Stephen Hawking, le néant, le vide, Dieu
HAWKING
Le cosmologiste Stephen Hawking est mort le 14 mars 2018. Il était né le 8 janvier 1942, exactement 300 ans après la mort de Galilée survenue le 8 janvier 1642. Pour beaucoup de gens, Hawking est devenu l’archétype du physicien contemporain depuis le succès de son livre le plus célèbre, Une brève histoire de temps (1). L’être humain est curieux de ses origines et la cosmologie, science de l’Univers, répond à quelques-uns de ses questionnements fondamentaux. Une brève histoire de temps est une tentative de vulgarisation un peu fourre-tout dans laquelle les trous noirs jouent un rôle central. Cet ouvrage a eu l’immense mérite de donner un coup de pied dans la fourmilière de l’astrophysique, sortant ainsi la propagation d’idées scientifiques de la léthargie dans laquelle elle sommeillait peut-être à la fin du XXème siècle
La vulgarisation des sciences physiques de pointe, de la physique quantique notamment, devient de plus en plus ardue au fur et à mesure du progrès desdites sciences. Pour l’aborder, le lecteur lambda doit se doter d’un vade-mecum minimum où il puisera les éléments lui permettant d’aborder avec sûreté des concepts tels que ceux de temps, d’espace, de vide, de néant, d’énergie, de champs de forces, d’être etc. Viendra une limite où la complexité de la science entravera sa vulgarisation ou, tout au moins, exigera un quotient intellectuel (QI) très élevé de la part des lecteurs. Irions-nous jusqu‘à craindre que seuls certains modules d’intelligence artificielle (IA) augmentant les capacités cognitives de leurs cerveaux biologiques permettront aux humains de pénétrer les dernières arcanes des sciences ?
LE TEMPS
Voyons l’exemple du temps. On connaît la réflexion de Saint Augustin « Qu'est-ce que en effet que le temps ? Qui saurait en donner avec aisance et brièveté une explication ? ... Si personne ne me pose la question, je le sais ; si quelqu'un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus »(2). L’évêque d’Hippone (Algérie) écrivait ces lignes il y a 16 siècles. Sommes-nous plus avancés aujourd’hui dans la définition ontologique du temps ?
Dans ce qui suit, nous allons limiter nos réflexions au néant et au vide, sans prétention scientifique aucune. Il s’agir seulement de spéculations gratuites destinées à faire travailler nos cerveaux et nos méninges (Brainstorming ou brain teasing, diraient des anglophones familiers des think tanks).
Lorsque l’enfant découvre progressivement la Nature, il lui vient des questions sur le sens de la vie et de l’Univers. Evidemment, tous les enfants n’apprennent pas dans le même livre et ne reçoivent pas les mêmes réponses de la part des adultes auxquels ils s’adressent en toute confiance. Lorsque, vers trois ans, le petit musulman du bled ou le petit catholique breton s’enquièrent de la mort auprès de leurs grand-mères, ils recueillent de ces dernières des explications bien différentes de celles que les enfants des bobos parisiens reçoivent de leurs parents plus férus de Nietzsche, de Cioran et du Centre Pompidou que de l’Evangile, du Coran et du Père Lachaise. Quelques années plus tard, le petit humain s’aventure plus loin dans la métaphysique jusqu’à, pour certains et à leur manière, se demandent « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » (3) ce qui équivaut à se demander « Qu’y aurait-il s’il n’y avait rien ? ». Personnellement, je pense que cette question n’est pas sans risque chez un être dont le cerveau, en plein développement de ses connexions synaptiques, se trouve encore loin d’avoir achevé une structure lui procurant une stabilité mentale suffisante pour admettre sans déconvenue qu’il est des questions fondamentales sans réponse. En effet, le gouffre infini surgissant des questions éternelles de l’être humain peut désarçonner un esprit fragile (4) de la même façon que le porno et la pédophilie chamboulent les enfants. C’est peut-être la raison pour laquelle certains, à l’instar d’Auguste Comte, préfèrent ne pas s’interroger sur le pourquoi des choses.
