent à confirmer la représentation purement causaliste du réel.
[4] Jacques Rivelaygue, Leçons de métaphysique allemande, Tome II, Kant, Heidegger, Habermas.Paris, Grasset, 1992, 497 p.
[5] Entre autres Cornelius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, Paris, Édition du Seuil, coll. « Essais », 1996, 292 p.
[6] Humanisme qui signifie, il est parfois nécessaire de le rappeler, « anthropocentrisme », par opposition au « théocentrisme », c’est-à-dire une vision du monde selon laquelle le législateur serait l’Homme et non plus un hypothétique Dieu que la rationalité aura évacué. L’humanisme correspond donc aux lumières, et n’est en rien une quelconque disposition de l’esprit à l’altruisme ou à la générosité.
[7] Concept d’autonomie du sujet typiquement moderne et qui est au fondement de la stricte égalité entre tous les humains, conception radicale de cette dernière interdisant notamment l’esclavage (ou, en termes kantiens, le fait d’utiliser l’Homme comme un moyen, et non comme une fin).
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