Valeurs inverties
Quand Laurent Joffrin écrit : « la France s'apprête à mettre fin à une discrimination deux ou trois fois millénaire » en légalisant le « mariage pour tous », il fait preuve d’une légèreté étonnante de sa part. En effet, quelle autre civilisation que la nôtre a été assez insensée pour fabriquer cette étrangeté anthropologique ? Ici, nous proposons de voir ce que la Bible dit en matière de conjugalité : cela nous révèlera des choses étonnantes.
« …nous ne pouvons écarter la Bible lorsque son message nous résiste. » Ainsi s’exprimait Antoine Nouis au sujet du débat sur le mariage homosexuel.[1] Cette position est d’autant plus courageuse que l’auteur n’est pas fermé au débat concernant le « mariage pour tous ». Or, le « pour tous » sonne presque comme un mauvais présage.
Homosexualité
Dans son article, Antoine Nouis reconnaissait que la Bible parle toujours de l’homosexualité « de façon négative ». Il y a fort longtemps, j’avais lu un livre fait par des homosexuels chrétiens américains, qui tentaient de soutenir le contraire : leur thèse ne résistait pas à l’examen de la Bible.
L’évolution très rapide de l’opinion publique (si tant est que les sondages soient crédibles) devrait nous alerter sur notre propension à adhérer, par compassion, aux idéologies de ce monde : le « pour tous » est devenue l’antithèse-réflexe de la discrimination. Et là où plusieurs chrétiens sont prêts non seulement à admettre le mariage des homosexuel(le)s, mais aussi l’adoption d’enfants par ces couples, il faut que ce soient des associations laïques qui viennent rediriger notre charité vers l’enfant à qui on ne demande guère son avis dans ce projet.
Polygamie
Mais poussons plus loin. Mgr Barbarin, cardinal-archevêque de Lyon, s’est attiré les foudres d’une partie des média en disant que le mariage homosexuel serait la porte ouverte à la polygamie, voire pire. Or, la lecture attentive de la Bible ne révèle aucune interdiction de la polygamie ; si l’homosexualité y est partout condamnée, il n’en va pas de même pour la polygamie. Rien même ne dit que ce serait une concession, sinon, entre les lignes, les démêlés que des patriarches comme Abraham ou Jacob ont eu avec, respectivement, leurs deux et quatre épouses.
La monogamie n’est pas un commandement, mais, à l’époque de Jésus, elle est implicite, à en juger par la formulation de la question que lui posent les pharisiens :[2] « Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? Il répondit : N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès le commencement, les fit homme et femme et qu’il dit : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux seront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni ! »[3]
On voit ici que la polygamie n’est abordée par aucun des interlocuteurs : ni pour l’interdire, ni pour la proposer comme méthode de soulagement à un homme qui serait las de son épouse unique, ni comme concession, celle-ci portant seulement sur le divorce. Il y a presque un « blanc » de la Bible sur la polygamie. D’où l’on peut parfaitement en déduire, à l’attention de Mgr Barbarin, que la dérive de nos mœurs vers la polygamie serait beaucoup plus biblique que l’institution du couple homosexuel. L’Antiquité gréco-romaine était plus scripturaire que nous puisque, bien que polygame et pratiquant ouvertement l’homosexualité, elle n’avait pas eu la curieuse idée de créer le mariage homosexuel ; l’enfant avait pour parents un père et une mère, et non pas un « parent 1 » et un « parent 2 » comme il est prévu que cela sera porté sur les livrets de famille.
Il n’y a que deux situations où la monogamie est explicitement prescrite dans la Bible : pour les « anciens » ou « évêques »[4], et pour les diacres[5] de l’église. Mgr Barbarin pourrait en tirer pour lui-même quelques projets d’avenir…
Lorsque le roi David s’arrange pour que son voisin soit tué afin de s’approprier sa femme, est-ce la polygamie qui lui est reprochée ? Que nenni !, à en croire le prophète Nathan : « …je t’ai donné la maison de ton seigneur, j’ai placé sur ton sein les femmes de ton seigneur et je t’ai donné la maison d’Israël et de Juda. Et si cela ne suffisait pas, j’y ajouterais encore ! Pourquoi donc as-tu méprisé la parole de l’Éternel, en faisant ce qui est mal à ses yeux ? Tu as frappé de l’épée Urie, le Héthien ; tu as pris sa femme pour en faire ta femme… »[6] Traduction : David était polygame avec la bénédiction de Dieu ; il aurait même pu l’être encore davantage ; mais ce qui est inadmissible, c’est qu’il ait volé la femme de son voisin.
