@ M. Murcia.
Je crois vous avoir bien lu. Excusez-moi d’être long : je vais vous citer.
- « Depuis des décennies, nous savons, tous, que tout système de production repose sur la combinaison de trois facteurs, le capital (finances et investissements), les matières premières, et le travail. »
Dans toute économie, même dirigée, le marché est LE facteur clé. Depuis Cro-Magnon. Les différences portent sur la nécessité de l’encadrer, sur les modalités de l’encadrement, pas sur sa réalité, fut-elle soviétique.
Ce que vous proposez comme une « optimisation » de ces facteurs, capital, matières premières, et travail, se détermine, à partir cette composante préalable qu’est la connaissance d’un marché. Sans cette connaissance, l’étude des trois autres facteurs ne peut être entreprise puisque l’objet auquel elle s’applique n’est tout simplement pas déterminé. L’approche de votre analyse est donc faussée afin de pouvoir ensuite asséner les amalgames, assertions sans fondements et contrevérités nécessaires à votre conclusion.
- « La France, comme naguère les régimes communistes, a créé les conditions d’une soviétisation de la société. Cette soviétisation remonte pour une grande part à une fantasmagorie sociétale qui renvoie au début de l’industrialisation de notre pays, à la lutte des classes prônée par les cartels successifs des gauches, et enfin aux nationalisations de l’immédiat après-guerre et des cortèges qui en ont découlé. »
Ce raccourci ne séduit que les néo-conservateurs. Il est politiquement et économiquement irrecevable.
Politiquement, parce que la soviétisation sous-entend la prise en main de la production par une classe dirigeante réunie au sein d’un parti politique unique, au sein duquel se coopte la nomenclature. Démontrez-moi que le Front National, l’UMP, le PS et le PC ne font qu’un.
La nomenclature française se détermine à travers les réseaux de la classe dirigeante. Il n’est pas nécesssaire d’appartenir à un parti pour rentrer dans ce réseau. Les mêmes personnes passent des entreprises nationalisées aux entreprises privées. Et les gèrent de la même façon. Voir M. Michel Bon, qui passe de Carrefour à France Télécom puis à la direction de l’ANPE.
Économiquement, parce que les entreprises nationalisées françaises ont toujours adapté leur production aux besoins de la demande, et non aux seuls objectifs des plans quinquennaux. Je n’ai jamais entendu dire que la production des voitures Renault était contingentée par le plan. Renault n’a jamais produit de tracteurs de 1000 CV inutilisables parce que trop lourds et avait abandonné depuis belle lurette la production de la Juvaquatre, lorsque la part de l’Etat est devenue minoritaire en 1996. À l’époque, l’Union Soviétique produisait encore des voitures d’un autre âge. France Télécom a mis du temps pour abonnner d’anciennes technologies, mais c’est un outil parfaitement efficace et moderne que Michel Bon a trouvé en arrivant avec mission de privatiser.
- « Dans ces entreprises, les analyses de l’offre et de la demande de matières premières étaient certainement les seules qui étaient faites (ce n’est même pas sûr). »
Quel dogmatisme ! Gaz de France ne se tenant pas au courant du marché du gaz ! EDF ignorant le marché du charbon, du pétrole, ou de l’uranium ! Renault ne s’étant jamais inquiété du cours de l’acier ! Air-France oubliant le coût du kérosène ! On croit rêver ! Faites cela une fois dans votre vie, vous êtes mort, même avec l’argent du contribuable. Par contre, il a fallut tailler dans le coût des structures. Boeing, IBM, et d’autres General-Motors on dû aussi en passer par là. Pas capitalistes, ceux-là ?
- « Celles relatives aux demandes et offres de capital et de travail n’avaient même pas à être mentionnées, tellement cela eût été incongru et mal venu. »
Offre de capital : effectivement, complètement incongru. L’actionnaire étant l’état, ces entreprises n’avaient pas besoin dans leur service financier d’une équipe destinée à analyser les offres des banques lorsqu’elle n’y avaient pas recours. Et encore, je n’en suis pas sûr. L’Etat, qui recevait de ces entreprises de substantiels dividendes sous différentes formes (10 milliards de francs par an de France Télécom à une époque), a recapitalisé les entreprises nationales lorsque cela était nécessaire. Au grand dam des banques d’investissements qui se voyaient privées d’un marché juteux.
Offre du marché de travail : les employés des entreprises nationalisées sont effectivement embauchés selon des critères salariaux propres à ces organismes. Ces critères s’intègrent parfaitement au marché du travail : en échange de salaires plus bas, les entreprises nationales proposent une garantie de l’emploi. Cette garantie a un coût, et les salariés de ces entreprises ont parfaitement intégré cette variable. Cela n’a jamais empêché ces entreprises de disposer de techniciens et d’ingénieurs dont la qualité est internationalement reconnue. Le problème que cela pose aux investisseurs néo-cons aujourd’hui est que ces salaires ne peuvent baisser et limitent la baisse des secteurs dans le privé. Les salaires du public sont devenus en France supérieurs aux salaires du privé.
Si un jeune sur deux veut devenir fonctionnaire aujourd’hui, c’est aussi parce que la garantie salariale offerte par la fonction publique donne une lisibilité à long terme sur les revenus du ménage, ce qui est devenu impossible dans le privé. Dites à vos amis néos-cons que le pékin de base est capable, lui aussi, d’une analyse à long terme sur la valeur future de ses revenus. Le fait qu’il n’accorde pas à cette notion le même contenu qu’un investisseur ne le rend pas débile pour autant. Et encore moins asocial.
Je vous ai bien lu, M. Murcia. Aussi je vous répète ma question, mais de façon différente : pourquoi le clan de haut fonctionnaires qui se cooptent à la tête de l’état et profitent à plein de l’ultra-libéralisme, au point d’empocher les substantielles prébendes offertes par ce mode de gouvernance (stock-options, indemnités de départ en millions d’euros) favorise-t-il autant les entreprises mondialisées du CAC 40 et méprisent-ils autant toute initiative individuelle ?
C’est ce frein à la créativité qui plombe le modèle social français et ruine ses ressources. Sans compter les retards de paiement de l’Etat.
La réponse n’a rien à voir avec les nationalisations de 1945, ni avec la lutte des classes. Elle procède d’un étroit esprit de caste, qui n’a pas besoin d’être soviétisé ni ultra libéralisé pour sévir et s’enrichir.
C’est de cet étroit esprit de caste et de son arrogance que crève la France, et c’est de lui que crèvera aussi l’ultra-libéralisme. Hélas pour nous autre, cette idéologie ne s’éteindra pas sans avoir provoqué dans son agonie, qui commence, d’effroyables catastrophes humaines, auprès desquels les drames qui ont accompagné l’inéluctable effondrement du matérialisme dialectique paraîtront bien secondaires.