« Les juifs » sont innocents, comme tous les peuples
La justice a récemment conclu que sous le rapport de l’Holocauste les juifs ne peuvent être qu’innocents au sens où aucune responsabilité ne doit leur être imputée. Un tel jugement pourrait apparaître comme une inquiétante restriction de la liberté d’opinion mais il s’agit, tout au contraire, d’une bonne leçon qui, parce qu’elle s’adresse à TOUS autant que nous sommes, pourrait contribuer à la réconciliation et l’apaisement des esprits sans interdire le débat citoyen et les nécessaires mises en cause.
Dans son ordonnance du 12 février dernier, le juge des référés Marc Bailly, a conclu que, dans l’affaire opposant d’une part l’Union des Etudiants Juifs de France ainsi que l’association J’accuse ! et d’autre part, Dieudonné M’Bala M’Bala au sujet de la vidéo « 2014 sera l’année de la quenelle », ce dernier avait tenu des propos de nature à susciter « un sentiment de rejet et d’hostilité à l’égard des juifs » quand, tout en adoptant une position de neutralité, il a fait... :
« l’insinuation claire de ce que les [juifs] ont, à tout le moins, une part de responsabilité dans la survenance des événements tragiques. »
Alors qu’il cherchait manifestement l’apaisement des esprits (voir la vidéo à partir de 8’08") Dieudonné a, en effet, affiché une position inacceptable pour celles qu’il appellera plus loin « les associations de la pleurniche » :
« (...) je n’ai pas à choisir entre les juifs et les nazis,
je suis neutre dans cette affaire,
j’étais pas né en 1900 machin moi je suis né en 66
donc qu’est ce qui s’est passé
moi, qui a provoqué qui, qui a volé qui pffff...
j’ai ma petite idée mais enfin ,
alors heu calmons nous, calmez-vous (...). »
L’argument du juge, qui donnera raison à ces associations, est très clair :
- l’ambiguïté du « j’ai ma petite idée mais enfin » est seulement feinte, dès lors, en dépit de l’ignorance et de la neutralité affichées,
- Dieudonné fait là une « insinuation claire de ce que les [juifs] ont, à tout le moins, une part de responsabilité dans la survenance » de l’Holocauste.
- Ceci pourrait susciter « un sentiment de rejet et d’hostilité à l’égard des juifs. »
- Partant, il y aurait bien là, comme l’on fait valoir les plaignantes, délit de « diffamation publique raciale » et délit de « provocation publique à la haine raciale. »
Ce jugement n’a pas été commenté dans les médias et pourrait sembler sans grande portée. Cependant, le fait qu’il soit explicitement déclaré illégal d’attribuer la moindre part de responsabilité aux juifs sous le rapport de l’Holocauste ne peut pas ne pas frapper les esprits.
Car il va de soi qu’un tel jugement ne saurait concerner les seuls juifs et que c’est toute accusation à l’égard de n’importe quel peuple qui se trouve interdite dès lors qu’elle pourrait susciter « un sentiment de rejet et d’hostilité à l’égard... » des populations concernées et constituer ainsi tout à la fois un délit de « diffamation publique raciale » et un délit de « provocation publique à la haine raciale ».
Le choc qu’amène une telle conclusion ne vient pas de sa signification intrinsèque, belle et bonne, mais du contraste, du décalage, que dis-je, du gouffre, de l’abîme que nous savons tous exister entre la loi et la réalité quotidienne.
Songeons à toutes les accusations racistes et de xénophobes qui ont pu et peuvent encore être énoncées en toute impunité à l’égard des « arabes », « roms », « gitans » [1], « portos », « ritals », « boches », « viets », « noirs », « rosbeefs », palestiniens, belges, suisses, auvergnats, parigots, gabaches, etc.
S’il devenait effectivement interdit d’attribuer à un peuple une quelconque responsabilité qui serait de nature à susciter « un sentiment de rejet et d’hostilité » à son égard, nous pourrions alors pousser un immense cri de joie et, pour beaucoup d’entre nous... surveiller nos habitudes de langage !
J’en veux pour preuve la maladroite saillie de Manuel Valls qui, lors d’un récent rassemblement du CRIF a lancé « les juifs de France sont plus que jamais les français à l’avant garde de la République et de nos valeurs. » Observons que Valls dit « les français à l’avant-garde » et non « des français », ce qui veut dire que, selon lui, les français à l’avant-garde sont tous juifs. N’y aurait-il pas là une forme de discrimination positive tellement contraire aux valeurs de la République Française qu’elle pourrait susciter « un sentiment de rejet et d’hostilité » à l’égard de la communauté concernée ?