LE NEANT
« Rien » c’est le néant, absence de tout, de quoi que ce soit : pensées, matière, énergie ou, plus généralement "chose". Nous traitons ici du néant physique et non point du néant que tel ou tel philosophe pourrait le concevoir autour du non-être ou du nihilisme par exemple. Dans l’Etre et le Néant, Sartre déclare « L’homme est l’être par qui le néant vient au monde » (5). Nous ne nous intéressons pas ici à ce néant sartrien. Si le néant existait, nous ne serions pas là pour y penser car y penser c’est le détruire. Si le néant n’est pas ici, il ne se trouve nulle part ailleurs car où s’arrêterait sa frontière ? Le néant n’est pas morcelable : il règne partout ou nulle part. N’étant pas un contenu, il ne requiert aucun contenant. L’espace annihile-t-il le néant. Est-il rien ou quelque chose ? En fait, pourrait-il être autre chose que rien, à l’image de l’ inidentifiable mouvement galiléen (6) ?
Existe-t-il des masses
Inaccessibles aux sens
Comme le vide d’espace
L’est à l’intelligence ?
Existe-t-il, enfin,
Des choses qui n’en sont pas,
Situées à des confins
Où l’Homme ne pense pas ?
Il n’est point nécessaire de connaître l’espace-temps de Minkowski (7) pour se poser la question suivante, apparemment très simple : conçoit-on plus facilement un espace sans temps, donc limité à 3 dimensions de longueur, qu’un temps sans espace ? Dans un espace sans temps, il n’y a ni passé, ni futur. Cependant, y a-t-il un présent ? Dans l’Exode, Dieu dit à Moïse « Je suis celui qui suis » (Chapitre 3, verset 14) reléguant ainsi les has been et autres no future aux oubliettes d’un autre monde.
Admettons-nous plus facilement que quelque chose puisse émerger du néant que l’inverse ? Et, en supposant qu’un non-néant disparaisse pour laisser place au néant, où vont se perdre les cendres du disparu ? Il n’est point de jardin du souvenir après le néant.
Il existe cependant des choses que même le néant ne peut éliminer, qui n’ont même pas besoin d’être pensées pour exister, d’être consignées pour ne pas s’évanouir. Ce sont, par exemple, les nombres transcendants tels que le nombre Pi (3,13159...) ou, base des logarithmes népériens, le nombre e (2,71828...). L’identité d’Euler les réunit en un somptueux bouquet (voyez la note 8 si vous êtes un peu matheux). Quoi qu’il advienne, ces êtres mathématiques ne peuvent disparaître, contrairement à nos photos de famille ou aux données historiques comme, par exemple, la relation entre la Révolution française et 1789 qui nécessite un support mémoriel quelconque pour ne pas être oubliées. Ces êtres éternels dont l’existence ne doit rien à la pensée – même à celle de Dieu, à mon humble avis, en supposant que Dieu pense - suffisent-ils pour affirmer que le néant n’a jamais existé et n’existera jamais puisqu’ils sont là de toute façon ? En d’autres termes, sont-ils incompatibles ou, au contraire, strictement indépendants ? Ne se cache-t-il pas quelque mystère insondable derrière ces affaires-là ?
Où se placent les idées ? Platon a voulu y répondre. Il distingue le monde sensible (perçu par les sens) du monde invisible, celui des idées, accessible à l’âme seule. Les choses du monde sensible, essentiellement éphémères, proviennent de celles, éternelles et immuables, du monde invisible, le seul qui soit vrai. Lorsque Jean écrit « Le Verbe s'est fait chair » (Jn 1, 14), faut-il penser que le Verbe, issu du monde invisible, s’est matérialisé au sein du monde sensible ? On peut estimer que la Joconde est belle mais son image périra un jour alors que l’idée de Beauté d’où découle justement que nous la jugeons belle reste inaltérable à jamais. Les idées ne sont pas des nombres. Leur existence rend-t-elle aussi impossible celle du néant ?
Nous pourrions également examiner la place des allégories issues de diverses abstractions. L’idée de Justice précède l’allégorie de la femme aux yeux bandés. Quant à savoir si les idées existent en-soi dans un monde où l’esprit humain vient les chercher sur des étagères ou si, au contraire, l’esprit humain les crée en y pensant voire si ce qui ne peut être pensé ne peut exister, je vous laisse le soin d’y réfléchir en restant, si possible, hors de toute idéologie car le tentation est grande de combler les béances de l’ignorance à grand renfort d’idéologie.
