Peut-on empêcher le Droit Individuel à la Formation (DIF) ?
Dans notre droit du travail il existe un redoutable délit, celui d’entrave au droit syndical. Ce délit, sévèrement condamné par la justice, consiste pour un employeur à empêcher par diverses manœuvres d’exercer le droit syndical à l’intérieur d’une entreprise.
Bien évidemment en matière du très jeune Droit à la formation le délit d’entrave n’existe pas. Si ce délit n’existe pas en formation, l‘entrave à l’exercice du DIF n’est-elle pas en train de se mettre en place dans les entreprises ?
Depuis 2004 toutes les entreprises françaises (à partir d’1 salarié) sont supposées mettre en œuvre le DIF, Droit Individuel à la Formation. Ce DIF de 20 heures annuelles qui permet à tous les salariés (y compris et surtout aux moins qualifiés) de s’approprier leur formation professionnelle, de planifier et de préparer leurs apprentissages au sein de la nouvelle économie des savoirs et de la connaissance.
Las, rien ne s’est passé comme les partenaires sociaux (en 2003) puis le législateur (en 2004 et en 2009) l’avaient imaginé. L’exercice du Droit à la Formation reste périlleux et difficile pour les salariés et les entreprises, grandes comme petites, publiques comme privées ne le favorisent pas.
Les petites entreprises ne s’intéressent toujours pas à la formation, le « nez » dans le guidon de leur activité, tenant de survivre dans un environnement économique difficile elles ignorent souvent la formation donc le DIF. Les grandes entreprises (à quelques rares exceptions près) n’ont pas plus mis en œuvre le DIF de leurs salariés, pour des raisons autres, organisationnelles et financières principalement.
Ce Droit à la Formation, devenu fondamental en période de crise économique et de restructurations reste un vœu pieux, un rêve inaccessible qui concerne au mieux 5 % des salariés tous les ans (quand ceux-ci ne sont pas contraints de prendre leurs heures DIF pour réaliser des formations du plan).
Nous estimons qu’environ 1 milliard d’heures de DIF ont été accumulées par les 10 à 12 millions de salariés du privé disposant d’un contrat en CDI.
Les entreprises ont donc laissé enfler démesurément durant six ans leur dette formation. Elles ne pouvaient pourtant pas ignorer que le DIF était une « bombe à retardement » (dixit Pascal Chauvin en 2005) qu’il était facile et important de désamorcer en mettant en œuvre, sans l’entraver, une politique et des moyens DIF.
La Cour des comptes tira elle même la sonnette d’alarme en février 2009 « Si tous les salariés du secteur privé capitalisaient leurs heures pour ne les utiliser comme ils en ont la possibilité qu’au bout de six ans, la charge potentielle cumulée pour les entreprises atteindrait 77 milliards d’euros ».
Mais rien n’y fit pourtant et comme l’eau remplit inexorablement un barrage fermé les entreprises sont restées immobiles et impuissantes face à ce droit nouveau, invisible mais porteur désormais de lourdes menaces financières et sociales .
Les entreprises dans notre pays ont donc accumulé une dette formation qu’elles honoreront un jour ou l’autre (au plus tard en 2011). Pour certaines entreprises il est déjà trop tard (comme cette usine de pneumatiques Continental à Clairoix qui disposait de 80 euros pour former chacun de ses 1 200 ouvriers tous les ans, disparue en 2009, emportée par une crise qui n‘était pas qu’économique).
En ce printemps 2010 alors que nous allons souffler les six bougies du DIF et que la crise économique et sociale s’enkyste dans notre pays, de nombreux salariés découvriront qu’ils ne pourront pas exercer leur Droit à la formation.
Non seulement la plupart des entreprises n’ont pas équipé leurs services formation ou RH pour généraliser le DIF mais beaucoup d’entre elles, abusées par le non-provisionnement du DIF ont déjà peaufiné leur banale et illégale réponse face aux demandes : « nous avons épuisé les budgets, il est impossible de dépenser plus, revenez l’an prochain….. »
Un employeur ne pourrait pourtant refuser à ses salariés leur droit aux congés payés sous prétexte qu’il aurait épuisé ses budgets, c’est pourtant la réponse que vont faire les services RH et formation des entreprises aux demandes de DIF.
De telles réponses sont évidemment illégales au regard du droit du travail. Au delà des traditionnels contentieux au travail (salaires, temps et conditions de travail) ne serait-il pas temps de s’intéresser au droit à la formation des salariés ? Si le travail et l’emploi disparaissent faute de formations et d’accompagnements à quoi pourraient bien servir les autres Droits des travailleurs ?
Rappelons pour clore cette note que le 2 mars 2010 une importante décision de justice a été rendue sur l’obligation du maintien de l’employabilité des salariés (Cass. soc., 2 mars 2010, n° 09-40.914 à M 09-40.917, Soumaré et a. c/ Sté La tour Lafayette)
Cet arrêt de la Cour de cassation, en application de l’article L. 6321-1 du code du travail, précise « le fait pour les salariés de n’avoir bénéficié d’aucune formation professionnelle continue pendant toute la durée de leur emploi dans l’entreprise établit un manquement de l’employeur à son obligation de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi ».
La Cour a estimé que le non respect par l’employeur de son obligation a entraîné un préjudice qu’il convient de réparer.
Dans ce jeune droit à la formation cette décision (prononcée pour la première fois durant l’exécution normale du contrat de travail et non lors d’un licenciement) nous semble importante. Elle renvoie tous les employeurs à leur responsabilité apprenante en démontrant que le Droit à la formation n’est pas une option du contrat de travail et les salariés pas seulement de la main d’œuvre interchangeable et sans voix sur leur avenir professionnel.
Les entreprises trouveront-elles un intérêt financier, organisationnel ou social à résister une année de plus au Droit Individuel à la Formation ? Nous en doutons, le Droit à la formation doit permettre de réinventer un travail forcement différent au temps des réseaux. Sans mobilisation et bienveillance de leurs employeurs ce même travail aura de plus en plus de difficultés à être rentable.
La formation est désormais devenue cette ardente obligation au service de la compétitivité du pays et de l’employabilité des individus, la formation tout au long de la vie va devenir le pilier central de nos sociétés postmodernes.
Didier Cozin
Auteur des ouvrages Histoire de DIF et reflex DIF (nouvelle édition à paraître au printemps 2010 aux éditions Arnaud Franel)
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