Observons toutefois que sous le rapport de la répression législative et judiciaire des incitations à la haine raciale, on pourrait facilement avoir le sentiment que Valls dit vrai. Il semble très probable, en effet, que les autres « peuples » [2] aient à produire bien des efforts avant d’accéder à l’expertise et l’efficacité de la communauté juive dans ce domaine.
Au demeurant, le fait qu’il y ait éventuellement un leader qui ouvre la voie du progrès en matière de protection juridique des victimes de discriminations raciales est probablement une très bonne chose parce qu’elle sert incontestablement le bien commun.
En effet, plus une loi protectrice trouve à s’appliquer au présent plus elle renforce la probabilité de son application future dans des circonstances semblables de sorte que — peu importe nos origines respectives, nous qui sommes tous frères — il y a tout avantage à ce qu’elle soit mise en œuvre à chaque fois que l’occasion se présente.
Partant, nous avons tous intérêt à ce que le débat, privé ou public, se fasse dorénavant dans une observance impeccable des termes de la loi tels que rappelés par le juge Marc Bailly, à savoir, l’interdit d’attribution à un peuple quel qu’il soit de caractéristiques qui seraient de nature à susciter « un sentiment de rejet et d’hostilité » à son égard.
Encore une fois, il ne s’agit pas d’un coup de force contre la liberté d’opinion mais seulement de l’obligation d’une discipline consistant à s’interdire par avance toute forme d’accusation injuste à l’égard de qui que ce soit.
En effet, la logique sous-jacente n’est pas qu’il soit interdit à quiconque de porter des jugements ou des accusations publiques mais il est évident que les accusations fausses ou mensongères sont a priori prohibées.
Or, une accusation portée contre un peuple entier (ou simplement l’attribution d’une caractéristique discriminante) est nécessairement fausse ou mensongère car elle vise toujours un nombre significatif d’individus innocents (généralement des femmes, des enfants, des vieillards, etc.) qui, comme l’agneau de la fable, se voient indûment assimilés aux coupables éventuels. Il y a donc là une violence et une injustice qui sont d’emblée inacceptables et qui font le caractère odieux des préjugés raciaux ou des stéréotypes.
Nous ne faisons ici que retrouver les constats de la psychologie criminelle du XIXe qui, à l’origine de ce qui deviendra la psychologie sociale, s’intéressait aux foules révolutionnaires de l’époque en se demandant comment les sanctionner en toute justice. Il a fallu se rendre à l’évidence : les sanctions collectives sont injustes. Les membres d’une « foule délinquante » ne sont pas tous coupables ou, disons, pas suffisamment coupables pour être déclarés tels. Si on veut être « juste », il est absolument nécessaire d’identifier des « meneurs » qui porteront la culpabilité des éventuels « crimes » collectifs — à défaut de quoi il n’y aurait pas de coupables, ce qui, bien sûr, serait une injustice pour les victimes.
C’est donc une très bonne chose que la loi nous oblige à nous abstenir des amalgames consistant à mélanger les coupables aux innocents pour ensuite tout rejeter en bloc. Cela devrait être d’autant mieux accueilli que l’immense majorité d’entre nous est déjà réticente, voire clairement opposée, à l’emploi de généralisations que l’on sait toujours plus ou moins abusives.
Dieudonné lui-même est parfaitement conscient de cela et y trouve même l’occasion d’alimenter son humour ravageur (voir le sketch sur les pygmées à 0’34’’) en poussant cette logique à l’extrême.
Il montre ainsi la difficulté et sans doute même l’absurdité de l’exercice consistant à éviter absolument tout amalgame, toute généralisation. Pour avoir une parole impeccable, il faudrait en effet se garder de toute sociologie et ne considérer que des individus isolés de sorte qu’il n’y aurait alors aucun risque de leur faire des attributions (accusations) indues sur la base de leur groupe d’appartenance.
Mais si cela doit contribuer à un plein apaisement des esprits, alors pourquoi pas ?
Lorsqu’on ne va pas aux extrêmes, la chose n’est pas si compliquée et Dieudonné, encore lui, y réussit très bien en mettant à l’index non pas le peuple allemand dans son ensemble mais seulement les nazis à qui on peut et on doit attribuer toute la culpabilité que la nation allemande entretient vis-à-vis de l’Holocauste. [3]
Essayons maintenant de voir comment, en nous tenant à ces sages résolutions, il serait possible d’évoquer l’idée d’une possible provocation de l’Allemagne nazie.
