Où trouver la croissance ?
Commençons par effectuer une répartition du taux de croissance en fonction du taux de prélèvements pour les pays de l’OCDE.
Sur 1960-1996, nous avons les chiffres (Sources OCDE) suivants :
Taux de prélèvement (%)
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Croissance (%)
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<25
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6,6
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25-29
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4,7
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30-39
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3,8
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40-49
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2,8
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50-59
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2,0
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>59
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1,6
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Nous observons que plus le taux de prélèvement est bas, plus la croissance est élevée. Et si c’était l’inverse me direz-vous ? Si les taux étaient bas grâce à une croissance dynamique ?
Si nous prenons un pays comme l’Irlande, classé 22e des pays les plus prospères de l’OCDE, stable de 1970 à 1985 et qui, après avoir commencé à baisser ses impôts, a vu sa prospérité augmenter, notamment entre 1995 et 2002, puisqu’il est passé du 19e au 4e ; ou encore tout autre pays ayant réalisé des allègements d’impôts – Etats-Unis dans les années Reagan, Canada sous Brian Mulroney… -, nous voyons que c’est la baisse du taux de prélèvements qui influence la croissance et non l’inverse.
Situation de la France
Ce taux de prélèvements est à 44,0 % en 2007 et 43,7 % en 2008.
Il faut comprendre que ce n’est pas parce que le taux de prélèvement diminue que le montant des recettes va diminuer. En effet, entre 2006 et 2007, l’assiette des prélèvements permet (à législation constante) une augmentation de 5,3 % des recettes. On voit donc ici que le simple fait de diminuer les prélèvements ne diminue pas forcément les recettes.
Répartition des prélèvements
En France, les prélèvements sont majoritairement portés sur le bénéfice (55,9 %), le travail (40,5 %) et 15,1 % seulement pour la consommation - TVA, etc. - (source : OCDE, période 1990-2000) alors que d’autres pays ont préféré répartir de façon plus homogène (Irlande avec la ‘fair flat tax’, Suisse…) ce qui permet de libérer la pression fiscale sur le travail et le bénéfice (nécessaire pour l’investissement) et de reporter cette charge de façon homogène sur la population.
Nous voyons donc que le problème de la France est à la fois son niveau élevé de prélèvements obligatoires, mais aussi un problème de répartition puisque le bénéfice et le travail sont fortement taxés ce qui implique une désincitation massive des investissements et une diminution de la compétitivité. Même si nous cherchions à mieux répartir les prélèvements en transférant une partie sur la TVA, il n’en demeure pas moins que le taux de prélèvement est 10 points plus élevé que l’optimal.
Quel est le taux de prélèvements optimal ?
La courbe de Armey indique la prospérité d’un pays en fonction des dépenses publiques. Le maximum de prospérité est obtenu pour 30-34 %.
La courbe de Laffer indique les recettes fiscales en fonction de la charge fiscale. Le maximum est obtenu à 45 %, au-delà de cette limite, la charge fiscale est telle que les recettes diminuent au lieu d’augmenter. 45 % c’est justement le pourcentage utilisé par la France dans sa politique fiscale. Les politiques successives ont donc préféré maximiser les recettes fiscales, quitte à perdre en prospérité (pour laquelle le maximum obtenu est aux alentours de 35 %).
En combinant les courbes d’Armey et de Laffer, l’on obtient un taux optimal de prélèvements de 34-35 %.
Tout est-il perdu ?
Si la France a moins de croissance que ses voisins, elle résiste aussi mieux dans les moments difficiles. C’est à la fois bon et mauvais signe. Mauvais signe car cela montre qu’il existe une force qui est retenue, bridée et brimée et qui, lorsque les choses vont mal, est toutefois capable d’encaisser la baisse de croissance. Il existe une formidable et insoupçonnée réserve de potentiel de croissance qui est actuellement bridée par une fiscalité trop lourde, notamment sur le bénéfice et le travail. Ces impôts doublent le coût de production qui (en plus de l’euro fort) vont grever les exportations et la compétitivité. Mais ce problème n’est pas seulement français, mais aussi européen.
