Les féministes ont raison et j’aurais fait comme elles. Sauf que... (2)
(Suite du précédent billet).
Si la domination ne suit pas la ligne de démarcation des genres, si elle est transversale aux genres, il devient difficile de justifier la théorie d’une domination masculine massive, délibérée, systématisée. La spécialisation et la répartition des tâches et des fonctions dans le couple a donc possiblement pu être le fruit d’une volonté commune des hommes et des femmes, selon les dispositions jugées les meilleures à une époque donnée. Mais il peut aussi bien s’être produit une prise de pouvoir autoritaire des hommes.
Les femmes ne sont pas idiotes
Si c’est le premier cas, la caricature de l’homme, dominant une femme décrite comme esclave, tombe d’elle-même. Il n’y a pas alors de domination masculine systématique ni systémique. Si c’est le deuxième cas, on se demande pourquoi les hommes auraient eu besoin de prendre ce pouvoir, et à quel moment, et dans quelles circonstances cela se serait produit. Et pourquoi les femmes auraient accepté d’être rabaissées et dominées sans réagir. Les femmes n’étant en rien inférieures aux hommes, ce qu’elles démontrent de nombreuses manières depuis la nuit des temps, elles n’auraient probablement jamais accepté un système qui leur soit contraire au point d’en faire des esclaves et des êtres souffrant quotidiennement d’oppression. L’introjection de la soumission, si c’était le cas, ne me paraît pas suffisante pour expliquer cela. J’ai une vision positive et forte des femmes, je ne crois pas un instant qu’elles aient attendu 2’000 ans, ou 10’000, pour dire qu’elles existent. Le croire serait avoir une bien piètre opinion d’elles.
En octobre 2010 j’ai écrit deux billets : l’un pour rappeler succinctement ce qui s’est dit des femmes depuis l’Ancien Testament jusqu’à récemment , et c’est édifiant. En voici un petit extrait :
« Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu'elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit. »
Pour qu’un homme, l’apôtre Paul, parle ainsi aux premières communautés chrétiennes, c’est que ce discours ne devait pas poser trop de problème. Imaginons l’inverse : une femme aurait-elle pu dire cela à l’époque ? Jamais. Et pourtant les paroles attribuées à Jésus dans les textes montrent qu’il considérait la femme au même point que l’homme.
L’autre billet était pour collecter un certain nombre de citation féministes pas piquées des vers contre les hommes. Tout autant édifiant.
A la lecture de l’extrait cité plus haut, on peut se demander pourquoi contester le fait que les femmes aient été historiquement écartées d’un certain nombre d’activités et que les hommes aient été incités à prendre le pouvoir sur elles.
Le décalage
En voici une raison majeure : depuis mon adolescence, les hommes que j’ai connus ou vus en couple autour de moi ne ressemblent en rien au portrait du dominateur et de l’esclavagiste. Il y a certes des hommes dominateurs, comme il y a des hommes violents. Mais la plupart des hommes ne sont pas ainsi, ou malgré eux parfois parce que le modèle social forme l’homme à ne pas subir - et pour certains dialoguer ou demander l’avis de leur femme serait ne pas décider, donc subir. Il y a des hommes dominateurs comme il y a des femmes dominatrices et violentes. Les hommes ne seraient-ils donc pas tous les Attila que l’on décrit ? Et les femmes ne seraient-elles donc pas toutes des esclaves soumises ?
Comment donc peut-il exister un tel décalage entre ce qui se dit et ce qui est ? Comment faire coller à l’ensemble des hommes un certain discours féministe encore entendu suite à l’affaire DSK : « L’homme est un violeur potentiel », ou : « Je comprends maintenant ce qu’est la domination masculine » ? Ce n’est simplement pas possible. Et je pense que ce ne l’était pas dans le passé.
Comment pourrais-je connaître ce qui s’est dit et fait dans le passé, et dans quel contexte et avec quelle connotations relatives à l’époque ? Parce qu’il y a des traces. La bible propose les lois fondamentales, le Décalogue, dans lesquelles il est demandé d’honorer son père ET sa mère. La mère n’est pas considérée comme une simple reproductrice de seconde zone, elle a droit au même respect que le père - et vice-versa. Il n’est que de voir la puissance de la mère dans les sociétés sémitiques pour réaliser sa place et son influence. Il y a d’autres textes bibliques intéressants, mais en remontant plus loin, presque 4’000 ans en arrière, on trouve le premier code et recueil de jurisprudences connu : le code Hammurabi, roi de Babylone. Ce texte a été la loi fondatrice de la société mésopotamienne pendant 1’000 ans.