Le fait que « les juifs » ne sauraient ici être mis en cause d’aucune manière n’interdit pas d’envisager qu’une telle chose ait pu avoir lieu. Il est seulement interdit, et pour de bonnes raisons, de répondre « les juifs » à la question de savoir qui en serait à l’origine. Autrement dit, le débat historique est complètement ouvert, il est nécessaire mais l’exigence de ne pas accuser d’innocents l’est tout autant.
Pour le mener à bien, je pense qu’il faut se demander... :
- si (au moins) une provocation a existé ?
- qui en serait à l’origine ?
- comment désigner des responsables sans faire violence à quiconque ?
- est-ce qu’au final, une telle mise à plat servirait la paix et la réconciliation dès lors que les bourreaux nazis pourraient ne plus apparaître seuls en cause ?
Il est très clair que l’idée d’une provocation de l’Allemagne nazie ne peut pas ne pas renvoyer aux efforts de boycott des produits allemands apparus dès 1933 :
- Alors que Hitler venait à peine de recevoir les pleins pouvoirs et n’avait pas encore pris une quelconque mesure discriminatoire, un journal anglais, le Daily Express a manifestement versé dans le sensationnalisme et la provocation en titrant à la une le 24 mars 1933 : « La Judée déclare la guerre à l’Allemagne » pour évoquer un appel au boycott des produits allemands lancé quelques jours auparavant mais qui était bien loin de faire l’unanimité au sein des organisations juives de l’époque et qui, de fait, ne la réalisera jamais.
- Non sans exagération, l’article expliquait d’entrée que « Tout Israël se lève en colère contre l’offensive contre les juifs en Allemagne. »
- La principale provocation n’était évidemment pas l’article, ni son titre belliqueux ou seulement l’idée d’une population juive mondiale unie dans une nation encore virtuelle — Israël — et qui s’opposerait à l’Allemagne. Tout cela était accessoire comparé au projet de boycotter les productions de l’Allemagne qui sortait d’une terrible décennie de crises économique et financière et pouvait recevoir là un coup fatal.
La question n’est donc pas tant de savoir qui était l’auteur anonyme de cet article que de situer les initiateurs et les soutiens du boycott des produits allemands sachant qu’on ne peut, j’y insiste, ni en droit, ni en vérité désigner « les juifs » en général.
Le fait est qu’on ne peut pas non plus désigner les associations ou les organisations juives en général étant donné que, de part et d’autre de l’Atlantique, un nombre significatif d’entre elles étaient clairement opposées au principe du boycott, en particulier celles (comme l’American Jewish Committee ou le B’nai B’rith) qui étaient formées par des (descendants de) juifs allemands et qui, fort logiquement, s’inquiétaient des répercussions pour les populations juives d’Allemagne placées sous la coupe d’un gouvernement national socialiste.
De manière peut-être plus surprenante, on ne peut pas non plus désigner les sionistes en général car, pour diverses raisons, ils étaient eux aussi divisés sur la question du boycott. Par exemple, les organisations sionistes allemandes y étaient fermement opposées, de crainte, là encore, de voir les populations juives d’Allemagne en payer le prix. Par ailleurs, les deux principaux courants sionistes avaient, chacun à sa manière, des politiques contradictoires vis-à-vis du boycott.
D’un côté, le Labor, orienté à gauche, de Chaim Weizmann cherchait, via l’Agence Juive en Palestine à mettre en place un accord de transfert, la Haavara, établi en 1933 avec les Nazis. Cet accord a permis jusqu’en 1942 l’émigration de juifs allemands « aisés » autorisés à amener en Palestine une partie de leurs avoirs sous forme, précisément, de biens de production allemande. Il est clair que cette visée s’opposait radicalement au principe du boycott des produits allemands et a contribué à le rendre ineffectif.
De l’autre côté, le courant sioniste nationaliste d’extrême-droite dit révisionniste (sic) de Jabotinsky soutenait pleinement l’effort de mise en place du boycott dans l’idée de dissuader ainsi l’Allemagne d’oppresser les populations juives d’Europe, ce dont, à l’évidence, le Labor, se souciait beaucoup moins.