Comprendre la politique actuelle
La situation est donc la suivante :
- nous avons atteint les limites du pacte de stabilité, nous ne pouvons donc pas continuer de creuser la dette ;
- les prélèvements sont trop lourds, ce qui pénalise notre croissance ;
- le système social généreux nécessite toujours plus d’argent.
Dans l’idéal, il faudrait diminuer le 10 points les prélèvements obligatoires. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire car il faut que l’Etat maintienne ses engagements. Pour l’instant, nous avons trouvé le moyen de reporter une partie des recettes sur le système de santé de façon à soulager la dette et le fonctionnement, mais en grevant le budget d’autres postes.
Car, ne nous leurrons pas, la part réellement consommée par l’Etat est en baisse. Ces dernières années, le taux de prélèvements obligatoires est globalement resté stable, aux alentours de 43-44 % (ce qui correspond, comme par hasard, au maximum de la courbe de Laffer), l’affectation au poste de la Sécurité sociale (actuellement 50 %) ne cesse d’augmenter, la pression budgétaire sur le fonctionnement de l’Etat ne cesse d’augmenter également car, conscient que les prélèvements peuvent difficilement augmenter sans créer de nouvelles catastrophes, il faut trouver des moyens pour financer notre système de santé, sachant que nous vivons de plus en plus vieux.
Nous l’avons vu, à prélèvements constants, c’est la croissance qui permet d’augmenter les recettes et donc de donner un peu d’air au budget de l’Etat.
Nous avons donc un pays piégé par son modèle social. D’un côté, il faut tenir les engagements, de l’autre trouver de l’argent pour l’entretenir. Pour trouver plus d’argent, il faut soit augmenter les prélèvements ce qui aurait un impact négatif sur la croissance et la prospérité car nous sommes au maximum de la courbe de Laffer, ce qui signifie que quelques points de plus et nous sommes en phase descendante, soit trouver de la croissance pour avoir plus de recette. Or, en cette période de croissance ralentie, il faut trouver de l’argent ailleurs.
Il reste une troisième voie : dépenser moins pour gagner plus ! malheureusement, les administrations françaises sont peu performantes par rapport à des pays de même niveau de vie que le nôtre. C’est-à-dire que nous dépensons plus d’argent pour un résultat inférieur que cela soit pour l’éducation (62 % des élèves d’une tranche d’âge arriveront au baccalauréat en France, c’est le plus mauvais chiffre de l’UE), la santé (à niveau de prise en charge égal, nous dépensons 22 % de notre PIB, seulement 10 % en Suisse, sourire inclus), et le fonctionnement administratif (impôts, etc.).
C’est de là que nous pouvons obtenir quelques gains, en réformant le système.
Toutefois, les marges de manœuvre étant très faibles, le moindre investissement étant un casse-tête pour l’Etat, il sera difficile de réformer sans soit augmenter les prélèvements d’un point ou deux par-ci par-là, soit mettre en place un plan de rigueur. Cependant, si la baisse des prélèvements obligatoire diminue temporairement les recettes, elle va provoquer un « choc de croissance », libérant alors les forces bridées et la croissance supplémentaire résultante va permettre à l’Etat d’augmenter durablement ses recettes. Mais cela ne sert à rien si, de l’autre côté, on ne réforme pas la structure même et le fonctionnement de l’administration. Dans le cas contraire, le nouvel air ne sera que temporaire et bien vite nous retomberons dans la même situation.
Dans cette réforme, peut-être faut-il aussi réfléchir aux limites de l’intervention de l’Etat car, à force de vouloir intervenir trop souvent sur tout et mettre en place une administration pour chaque chose, tout cela ne fait que coûter cher et alourdir les dépenses de façon souvent peu performante. Nous devrions aussi prendre exemple sur les pays nordiques pour lesquels chaque euro de dépense doit être justifié, sous peine de graves conséquences. Ainsi, il n’est pas rare de voir chez eux un député démissionner pour avoir utilisé l’argent public à des fins personnelles, ne serait-ce que s’acheter une barre chocolatée.