On y trouve en particulier des articles précisant les droits des femmes. Par exemple, une femme répudiée garde ses biens :
« Si un homme s'est disposé à répudier une concubine qui lui a procréé des enfants ou bien une épouse qui lui a procréé des enfants, il rendra à cette femme sa cheriqtou (sa dot), et on lui donnera l'usufruit des champs, verger et autre bien, et elle élèvera ses enfants. Après qu'elle aura élevé ses enfants, on lui donnera une part d'enfant de tout ce qui sera donné aux enfants, et elle épousera l'époux de son choix. »
Et aussi :
« Si un homme a choisi une fiancée pour son fils, et si celui-ci l'a connue, si le père lui-même ensuite est surpris à coucher dans son sein, on liera cet homme et on le jettera dans l'eau. »
Ce que montrent ces textes c’est que les femmes ne sont pas considérées comme des esclaves. Elles ont des droits et la loi y pourvoit. Elles ont eu une place importante dans la société du Moyen-Âge, avant que leur statut régresse. Je ne suis pour autant pas certain que les hommes avaient un meilleur statut, du moins pas la grande majorité d'entre eux. Les "privilèges" masculins ne concernaient que très peu d'entre eux.
Il y a, il y a eu des régions où le patriarche a une sorte de pouvoir moral presque illimité sur sa famille. Il en est de même pour la matriarche, dont l’autorité dispose d’une légitimité et d’une force que bien des grand-mères occidentales rêveraient d’avoir.
Il me semble, à ce point de ma réflexion, difficile de parler d’une domination masculine systémique. Les choses semblent bien plus mélangées. La répartition des fonctions elle-même n’a pas toujours suivi le schéma que je suggère dans le premier volet.
J’insiste sur ce décalage entre le dit et le fait. Les hommes et les femmes ont beaucoup plus partagé que ce qui ne se dit. Et cela dépend encore des périodes, des régions, des traditions. Une majorité d’homme n’a aucune propension à dominer la femme. D’ailleurs la domination est le fait d’une minorité de puissants sur une majorité d’humains. Rien de spécifiquement masculin. Et pourtant le discours féministe radical, appuyé ensuite par les bourdieuseries qui ont formaté la pensée des féministes actuelles, a construit depuis les années 70 un stéréotype de genre sur les hommes tout en les refusant pour les femmes.
J’aurais fait comme elles
Mais qu’est-ce donc qui a pu à ce point enrager des femmes dans les années 1960 et 1970 ? Pourquoi un tel rejet du masculin, une telle violence qui perdure encore aujourd’hui ? Je pense à plusieurs raisons mais je n’en prendrai qu’une : le statut de la femme selon le code Napoléon, qui a influencé les législations européennes pendant 150 ans. Il y a 4’000 ans, sous le code Hammurabi, les femmes disposaient de nombreux droits (et devoirs, comme les hommes). Mais il y a 200 ans, sous le code Napoléon, elles ont été déclassées.
Article 1124 :
« Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux. »
Jusqu’où va l’incapacité juridique de la femme mariée :
Interdiction d’accès aux lycées et aux Universités
Interdiction de signer un contrat, de gérer ses biens
Exclusion totale des droits politiques
Interdiction de travailler sans l’autorisation du mari
Interdiction de toucher elle-même son salaire
Contrôle du mari sur la correspondance et les relations
Interdiction de voyager à l’étranger sans autorisation
Répression très dure de l’adultère pour les femmes
Les filles-mères et les enfants naturels n’ont aucun droit
La révolte contre cette aberration, contre cette disposition inqualifiable, était parfaitement normale.
J’aurait fait comme elles si cet article avait déclassé les hommes ! J’ai donc soutenu sans réserve ce féminisme-là.
Sauf que...
Sauf que l’on ne doit pas confondre le code Napoléon avec l’ensemble de l’Histoire. On ne doit même pas imaginer que les hommes ont profité de ce code. Les mineurs de fond avaient-ils encore envie d’écraser leur femme quand ils remontaient de la mine ? Et les hommes exilés pour faire survivre leur famille ? Certainement pas. Et les ouvriers ? Et les intellectuels libéraux ? Et les paysans qui partageaient les travaux avec leur femme ? Certainement pas. La littérature parle de quelques dominants ou dominantes : ce sont toujours des cas particuliers, pas la généralité.
Toutefois je comprends que de nombreuses femmes ne veulent plus laisser la sphère politique aux mains des seuls hommes : vu ce qui s’est passé depuis Napoléon.
A leur place je ferais pareil.
Sauf que l’on est passé à autre chose : au stéréotype masculin du prédateur ou de l’ogre. Et ce n’est pas innocent.
Je terminerai et conclurai sur ce point dans un troisième et dernier volet.
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