Cette nuit-là, à bord du Costa Concordia
De cette nuit-là, à bord du Costa Concordia, il reste des comportements indignes et d’autres exemplaires, un grand drame et des douleurs, des miracles aussi, de nombreux points à élucider, dont certains, vraisemblablement, ne le seront jamais. Et des leçons à tirer qui, il faut l'espérer, le seront.
Cette nuit-là, à bord du Costa Concordia, il y a eu des comportements indignes.
Un commandant, dont la faute nautique évidente et colossale a coûté des vies humaines. Et qui, au-delà de cette faute, a déshonoré sa profession, en quittant son navire, voire comme on l’évoque, en tentant de maquiller ou d’escamoter les enregistrements du bord .
Un armateur qui a immédiatement chiffré et communiqué l’impact du naufrage sur son chiffre d’affaires et le cours de son action en bourse. Un employeur qui a « chargé » son préposé aux fins d’exonérer sa propre responsabilité. Désavoué un commandant qu’il avait lui-même sélectionné, recruté, puis mis en poste sur le saint des saints, le navire amiral de la Compagnie. Un groupe financier colossal, Carnival, leader mondial de la croisière qui n’a d’autres préoccupations, aujourd’hui, que de restaurer la confiance de ses client et de ses actionnaires, minimiser les dégâts, les risques, à commencer par ceux qui pèsent sur l’environnement.
Une poignée d’hystériques parmi les passagers, qui ont paniqué, poussé d’autres hommes et femmes à l’eau, bousculé des enfants pour prendre leur place dans une chaloupe, filmé des gens à la mer sur leur téléphone quand on leur demandait d’aider à les repêcher. Et pour finir tiré à boulets rouges sur ceux qui les avaient sauvés.
Cette nuit-là, à bord du Concordia, il y a aussi eu des comportements exemplaires — au sens littéral du terme : qui peut être pris en exemple.
Un commandant — le même homme ou un autre — qui a eu la présence d’esprit de manoeuvrer pour venir échouer son navire à la côte, lui évitant de chavirer et sombrer au large, ce qui se serait traduit par des centaines de victimes — un véritable Titanic.
Un équipage et des secours efficaces, parfois héroïques, qui, quoiqu’on en dise, ont réussi le tour de force d’évacuer 4 200 passagers en quelques heures, dans les conditions que l’on sait. C’est un fait. Et je crois qu’il faut, non pas les en remercier — ils ont fait leur métier — mais le leur reconnaître.
Des passagers dignes qui ont aidé les secours, gardé leur calme et leur raison, pendant et après le naufrage. Et qui ne se précipitent pas aujourd’hui pour réclamer des indemnités.
Cette nuit-là, à bord du Concordia, il y eu tout cela. Et bien plus, que nous ne savons pas, ou pas encore. Certains faits seront confirmés dans les jours qui viennent, d’autres infirmés. Peu importe, au fond. Comme dans chaque catastrophe, la nature humaine s’est révélée, les instincts, les peurs, les courages, elle s’est débraillée sous toutes ses coutures, laissant apparaître ses facettes les plus nobles comme les plus basses. Sur mer comme à terre, en Italie et ailleurs dans le monde.
Cette nuit-là, à bord du Concordia, il y avait 4 200 personnes à sauver, prises au piège d’un navire partiellement plongé dans le noir, avec une forte gite et qui faisait l’eau. Toutes ne l’ont pas été. Pouvait-il en être autrement ?
Dans mon billet de dimanche, je dénonçais, en vrac et à chaud, la « mayonnaise médiatique », les « énormités à faire pâlir la faïence d’un chiotte, saupoudrées d’un zeste de pathos Hollywoodien », cette démarche qui conduit, à dessein ou par ignorance, à occulter les causes profondes du mal : la course au gigantisme naval menée pour satisfaire les appétits marchands de colosses financiers avides d’honorer la demande sans cesse croissante du public pour la croisière, la complicité d’un système, bien plus vaste, qui produit des normes « bouclier » derrière lesquelles les armateurs s’abritent pour vanter la sécurité des navires — c’était déjà le cas pour le Titanic réputé, en son temps, insubmersible — et qu’on fait évoluer après chaque catastrophe pour se donner bonne conscience jusqu’à la suivante, ou encore l’immobilisme juridique des pouvoirs publics, des nations, leur refus délibéré d’encadrer ces folies. A cette liste, je pourrais encore beaucoup ajouter. Je n’en retire pas une ligne.
Ce que d’aucuns ont pris pour du corporatisme de ma part — peut-être ont-ils raison — était dicté par la passion, le sentiment d’injustice créé par certains amalgames. Il y a, dans le métier de marin, le poids d’une tradition, une fierté qu’on n’aime pas voir mise à mal. Parmi l’équipage du Concordia, vous ne trouverez pas une femme ou un homme qui n’ait envisagé mille fois ce qu’il ferait en cas de naufrage, du barman au commandant, tout en priant pour que cela n’arrive jamais. Un marin, au commerce, à la pêche, est hanté par sa responsabilité et son comportement face à la catastrophe. A l’instar, je suppose, d’un conducteur de bus scolaire ou de bien d’autres professionnels encore. Chaque jour, il s’y prépare, à l’avance et au calme, tentant de se forger l’image qu’il aspire à donner de lui, non aux yeux des autres, mais à ses propres yeux, une fois qu’il sera pris dans les tourbillons du drame. Qui n'a jamais voulu savoir qui il est « réellement » ?
L’enquête progressera, la ferveur retombera, un jour la mer reprendra le Concordia aussi brutalement qu’elle l’a apporté, une tempête l’emportera au fond, loin des caméras et des flashs et le paysage redeviendra celui de la photo jointe à ce billet, les blessures cicatriseront elles aussi, celles des hommes et celles de la nature. Mais avant cela, et puisqu’Agoravox traite de journalisme citoyen, permettez-moi de redire, en conclusion, ce que j’écrivais en préambule à mon billet du 15 janvier. N’y voyez pas la pirouette du journaliste que je ne suis pas, ou une façon élégante de boucler la boucle. Plutôt un véritable appel.
« Je crois qu’il y a un engagement politique et personnel dans notre manière à nous, simples citoyens, de décrypter l’information, une responsabilité dans le fait d’allumer la radio, la télévision, l’ordinateur, ou de tourner les pages de nos journaux, pour qu’au-delà des intentions des journalistes et de nos propres fantasmes, nous puissions en tirer les leçons qui nous rendront plus sages. »
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