La poésie "incompréhensible" ? A moins que ce ne soit justement le sens de "comprendre" que chaque poème remette en cause... Un poème peut paraître "difficile" : mais ce qui est "difficile", c’est seulement ce qu’on ne connaît pas. Mais que penser d’un poème qui ne donnerait que du déjà connu, déjà vu, déjà lu, déjà pensé... Quel ennui ! Un poème, c’est une réserve infinie d’inconnu. Alors "comprendre" l’inconnu, c’est "faire connaissance" avec l’inconnu. C’est vrai, ça n’a pas de fin. Et tant mieux. Parce que, du coup, la poésie n’a pas à "se trouver des récepteurs" mais à nous inventer, à nous réinventer. Je n’attends pas d’un poème qu’il me répète ce que je sais déjà, j’attends qu’il me fasse devenir ce que je ne me savais pas être. Un poème ne trouve pas des lecteurs, il les invente. Alors, c’est vrai que ça prend du temps, un temps incompatible avec la rapidité de la consommation culturelle, avec le turn over présenté comme incontournable dans les librairies, avec, aussi, l’impatience à vite combler un désir avant de passer au suivant.
Alors : le poème pour "faire connaissance", et s’enchanter de ce qu’on entend naître. Ce n’est pas si difficile, ça demande plus de naïveté, plus de disponibilité, de liberté d’esprit que d’érudition. Même : plus on sait (ou croit savoir) ce qu’est la poésie, plus il est compliqué, et urgent, de s’en défaire pour accueillir ce qu’un poème nous apporte de nouveau. Comme l’amour...