La provocation, qu’a incontestablement constituée — aux yeux du gouvernement allemand et de nombreuses organisations juives, généralement antisionistes — la mise en place d’un boycott des produits allemands dès fin mars 1933, ne semble donc pas pouvoir être attribuée à une quelconque entité bien identifiée. De toute évidence, on peut seulement y voir l’implication de certaines organisations juives (comme l’American Jewish Congress ou la Jewish War Veterans) et/ou de certaines organisations sionistes (comme le mouvement de Jabotinsky) qui, dans une démarche collective passablement désordonnée, ont porté ce projet en dépit de l’opposition clairement affichée d’autres organisations juives et/ou sionistes.
Au mieux, peut-on noter que les trois principales figures identifiées comme porteuses du projet de boycott aux USA (Untermyer), en Grande Bretagne (Lord Melchett) et sur le continent (Jabotinsky) étaient tous trois des sionistes de premier plan.
Dès lors, sauf à postuler une improbable irrationalité commune à ces trois personnages, il devient difficile de ne pas considérer le boycott comme une action concertée servant, d’une manière ou d’une autre, le projet sioniste.
Mais encore une fois, nous ne pouvons au mieux que désigner ces trois leaders, quelques organisations juives et/ou sionistes, certainement pas les sionistes dans leur ensemble et, encore moins « les juifs » — quoi qu’en disent les journaux et notamment, le Daily Express.
Bref, il est très clair que les tenants de la théorie du complot juif mondial contre la nation allemande ne peuvent s’appuyer sur le boycott des produits allemands pour valider leurs hypothèses.
Il semblerait que l’on puisse seulement défendre — en toute rationalité et, pour le moment, en toute légalité — l’idée que ce sont principalement des sionistes qui ont initié et/ou soutenu cette forme d’action antinazi qu’a été le boycott.
Il n’est pas interdit de faire une telle attribution causale car seuls les peuples et les races ne peuvent jamais être mis en cause ou jugés responsables de quoi que ce soit — étant donné que, faut-il le rappeler, cela pourrait engendrer rejet et hostilité à leur égard.
Le sionisme étant comme tous les courants, actions collectives ou projets humains, il peut être évalué sous le rapport de sa conformité aux lois, nationales et internationales. Partant, il peut être critiqué à l’aune des éventuels méfaits qu’on voudrait lui attribuer dès lors qu’on dispose de preuves et qu’on s’assure donc de ne pas verser dans la diffamation.
Le communisme, le capitalisme sont régulièrement mis en procès, il n’y a pas de raison que le sionisme doive en être a priori dispensé, à moins que sa proximité avec le peuple victime de l’Holocauste lui vaille cette absolution qu’a toujours engendré le sacrifice dans l’histoire humaine.
Le fait est que c’est justement la tendance actuelle, celle que Manuel Valls, a parfaitement incarnée lorsque, ministre de l’Intérieur et donc du culte, il appelait à la sacralisation républicaine (sic) de l’Holocauste. On ne sera donc pas surpris de sa véhémence dans la diabolisation de la critique antisioniste accusée d’être un antisémitisme qui ne dit pas son nom [4] : avec cet appel au sacré, tout se passe comme si nous étions déjà dans une guerre de religion, avec l’Holocauste comme nouvelle religion d’Etat.
Tout se passe comme si il fallait absolument vérifier l’aphorisme suivant :
« Avant, un antisémite c’était quelqu’un qui n’aimait pas les juifs, maintenant un antisémite c’est quelqu’un que des sionistes n’aiment pas. »
Le fait est que, l’honnête homme, même s’il n’a accès qu’aux médias français, SAIT que cette maxime dit vrai — dès lors qu’il est bien écrit DES sionistes et non pas les sionistes.
Quoi qu’il en soit, cette sacralisation progressive du sionisme sous couvert de l’Histoire est d’autant plus troublante que, contrairement au communisme ou au capitalisme, il a fait en 1975 l’objet d’une résolution argumentée de l’ONU l’identifiant à « une forme de racisme et de discrimination raciale. »
La décision contenue dans cette résolution 3379 a, par la suite, été « abrogée » [5] mais, notons bien que, ce faisant, le contenu de la résolution n’a pas été réfuté. Sa conclusion n’a pas été déclarée fausse ou infondée, elle a seulement été « révoquée », comme on dirait « congédiée. » Ceci veut dire que ses attendus restent, implacables, comme les témoins d’une époque depuis longtemps révolue où l’on pouvait encore critiquer le sionisme officiellement.
