(...) La scénographie d’Olivier Brichet est soignée : un espace sombre et brumeux – formes et spectres – au pied du palais d’Amphitryon que le public ne peut guère visiter, à moins d’entrevoir une porte étroite et deviner les allées et venues du dieu royal déguisé en Amphitryon que ce dernier – le vrai – ne peut guère plus pénétrer.
À l’étage, une coursive légèrement courbée avec des barrières de métal qui dégage dans les hauteurs un ciel lumineux grâce aux lumières de Ronan Cabon. Çà et là, des vagues de musique vont et viennent, à la manière du théâtre de Marie-José Malis, qui imposent un climax, un imaginaire servi par l’écriture soignée de Kleist.
Les acteurs sont excellents, à la fois forts et fragiles, intensément présents et absents, diffusant l’équivoque du sentiment de dédoublement et de dépossession.
Tenue militaire pour les maîtres, et dégaine beckettienne pour les valets, robe romantique pour la digne Alcmène et petite robe enjouée pour la servante Charis.(...)
Une mise en scène persuasive et convaincante au service de l’art littéraire de Kleist.
La pièce Amphitryon de Kleist parcourt le cheminement d’une saisie
identitaire, qui échappe toujours, un thème pour le moins d’une
actualité aigue et troublante :
– Qui suis-je ? – Qui es-tu ? Ne
s’impose nulle certitude mais la prévalence d’un doute – un sentiment de
déstabilisation, si ce n’est de dépossession brutale de soi, mais au
profit peut-être d’un mouvement engagé vers l’autre et la foi amoureuse.
Amphitryon sort grandi de sa rivalité avec Jupiter, abandonnant l’aimée à
qui l’aime, qui n’est autre que lui-même, ce que reconnaît humblement
le dieu Jupiter. (...)"
Véronique Hotte
Source : https://hottellotheatre.wordpress.com/2016/10/05/amphitryon-de-heinrich-von-kleist-traduction-de-ruth-orthmann-et-eloi-recoing-actes-sud-mise-en-scene-de-sebastien-derrey/