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Depuis, notre chère Démagolène a expliqué en mai dernier aux socialistes du Pas-de-Calais que les fonds de pension se déplacent de pays en pays en broyant les individus (cf. Démagolène, pas si blairiste...), le collectif LBO (en fait anti-LBO), soutenu par la CGT et la LCR, a mené un certain nombre d’actions en fin d’année (cf. Le site de la LCR) et je suis tombé cette semaine sur un article de National Hebdo intitulé "L’économie mondiale menacée par les fonds d’investissement...". Le discours au sein de cet article (que je n’arrive pas à trouver sur le Web, les gens du Front n’ont visiblement pas encore la web touch !) est certes moins trotkyste que celui de nos amis socialo-communistes mais on y parle aussi de dégraissages massifs du personnel, revente rapide, cession des meilleurs actifs, délocalisation à haut rythme...
Ainsi, la France serait un pays majoritairement "anti-capital investissement" puisque, si l’on additionne les voix de la gauche socialiste, des communistes, de l’extrême gauche et du Front national, on doit se situer entre 50 et 60% de la population française supposés adhérer aux idées portées par les partis politiques ou candidats pour lesquels ils votent...
La surprise n’est pas grande de découvrir que, une fois de plus, des hommes et femmes politiques exploitent une forme d’ignorance de leurs électeurs et diabolisent les "grands méchants capitalistes" qui souvent sont "d’origine anglo-saxonne" (donc forcément cyniques et malveillants !). Mais, n’écrivant jamais sur les thèmes préférés du Front national - non pas que je sois d’accord avec ses thèses mais plutôt parce que n’ai aucune expertise en matière d’immigration ou de sécurité - je tenais à profiter de cette incursion du Front sur "mon" terrain préféré pour lui donner la réplique et faire savoir à mes lecteurs ce que pèse réellement le capital investissement dans l’économie française.
Avant de parler de menace sur l’économie mondiale (agitant ainsi indirectement le spectre de la mondialisation et des forces occultes et cosmopolites qui manigancent tout cela...), voyons quel est le poids économique du capital-investissement dans l’économie française. Ernst & Young a publié en fin d’année 2006 un rapport intéressant (cf. le communiqué de presse du 28 novembre 2006 ici) dont on peut tirer les enseignements suivants :
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les entreprises ayant un fonds d’investissement à leur capital sont au nombre de 4850 (au 31 décembre 2005) et ont un effectif agrégé de plus de 1,5 million de salariés (soit plus que toutes les sociétés du Cac 40 réunies) soit plus de 9% des effectifs du secteur privé en France. Presqu’un salarié sur dix est concerné, et ce seuil a sûrement été dépassé en 2006.
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Ces entreprises ont vu leur effectif augmenter en France de 4,1% soit 60 000 créations d’emplois nets sur l’année 2004 (alors que les sociétés du Cac 40 ont vu leur effectif baisser de 0,2%). Les éventuels dégraissages et délocalisations massifs sont largement compensés par les embauches...
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Le chiffre d’affaires cumulé de ces entreprises a cru en France de 6,9% en 2004 (à comparer avec une croissance du PIB de 3%) et le chiffre d’affaires à l’export de ces sociétés a, quant à lui, progressé de 8,5%. Mauvais ni pour notre croissance ni pour notre déficit commercial...
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55% des entreprises concernées comptent moins de 100 salariés et 92% moins de 1000. Confirmation que ce sont les PME qui générent de la croissance et des emplois (sachant que l’emploi privé n’a progressé en France que de 0,6% en 2004) et que celles qui sont bien capitalisées sont les plus contributives.
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si vous travaillez pour une jeune société innovante, cela signifie qu’un acteur institutionnel du capital-risque a considéré que votre société avait l’opportunité de poursuivre une stratégie ambitieuse et qu’elle méritait d’être dotée des moyens financiers pour passer à l’étape suivante et, peut-être, devenir leader dans sa niche ou sur son marché géographique. Même si le succès est loin d’être garanti, avoir les moyens de ses ambitions, c’est mieux.
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Si vous travaillez pour un acteur à forte croissance, cela signifie qu’un capital-développeur a estimé que le projet de croissance organique et/ou externe proposé par votre management était crédible, créateur de valeur et sans nul doute pérénisant pour votre société devenue un acteur qui compte dans son secteur. Bosser dans une entreprise qui gagne offre plus d’opportunités aux salariés que de survivre dans une boîte qui perd du terrain.
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Si vous travaillez dans une entreprise plus mature qui a fait l’objet d’un LBO, la solidité du modèle et la prédictibilité des prévisions de votre entreprise ont été vérifiées plusieurs fois et très scrupuleusement par les fonds ayant pris le contrôle du capital de la société. Peu de chances que les événements tournent mal à court/moyen termes... Travailler pour une société solide correspond a priori aux attentes des salariés...
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Si un fonds de retournement a financé un plan de sauvetage de tout ou partie de votre société, c’est qu’il pense que tout ou partie de cette société peut-être sauvé et pérénisé. Sans doute pas un contexte facile, mais une situation bien plus favorable qu’un règlement judiciaire suivi d’une liquidation faute de fonds propres et de moyens de financer l’activité courante. (On peut d’ailleurs ici regretter le faible nombre d’acteurs du turn around dans la galaxie des investisseurs en capital en France. Il y a pourtant potentiellement et malheureusement beaucoup d’opportunités. Peut-être que nos lois sociales et la culture anti-économique de nos syndicalistes y sont pour quelque chose...
Ces mêmes râleurs vous décriront avec horreur l’exigence de résultats attendus par ces fonds d’investissements. Eh oui ! Comme un entraîneur de champions sportifs, les capitaux-investisseurs attendent de bonnes performances de leurs poulains. D’ailleurs, quel est le destin d’une entreprise qui sous-performe ? Le déclin, suivi à plus ou moins court terme de la faillite. Vous noterez en sus que cette exigence est souvent accompagnée de pratiques de gouvernance qui sont bien supérieures à celles des sociétés familiales ou des filiales non stratégiques des grands groupes, et parfois, voire souvent, meilleures que celles des sociétés cotées en Bourse.
En résumé, le poids économique du capital-investissement est dorénavant très significatif dans notre pays, et cela ne va pas baisser à court terme ; il est plus générateur de croissance et d’emplois que les fleurons de notre Cac 40, et la solidité des entreprises qui sont ainsi backées est très supérieure à celle de nos PME en général. Si National Hebdo appelle cela une "menace pour l’économie mondiale", nous ne devons pas avoir la même définition du mot menace...