Le gouvernement actuel n’est pourtant pas à blâmer. Car il est l’héritier de décennies de politiques faciles (augmentations des prélèvements) alors que nous sommes arrivés au pied du mur (les limites du pacte de stabilité) et que pour réformer en profondeur le pays il faut des marges de manœuvre qui sont actuellement épuisées. L’Etat a été obligé de vendre des actifs pour financer certaines réformes. Il lui reste encore un certain nombre de réformes à mener alors que malheureusement les caisses sont vides. Et malgré toutes les réductions tant pour les salariés (12 milliards sur les heures supplémentaires, les droits de succession, la déductibilité des intérêts d’emprunt) que pour les entreprises (3 milliards triplement du crédit d’impôt recherche) et bientôt la suppression de l’impôt forfaitaire annuel (1,5 milliard d’euro), il ne s’agit malheureusement que de petites sommes vis-à-vis du poids total des prélèvements sur le bénéfice et le travail.
Si les plus riches se sont vu apposer un boulier fiscal à 50 %, ce qui est une bonne chose, c’est au tour des classes moyennes de souffrir des réformes. Elles profitent moins de réformes actuelles et cela leur donne l’impression qu’elles ont été oubliées. Et là, on leur apprend une nouvelle fois qu’un rare poste sur lequel elles pouvaient espérer gagner un peu plus (les dividendes) va être taxé un peu plus, augmentant encore les prélèvements sur le bénéfice qui est déjà trop lourdement taxé en France (55,9 % ; source OCDE) et ne va donc pas dans le bon sens.
Or, le Français est considéré à tort comme un râleur. Car, vraisemblablement, il reste une majorité silencieuse qui, pour l’instant, encaisse plutôt bien. Cependant, ne nous leurrons pas, en 1789, écrasés par le poids des impôts, la classe moyenne s’est révoltée, provoquant la Révolution que nous connaissons bien qui, rappelons-le, était une révolution libérale.
Pour l’instant, la force bridée ne s’est pas encore déchaînée. Mais combien de temps encore cela va-t-il durer ? Jusqu’à présent, notre système social fondé sur la solidarité semble ne tenir ses promesses qu’en échange d’un coût si exorbitant que nous n’avons pas d’autres possibilités que d’avoir une croissance forte pour y parvenir.
Malheureusement, la croissance n’étant pas au rendez-vous à cause, notamment, d’un taux de prélèvements obligatoires qui empêche de libérer la croissance, notre système social se fissure petit à petit. Certes, notre système solidaire refuse encore de sacrifier les plus faibles, les moins nantis, mais pour combien de temps encore ? Combien de temps faudra-t-il pour que les classes moyennes sur lesquelles tout le poids de la dette se reporte petit à petit va-t-elle encore accepter de se sacrifier pour les autres ? Combien de temps va-t-elle accepter de payer non seulement la construction des piscines municipales et de devoir, en plus, pour tout remerciement à sa participation, payer aussi le plein tarif pour y tremper les orteils ? Combien de temps va-t-elle accepter de voir nos voisins s’en sortir grâce à une politique économique audacieuse et rigoureuse, comme cela a été le cas au Canada (en excédent budgétaire depuis un certain nombre d’années) ou en Irlande alors que, nous, nous nous contentons de nous complaire dans notre « modèle social » si cher à nos yeux ? A partir de quand doit-on accepter de sacrifier les plus faibles plutôt que de voir tout le monde sombrer dans la misère ou la médiocrité. Vaut-il mieux écraser de charges les plus (et les moyennement) riches quitte à abaisser la prospérité du pays entier – et donc de tous - pour aider les plus pauvres ou maintenir un taux de prélèvements raisonnable afin que tout le monde en profite. Ne serait-ce pas plutôt cela une vraie politique sociale ? Faire en sorte que chacun puisse prendre sa part de prospérité !