LE VIDE
Le vide n’est pas le néant et semble infiniment plus abordable pour l’esprit que ce dernier. Le vide est souvent associé à un contenant qui ne contient pas le contenu qu’il est destiné à contenir ( tonneau vide, château d’eau d’eau vide, tête vide etc). Regretter de ne pas pouvoir prendre un petit dernier pour la route parce que la bouteille de Cognac est vide n’est pas très rigoureux. En effet, le cadavre contient de l’air, des vapeurs d’alcool, de la lumière, des ondes électromagnétiques. Des rayons et des particules cosmiques (comme des neutrinos ) peuvent le traverser. Difficile de ne pas mentionner le radiomètre de Crookes ici.
Des machines industrielles les plus sophistiquées permettent d’obtenir un vide maximum où subsistent encore plusieurs centaines de milliers de molécules par centimètre cube. Dans le milieu interstellaire, la densité peut ne pas dépasser un atome par centimètre cube. Si notre esprit nous permet de concevoir le vide absolu, rien ne permet actuellement de l’observer ou de l’obtenir. Restons modestes : une très grosse majorité de l’Univers nous est encore mystérieuse (9).
Contrairement au néant, « le vide de quelque chose » est techniquement obtenable : on peut se donner des oasis spécifiques. Ainsi, si vous vous dites électrosensible, vous pouvez vous isoler dans une cage de Faraday (10). Des isolants acoustiques vous permettront de construire une chambre sourde pour de très brefs séjours.
Enfin, retenons que le vide tient une place importante dans l’épistémologie. Les expériences auxquelles il a donné lieu, souvent associées à la notion de pression, vont souvent contre des idées préconçues ou des observations mal interprétées comme c’est le cas des hémisphères de Magdebourg, du tonneau de Pascal et du baromètre de Toricelli.
Tout ce qui précède ne poursuit qu’un but : préparer le cerveau à pénétrer dans le monde quantique où le vide revêt une importance fondamentale. Comme nous l’avons laissé entendre plus haut, il ne faut pas hésiter à spéculer sans complexe lorsqu’on cherche à savoir. Einstein a pu découvrir les relativités restreinte et générale grâce à ses expériences de pensée. Cependant, malgré son génie, il ne lui fut jamais facile d’admettre l’aspect probabiliste de la nouvelle physique de l’infiniment petit.
Chacun reste libre de se livrer aux expériences de pensée de son choix. S’il vous reste quelques souvenirs de la théorie des ensembles, imaginez l’ensemble vide c’est-à-dire celui qui ne contient rien. Il est généralement représenté pat un zéro barré. Si vous jetez dans cet être mathématique vide une poignée de nombres, les uns positifs (par exemple, des +1 ), les autres négatifs ( des -1) dont la somme totale vaut zéro, considérez-vous que l’ensemble est encore vide ? Tout en restant vide, cette présence de nombres virtuels dont la somme est nulle ne peut-elle pas lui conférer de nouvelles propriétés ? La physique quantique nous enseigne (devrions-nous encore dire « postule » ? ) que le vide quantique n’est pas vide. En fait, il est occupé par un champ d’énergie du vide né après le Big Bang : le champ de Higgs. Sans vouloir entrer dans les détails (11), mentionnons que les fluctuations de cette énergie font apparaître des particules virtuelles inobservables d’une durée de vie extrêmement brève. Des couples virtuels « particules/antiparticules » comme électron/positron peuvent en surgir (à l’image des -1 et des +1). Rappelons que le boson de Higgs constitue la charpente de la matière. En 2012, son identification avec une certitude très élevée (12) a renforcé la pertinence du Modèle Standard de la physique des particules.