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On notera que le rapprochement entre, d’une part, l’initiative sioniste d’un boycott des produits allemands qui ne pouvait que nourrir le ressentiment à l’égard des populations juives otages des nazis et, d’autre part, la diabolisation de l’antisionisme sous couvert de sacralisation de l’Holocauste, fait émerger l’image troublante d’un sionisme qui, régulièrement — et, peut-être, systématiquement — se met à l’abri derrière le peuple juif, un peu comme Ulysse et ses compagnons ont trompé le cyclope en se cachant sous des moutons, animal sacrificiel par excellence.
Dans ces deux contextes, le peuple juif apparaît un peu comme le bouclier humain du sionisme et cela ne saurait nous laisser indifférent. Car aussi hallucinante qu’elle puisse paraître, cette perspective où le peuple juif apparaît pâtir d’initiatives sionistes n’est pas extravagante. Pour se convaincre de sa plausibilité, il n’est que d’écouter les rabbins orthodoxes de Neturei Karta [6] et de manière générale, tous les rabbins antisionistes. De leur point de vue, le sionisme est non seulement en opposition frontale avec la lettre et l’esprit du judaïsme, il est surtout une calamité qui vient s’ajouter à la longue liste de celles qu’ont connues les populations juives au cours de l’Histoire.
Je ne fais là aucun amalgame : je n’incrimine aucunement les sionistes en général et ce, d’autant moins que (1) je l’ai été, de manière véhémente et (2) je pourrais encore me revendiquer tel vu que la chose essentielle que j’aurais à reprocher au sionisme c’est de s’être donné la Palestine comme terre d’accueil en faisant comme s’il s’agissait d’une terre sans peuple [7]. Il n’y aurait (presque) rien à redire (d’un point de vue légal) à l’installation d’un Etat juif en Sibérie, en Ouganda ou quelque part aux USA dès lors que ce serait avec l’accord des populations concernées.
Ainsi donc, pour conclure, je pense que dans ce monde qui, ainsi que chacun peut le constater, se trouve au bord du chaos, nous avons tous à contribuer du mieux possible à l’apaisement des tensions, à la réconciliation et — ainsi qu’en attestent les commissions Vérité et Réconciliation du continent africain — cela ne pourra se faire sans que la vérité soit dite, sans que cessent enfin les amalgames de part et d’autres, sans qu’il ne soit rendu justice aux faibles et aux opprimés.
Je comprends bien que cet article n’est qu’une tentative terriblement imparfaite, une goutte d’eau encore bien trouble qui ne changera pas le cours des choses mais si, à tout le moins, j’ai pu donner à voir à certains lecteurs l’intérêt qu’il y aurait à éviter d’amalgamer les innocents aux coupables, comme les coupables aux innocents, alors je n’aurai pas perdu mon temps.
Encore une fois, quand j’écris : « "Les juifs" sont innocents, comme les autres peuples », je ne dis pas que tous les juifs sont innocents, mais qu’en tant que peuple, « les juifs » ne peuvent être tenus pour responsables de quoi que ce soit.
Il n’y a donc pas d’amalgame dans quelque sens que ce soit. Le principe de responsabilité (pénale) continue de valoir pour tout individu ou organisation de quelque peuple ou race qu’il/elle se revendique dès lors que, par ses paroles, ses actes ou ses manquements, il/elle transgresse les lois nationales et/ou internationales.
Il semble que sous ce rapport, il est des sionistes qui auraient bien des comptes à rendre et je m’étonne que leur projet et l’Etat qu’il a engendré, tous deux si peu respectueux du droit et de la justice, aient été et soient encore soutenus par nos gouvernants avec une telle constance, parfois même, une telle véhémence — qui ne voit que sur les visages et dans les mots de ceux qui amalgament antisionisme et antisémitisme s’affiche une haine qui rappelle des heures sombres... ?
Si nous voulons la paix, cette tragique comédie des erreurs doit cesser. « Les juifs » sont innocents, oui, c’est incontestable [8], mais il y a toutes raisons de penser que le sionisme ne l’est pas. Les premiers ne doivent plus servir de paravent au second. Si nous voulons la paix, il est temps de mettre le sionisme en examen et de faire en sorte que justice passe.
Cette rude conclusion pourrait laisser à penser que mon souci de contribuer à la paix s’est évanoui en chemin mais ce serait une erreur. En effet, la paix entre deux parties opposées ne peut venir que d’une sincère réconciliation, et celle-ci ne peut se réaliser qu’autour de la vérité. C’est celle-ci qu’il nous faut viser inlassablement.
Dès lors, pour finir de manière constructive et pacifique, je lance l’idée à qui veut l’entendre d’une commission Vérité & Réconciliation en Palestine qui pourrait être instaurée entre Palestiniens et Israéliens de bonne volonté.
