Justice : Marc Machin vs Bernard Tapie
Condamné en 2001, puis acquitté neuf ans plus tard pour un crime qu’il n’avait pas commis, Marc Machin va recevoir une indemnisation de 600 000 euros pour « préjudice moral ». Une somme qui ne pourra jamais effacer le traumatisme psychologique né d’une détention infâmante non méritée. En cette circonstance, impossible de ne pas penser à Bernard Tapie dont le « préjudice moral » a été évalué en juillet 2008 à... 45 millions d’euros. Selon que vous serez puissant ou misérable...

Rappel des faits qui ont conduit Marc Machin en prison pour de longues années : en décembre 2001 au petit matin, Marie-Agnès Bedot, 45 ans, est tuée par un inconnu à coups de couteau sur une passerelle qui relie Neuilly à Courbevoie. Arrêté pour ce meurtre, Marc Machin est un jeune homme de 19 ans au profil de petit délinquant. Malgré l’absence de preuves, il est condamné, en première instance, sur un faisceau de présomptions à 18 ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises en 2004. Ce jugement est confirmé lors du procès en appel de 2005, la peine étant alors assortie de 12 ans de sûreté.
Entretemps, en mai 2002, alors que Marc Machin était en détention provisoire, un deuxième meurtre, précédé de viol, avait été commis, à peu près au même endroit et également au petit matin : Maria-Judith Araujo, 48 ans, était morte égorgée à l’aide d’un tesson de verre. Malgré les similitudes, aucun rapprochement entre les deux affaires n’avait été effectué par les enquêteurs.
Stupeur le 4 mars 2008 : un SDF de 34 ans nommé David Sagno se présente à 3 heures du matin au commissariat de La Défense. Convaincu préalablement par un pasteur alors qu’il était en prison pour d’autres faits, l’homme avoue spontanément les deux meurtres en donnant des détails précis qui obligent les enquêteurs à rouvrir le dossier.
Très vite, il apparait que l’ADN de David Sagno est présent sur les deux victimes alors que celui de Marc Machin était totalement absent du corps de Marie-Agnès Bedot. Dès lors, le doute n’est plus permis : Marc Machin n’est pas coupable. Libéré en octobre 2008, il lui faut toutefois attendre le procès en révision pour être définitivement acquitté, le 20 décembre 2012*. Et encore 18 mois pour que soit actée l’indemnité compensatoire.
La Cour d’Appel de Paris vient en effet de fixer, le vendredi 4 juillet, le montant de l’indemnisation qui sera versée à Marc Machin pour les années de prison qu’il a endurées en châtiment d’un crime qu’il n’avait pas commis. Cette indemnisation, ont décidé les magistrats, sera de 663 320 euros, dont 600 000 au titre du préjudice moral, et 63 320 au titre du préjudice matériel. Des sommes importantes au regard de la situation financière de millions de nos compatriotes qui vivent au quotidien dans la précarité, voire la pauvreté. Mais des sommes dérisoires si l’on considère les terribles épreuves qu’a dû subir Marc Machin, confronté, dès l’âge de 19 ans, à la violence de la privation de liberté en milieu carcéral durant 2 126 jours au cours desquels il n’a pu construire ni vie de famille, ni carrière professionnelle, ni vie sociale.
Des broutilles à côté de l’enfer vécu par Bernard Tapie ! Si l’on se réfère aux montants d’indemnisation attribués aux deux hommes, il faut en effet se rendre à cette évidence : l’ex-patron d’Adidas et de l’OM a été infiniment plus éprouvé par sa détention que Marc Machin. Et cela malgré un traitement de faveur en quartier VIP. C’est donc fort logiquement que les membres du tribunal arbitral voulu par Nicolas Sarkozy pour convenances personnelles et actionné par son exécutrice des basses œuvres Christine Lagarde, ont, avec une compassion qui les honore, décidé d’attribuer à l’homme d’affaires en eaux troubles une indemnisation record à la hauteur de l’immense traumatisme ressenti par ce pauvre « Nanard ». C’est ainsi que Bernard Tapie, en sus des 240 millions d’euros (hors intérêts) qui lui ont été attribués au titre du « manque à gagner », a reçu en bonus une indemnisation de... 45 millions d’euros au titre du « préjudice moral ».
Une indemnisation pour le seul « préjudice moral » 75 fois plus élevée que celle de Marc Machin, et cela pour une détention 13 fois moins longue !
Et dire qu’il se trouve des « petits pois » (des magistrats en langage sarkozyste) pour contester cet arbitrage et chercher des poux dans la tête de personnalités aussi intègres que Bernard Tapie, son avocat et ces fameux arbitres. Comme si des amis de Nicolas Sarkozy pouvaient ne pas être exemplaires en toutes circonstances, à l’image des irréprochables époux Balkany, intimes de l’ex-président, et témoins éclatants de sa grande rigueur morale. Mais laissons la Justice agir...
En attendant, espérons simplement que Marc Machin, à l’image de Patrick Dills ou Loïc Sécher, eux aussi injustement condamnés et indemnisés après de longues années de procédures, pourra, grâce à cet argent et en dépit de la modestie de cette réparation** en regard de la souffrance vécue, reconstruire sa vie sur des bases saines et retrouver un équilibre indiscutablement mis à mal par 5 années et 10 mois d’une détention imméritée et dévastatrice.
* Entretemps, Marc Machin avait été de nouveau poursuivi puis condamné à trois ans de prison ferme pour agressions sexuelles.
** Le prix d’un appartement de trois-pièces à Paris.
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