DIEU, LA SCIENCE, LA PHILOSOPHIE et LA THEOLOGIE
Pour terminer, rendons un dernier hommage à Stephen Hawking. Selon ses médecins, son espérance de vie ne devait pas excéder trois ou quatre années lorsqu’ils lui trouvèrent la maladie de Charcot alors qu’il avait 21 ans. En réalité, il survécut 55 ans à ce sombre diagnostic. Son corps malade dut s’incliner devant son esprit même si ce dernier devait perdre le précieux outil de la parole à l’âge de 33 ans. La volonté de savoir des génies comme Hawking leur confère une force spirituelle capable de franchir des obstacles physiologiques devant lesquels le seul instinct de conservation capitulerait. Hawking a somatisé son appétit scientifique en repoussant son ultime échéance de cinq décennies fécondes.
Cependant et selon l’avis de nombreux experts, Stephen Hawking commit un pas de clerc en publiant Y a-t-il un grand architecte dans l'univers ? (13). Beaucoup ont du mal à s’expliquer comment il a pu se fourvoyer dans cette affaire ; d’autres subodorent qu’on l’y fourvoya pour réaliser une juteuse opération de marketing. De fait, en écrivant « il n'est pas nécessaire d'invoquer Dieu pour activer l'univers » il crée le buzz vendeur. On se souvient que Pierre-Simon de Laplace aurait répondu à une question de Bonaparte qu’il n’avait pas eu besoin de l’hypothèse de Dieu pour rédiger son Exposition du système du monde. Quelques décennies plus tôt, le déiste Voltaire déclarait « L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n'ait pas d’horloger ». Hawking se mouille encore plus lorsqu’il écrit : « En raison de la loi de la gravité, l'univers peut se créer de lui-même, à partir de rien » ce qui n’est pas moins obscurantiste qu’une déclaration créationniste. Au XXIème siècle, on a appris qu’il est imprudent d’entremêler sciences et religion au sein d’un ouvrage à vocation scientifique ou théologique. Malgré tout, certains savants se sont risqués à parler de « particule de Dieu » au sujet du boson de Higgs et, dans Une brève histoire de temps, Hawking écrit « Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine - à ce moment, nous connaîtrons la pensée de Dieu ». Question intéressante : l’intelligence artificielle connaîtra-t-elle un jour la pensée de l’Homme ?
Force est donc de constater que le génie scientifique Hawking, par ailleurs membre de l’Académie pontificales des sciences, ne parvint pas à résister à la tentation métaphysique. Dans le monde chrétien du moyen-âge, la scolastique tenait sa place au sein d’un continuum rassemblant la théologie chrétienne, la philosophie grecque et la physique aristotélicienne. Pour l’Histoire, rappelons que la civilisation musulmane ne fut pas étrangère à la pénétration de la philosophie d’Aristote en Occident. Les trois disciplines se séparèrent à la Renaissance : la physique grecque n’expliquait pas les nouvelles découvertes scientifiques. Science, théologie et philosophie seront-elles appelées à converger un jour dans une ultime contraction rendue nécessaire par un désarroi de l’esprit humain pris à ses propres pièges ?
(1) Paru aux Etas-Unis en 1988, traduction française en 1989
(2) Saint Augustin, Confessions, XI, 14, 17
(3) Question posée par l’Allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646/1716). Philosophe, mathématicien, diplomate etc. Inventeur des calculs différentiel et intégral. Considéré comme l’un des génies de l’humanité.
(4) « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » Blaise Pascal
(5) Cité par André Comte-Sponville dans son Dictionnaire Philosophique, PUF 2001.
(6) « Le mouvement est comme rien » Galilée
(7) Physicien et mathématicien russe Hermann Minkowski (1864 / 1909 ), père de l’espace-temps à 4 dimensions dont la quatrième est le temps multiplié par la vitesse de la lumière pour rester homogène avec les 3 autres.
(8) e i π - 1= 0 ( i nombtre complexe, i2 = - 1 )
(9) Energie et matière dites “ noires “
(10) Volume limité par une enveloppe métallique ( cuivre, alu...) qui le rend imperméable aux ondes électromagnétiques. De la même façon, le plomb arrête des rayons X.
(11) En espérant toutefois que cet article incitera des lecteurs à « creuser » le sujet eux-mêmes
(12) Expérience conduite à Genève dans l’accélérateur de particules (LHC) du CERN
(13) Traduction française, Editions Odile Jacob, février 2011
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