Sans pouvoir expliciter ici le mécanisme mimétique sous-jacent à ces véritables tribunaux de paix, j’indique seulement que leur force et leur vertu fondatrice tient essentiellement à la repentance de ceux qui ont perpétrés des violences de toute nature et qui, en s’accusant eux-mêmes, rendent, d’une part, inutiles les accusations réciproques à la source de tout conflit et, d’autre part, offrent à leurs victimes respectives la reconnaissance dont elles ont tant besoin pour s’apaiser et cicatriser.
Si une telle commission pouvait voir le jour, victimes et bourreaux repentis pourraient enfin s’accorder sur la réalité qui a été la leur au-delà d’une propagande médiatique plus que centenaire. Or, la paix véritable est toujours à cette condition : le fait de s’adresser unanimement, consensuellement à une même réalité plutôt que d’être dans le conflit des interprétations et des mises en cause réciproques.
On pourrait me dire que je n’ai pas ici respecté cet esprit d’abstinence sous le rapport de l’accusation puisque la conclusion de l’article est que si les juifs sont bel et bien innocents, il est des sionistes qui ne le sont pas. Disons alors que a) ma mère étant tout à la fois juive et une sioniste fervente ayant soutenu financièrement Tsahal durant de nombreuses années, ayant moi-même été, pour cette raison, un sioniste véhément et trop peu sensible aux violences subies par les palestiniens, je plaide coupable et je fais à présent ce que je peux pour réparer en mettant la pierre dans le jardin sioniste qui fut le mien. Si les sionistes lucides et honnêtes s’avéraient nombreux à venir témoigner à une telle commission, je pense que cela pourrait changer le visage du conflit palestinien et offrir une lueur d’espoir terriblement absente à présent.
Encore faudrait-il pour cela que cette commission voit le jour ! Il me semble que les associations de soutien aux palestiniens pourrait en prendre l’initiative. Mais ne seraient-elles pas déjà trop timorées, trop soucieuses du « médiatiquement correct » ?
Bref, je l’avoue, je ne suis pas optimiste, j’ai peur que nous devions boire le vin jusqu’à la lie.
Luc-Laurent Salvador
[1] Voir aussi cet intéressant petit texte : « Les gitans sont des voleurs ».
[2] Les guillemets renvoient ici à l’indépassable incertitude qui prévaut lorsqu’il est question de définir très exactement des « peuples. » Ainsi que l’a suggéré Shlomo Sand, l’idée qu’il existe un peuple juif pourrait bien n’être qu’une construction historique sans réalité sous-jacente.
[3] Il me semble que sans rien nier de l’arbitraire des logiques guerrières qui veulent que le vaincu constitue toujours un coupable de choix, on peut affirmer tout à la fois que : a) le peuple allemand est innocent mais que b) la nation allemande a des responsabilités vis-à-vis des victimes du conflit (d’où le principe des réparations de guerre) et que c) seuls ceux qui furent au pouvoir — en l’occurrence des nazis — s’avèrent coupables, c’est-à-dire, peuvent faire l’objet d’accusations légitimes en proportion des responsabilités qui furent effectivement les leurs.
[4] Même si on peut aussi y voir un effort de « posturage » prosioniste délibérément exagéré pour effacer quelques décennies de militantisme pro-palestinien qui font tache dans la biographie d’un présidentiable.
[5] Je reprends ici les termes de l’article français de Wikipedia. Le texte français de la résolution de l’ONU évoque une conclusion déclarée nulle, ce qu’il faut entendre au sens juridique du terme correspondant au verbe « to revoke » de la version anglaise.
[6] L’article Neturei Karta de Wikipedia France est certainement un des meilleurs exemples de ce que le principe de « neutralité », bien que d’importance cardinale pour l’encyclopédie en ligne, peut être bafoué en toute quiétude ; ce qui, bien sûr, jette le doute sur tous les autres articles portant sur des sujets sensibles. Pour ce qui touche à Israël ou au sionisme, une rapide comparaison avec la version anglaise (ou espagnole) suffit pour mesurer l’ampleur du biais prosioniste du Wikipedia en français.
[8] Mais il importe que chacun le reconnaisse non pas comme l’expression d’une quelconque exception juive liée à je-ne-sais-quel statut victimaire hérité de l’Holocauste mais comme la conséquence logique du caractère nécessairement faux et donc injuste de toute attribution faite à quelque peuple que ce soit.
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