Adultère
Ce qui nous amène au troisième point : dans notre société, l’adultère est tout à fait toléré, voire admiré, et à peine sanctionné, le cas échéant, dans les procès pour divorce.[7] On a beau savoir que la tromperie fait très mal à celle/celui qui est trompé/e, sans parler des enfants : c’est dans la nature humaine, dit-on ; c’est excusable, voire inévitable, y compris parfois dans les églises où certains divorces un peu légers posent quelques problèmes de pastorale.
On ne doit pas être théologiquement tolérant envers l’adultère parce que, comme tout commandement, son interdiction est un garde-fou utile pour soi-même et pour le prochain ou la prochaine. La « morale » n’est jamais sans objectif, et souvent un objectif de bon sens. Il faudrait savoir chanter les louanges de la fidélité dans un monde où elle passe pour un non-plaisir démodé, et même chanter la beauté de l’exclusivité amoureuse et sexuelle d’un seul homme envers une seule femme et réciproquement, l’autre étant celui/ celle avec qui on vit la paix et la joie de la confiance absolue. Ce n’est pas une utopie : de tels couples existent.
Il n’est donc pas question de faire l’apologie de la polygamie (de jure ou de facto), qui soulève des « polyproblèmes », qui induit une injustice pour les femmes, des conséquences sociales difficiles pour les enfants, sans compter un déséquilibre numérique entre les sexes au niveau des unions (en cas de polygamie en Inde ou en Chine, alors que l’avortement et l’infanticide des filles y est déjà courant, la situation de déséquilibre conjugal en « faveur » des mâles ne pourrait que s’aggraver épouvantablement). Non seulement la polygamie est inéquitable, mais n’est-elle pas un « adultère institué » sur le plan affectif même si, sur le plan de la « propriété », il n’y a effectivement pas adultère ?
Responsable du prochain
Tout cela étant dit, pourquoi la ratification par la société, voire la bénédiction par l’église du mariage homosexuel a-t-elle les faveurs de certains clercs ? À la société, si les chrétiens n’ont rien à imposer, ils ont leur avis à donner. Mais en interne, ne devrait-ils pas serrer de plus près le principe de la sola Scriptura (l’Écriture seule) qu’ils privent un peu vite de son adjectif ?
Car ce à quoi nous assistons, c’est à une inversion presque comique des valeurs de notre société par rapport à celles de la Bible qui, pour les trois points évoqués, ne sont pas ambiguës même si, comme les pharisiens, cela nous arrangerait qu’elles le fussent.
La rigueur théologique n’est pas synonyme de dureté de cœur. On peut aimer les homosexuels sans céder aux revendications d’une poignée d’entre eux bien introduits dans les milieux artistiques et politiques (revendications qui, d’ailleurs, se sont inversées elles aussi avec le temps : il y a vingt ans, on revendiquait sa différence ; aujourd’hui, on revendique d’être « comme tout le monde »).[8] Il faut sans doute accepter, comme le reconnaît le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, qu’on n’a pas toutes les réponses à des situations problématiques. Et si, à la limite, deux adultes font ce qu’ils veulent entre eux, lorsqu’ils engagent d’autres vies que les leurs, on est en droit de ne pas dire amen à tout. En matière familiale, on aura la même attitude envers un père et une mère qui veulent se séparer : en quoi votre liberté risque-t-elle de porter atteinte à l’existence de votre entourage, à commencer par vos enfants ? Il est symptomatique que ce soient des associations d’enfants adoptés qui commencent à faire entendre leur voix contre le mariage homosexuel et l’adoption des enfants par des couples homosexuels : eux, ils connaissent la douleur d’une filiation brouillée. Et, sans le savoir, ils ont renoué avec la pensée juive, pour laquelle la fidélité conjugale est largement une affaire de filiation. Or, dans cette histoire insensée de « mariage pour tous », c’est cet enjeu-là qui est le plus grave.
[1] Réforme n° 3480 du 20 septembre 2012.
[2] Et par la formulation de la réponse selon Gn. 2.24.
[3] Mt. 19.2-5.
[4] I Ti. 3.2 et Tit. 1.6.
[5] I Ti. 3.12. L’expression employée dans les trois occurrences ne permet pas de savoir si l’homme doit n’avoir été marié qu’une fois ou n’être marié présentement qu’à une femme.
[6] II Sa. 12.8-9.
[7] Encore faut-il préciser que le divorce pour faute a failli être supprimé du Code pénal il y a quelques années. Cela dit, un récent phénomène de résistance a émergé au sujet d’un spot de pub prônant ouvertement l’adultère : http://www.huffingtonpost.fr/2012/10/25/ashley-madison-le-premier-spot-de-pub-censure-par-arpp_n_2017718.html
[8] À cet égard, voir l’excellente interview de Xavier Lacroix dans Le Monde : http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/10/26/les-homosexuels-veulent-entrer-dans-la-norme-en-la-subvertissant_1781629_3224.html
55 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON