Peut-on mettre un terme à la querelle des OGM ? (suite)
Alors que je m’apprêtais à publier un texte en réponse aux nombreuses critiques qu’avait reçues mon premier post sur Agoravox, un événement tragique est survenu : le suicide d’un agriculteur de 46 ans. S’il est malvenu d’utiliser ce drame, on ne peut cependant pas rester indifférent. Surtout quand on sait que l’agriculteur en question était connu pour son attachement à l’écologie. Or, au travers de ce fait divers, on constate à quel point la querelle des OGM est loin d’être finie. A l’approche du Grenelle de l’environnement, le doute se fait toujours plus ressentir et comme l’a prouvé la double manifestation de Saverdun ce week-end, on ne sait pas qui des biocatastrophistes ou des technoprophètes, pour reprendre des expressions chères à Dominique Lecourt, a raison. Tout cela prouve qu’il est vivement nécessaire de trouver un statut aux OGM dans l’échelle du vivant et que c’est à cette condition que, peut-être, la querelle s’estompera.
Pourquoi il est impossible de parler OGM sans se faire insulter
Le 11/07, je me demandais sur Agoravox s’il était “possible de mettre un terme à la querelle des OGM”. Le simple fait de poser la question m’a valu tout un tas d’invectives et de récriminations. En relisant certains commentaires j’en serais presque devenu pavlovien. Il est clair que le mot OGM agit sur certains comme le sucre que Pavlov donnait à son chien. Le prononcer suffit à provoquer des automatismes : “vous avez osé vous demander si les OGM étaient vraiment si mauvais que nous l’affirmons, donc vous êtes forcément payés par Monsanto !”. De fait parce qu’ils sont dans la critique les opposants aux OGM imaginent être au-dessus de toute critique. Or le principal intérêt de mon travail de thèse a été de démontrer qu’il existait deux types de critique possible : une première relève de la controverse (par exemple, le débat sur la détermination des tests d’allergènicité) et se présente sous la forme d’un dialogue contradictoire mais constructif ; la seconde relève de la polémique (faire croire, par exemple, qu’un reportage sur les OGM a été censuré pour créer un scandale, alors qu’il est passé à une heure de grande écoute) et est un non-dialogue qui se termine en pugilat. Or si les OGM suscitent si facilement la polémique, c’est que leur nature n’est pas claire pour tout le monde et qu’elle continue de susciter la fascination dans l’esprit de chacun. Et qui dit fascination, dit un mélange de peur et d’admiration. Il est donc essentiel de revenir sur quelques a priori pour clarifier cette nature et dissiper ce sentiment étrange à leur égard.
Le paralogisme des anti-OGM
S’il n’a jamais été formulé tel quel, ce que nous avons baptisé “le paralogisme des anti-OGM” est une tentative de notre part de synthétiser un enchaînement de trois faux raisonnements que l’on retrouve fréquemment. On peut le formuler de la sorte :
“- Tout ce que la nature fait est bon
- Les OGM ne sont pas naturels
- Donc les OGM ne sont pas bons.”
On a bien ici trois contre-vérités qui s’enchaînent dans un raisonnement apparemment cohérent : tout d’abord, tout ce que fait la nature n’est pas forcément bon (je vous laisse y réfléchir). Ensuite, dire que les OGM ne sont pas naturels suppose que sans l’intervention de l’homme, on ne peut trouver des êtres à l’état sauvage qui pourraient être considérés, de par leur patrimoine génétique, comme des OGM, c’est-à-dire, dont le matériel génétique ne serait pas simplement issu du croisement entre deux espèces parentes. Or, le biologiste Conrad Lichtenstein, par exemple, a démontré que des plantes comme le tabac ou le blé, à l’état sauvage, possédaient des gènes qui avaient été obtenus par transfert horizontal de l’information (mode de transfert identique à celui des OGM). Donc on peut en conclure que la nature peut spontanément produire par elle-même ce que l’on considère aujourd’hui comme des OGM. Enfin, affirmer “les OGM ne sont pas bons”, c’est soutenir que tous les OGM ne sont pas bons. Or, il faut pour les OGM, comme d’ailleurs pour toute autre technologie, appliquer ce que nous avons appelé le “principe de cas par cas”. Un exemple : la culture du colza GM en Europe n’a pas été autorisée, parce que le pollen de colza pourrait essaimer et se croiser avec la moutarde des champs, rendant ainsi cette mauvaise herbe résistante aux herbicides. Un autre exemple est celui du soja dans lequel on avait introduit un gène de noix du Brésil, un allergène notoire. Aussi, on a décidé de ne pas commercialiser cet OGM. Mais que dire, par contre, d’un maïs conçu pour consommer moins d’eau ? Qui aura-t-il de mal dans cette plante quand les agriculteurs du Gers pourront l’utiliser en pleine sécheresse ? En fait si du point de vue scientifique l’analyse des risques doit s’en tenir au principe selon lequel “l’absence de preuves ne signifie pas la preuve d’absence”, sur quelle base se fonde-t-on pour dire qu’un être qui a été obtenu par le biais de la transgenèse végétale sera nécessairement mauvais ?
La somme de tous les dangers ?
Nous voici donc à un point fondamental du débat : les OGM concentreraient en eux tous les maux de l’agriculture intensive : risques sanitaires incontrôlables, recours intensifs aux intrants, concentration des solutions entre les mains de quelques multinationales, risques de monocultures... pourtant, aucun de ces problèmes n’est apparu avec les OGM. Pour ne pas dire que la technologie permet, pour certains d’entre eux, de rectifier le tir. Pour ce qui concerne les “risques incontrôlables”, de l’avis des experts, jamais la mise sur le marché de nouveaux aliments n’a été autant surveillée que celle des OGM. Ensuite, de nombreuses études démontrent que cette technologie permet d’utiliser moins d’intrants. Quant à la concentration des solutions entre les mains de quelques grands groupes elle est bien moins la conséquence de la technologie elle-même que de l’opposition à la technologie : ainsi les agriculteurs de la coopérative Limagrain ont pu se doter d’un laboratoire de recherche pour produire leurs propres OGM. Mais si Biogemma n’a pas pu mener à terme ses essais et développer la technologie, c’est bien parce que les faucheurs ne l’ont pas voulu, s’en prenant indifféremment à toute forme de recherche. Enfin, en ce qui concerne la monoculture, si certains critiquent le fait que les agriculteurs privilégient les cultures qui leur apportent plus de rendements à moindre effort, ils peuvent également imaginer que les chercheurs possèdent dans leurs tuyaux toute une panoplie d’innovations qui feront que le marché des OGM contribuera davantage à la biodiversité qu’à la monoculture. Les consommateurs décideront bientôt s’ils veulent du soja enrichi en oméga 3 et du riz enrichi en vitamine A... Reste encore à traiter le problème de ce que certains ont baptisé “la pollution génétique” ; il apparaît clairement que ce problème en est un parce que les OGM ont été présentés comme des plantes contre-nature. Parce que sinon, le flux génétique est un phénomène naturel qui concerne toutes les plantes. Or, admettons l’objectivité de ce problème dans le cas de “plantes médicaments”, dans le cas du colza évoqué plus haut, ou encore celui de la proximité avec un champ de semences bio. Là encore, il existe des solutions : on peut confiner les champs ou castrer les plantes. Finalement, à y regarder de plus près, on voit que c’est toujours le même point de discorde qui a mis une loupe grossissante sur tous ces problèmes : la nature des OGM ; autrement dit, le fait qu’ils ne soient pas le fruit du mélange entre deux patrimoines génétiques qui peuvent s’associer spontanément entre eux par le biais de la reproduction. Et comme nous l’avons démontré dans la querelle des OGM (PUF,2006), c’est un vieux problème qui remonte à Aristote. Ce dernier disait dans son Histoire des animaux, que ce qui définissait une espèce, c’était la capacité que les êtres avaient de se reproduire entre eux. Les animaux hybrides étant inclassables, ils étaient considérés comme des monstres. Un être qui transgresse la barrière des espèces est donc forcément un être contre-nature. Soit, mais n’est-ce pas là une vision restreinte de la nature ?
Une vision élargie de la nature
Quand j’ai commencé mon enquête sur les OGM en 1999, comme la majorité des consommateurs français, j’étais “plutôt contre”. Je pensais a priori que cette technologie cherchait à réduire le vivant à une matière première (la fameuse vision réductionniste) et que cela n’était pas légitime d’un point de vue éthique et environnemental. Ensuite pour avoir beaucoup lu les discours des opposants j’étais persuadé que cette technologie recelait une quantité de dangers incroyables. Mais à force d’enquêtes, j’ai fini par me rendre à l’évidence que beaucoup des soi-disant dangers énoncés n’étaient que des risques potentiels étudiés de très près et avec grand renfort de commissions et de budget de recherches. Puis, fait paradoxal, je me suis aperçu que les protagonistes des OGM avaient bien des préoccupations environnementalistes. Les mêmes que les miennes en fait (je précise que je roule à vélo et que je trie mes déchets depuis 1993). Parce que les chartes écrites par Monsanto dans les années 80 ne pouvaient pas être que des résidus de stratégies de communication et que les faits sont têtus, il fallait bien rendre compte d’une manière ou d’une autre de cette volonté. Et pour cela, la seule manière était de comprendre qu’il existe deux visions de ce que l’on dénomme “développement durable” : la première consiste à vouloir ressusciter un monde vierge de toute intervention humaine, la seconde à trouver un équilibre qui n’a peut-être jamais existé et qu’il faut s’efforcer de mettre en place en utilisant toutes les solutions technologiques qui se trouvent à notre disposition. Selon cette dernière vision, les OGM apparaissent comme une technique parmi d’autres pour atteindre l’objectif de satisfaire les besoins de l’humanité sans détériorer l’environnement qui assure la viabilité de celle-ci. Selon la première vision, les OGM sont une solution qui l’éloigne toujours plus d’un pseudo paradis perdu. Selon la seconde, on peut accepter la transgenèse végétale comme une modification possible du vivant qui permet de résoudre certains problèmes tels que l’utilisation d’une quantité moindre d’intrants, d’énergie fossile... La vision réduite du vivant n’est donc pas forcément du côté qu’on le croit. Elle est bien davantage du côté des “grands prêtres” qui voudraient nous imposer les normes de ce qui doit être considéré comme “naturel” et de ce qui ne le doit pas, que de ceux qui pensent que l’homme prolonge la créativité du vivant en développant les possibles qui se trouvent en lui.
Pour un droit à cultiver des OGM
Finalement, quand nous affirmons aujourd’hui que la querelle des OGM est essentiellement de nature idéologique, que voulons-nous dire ? Non pas que les questions à l’égard de la sécurité alimentaire et des risques environnementaux ne sont pas fondées. Toutes les interrogations qui peuvent faire progresser et l’une et l’autre sont nécessaires et légitimes. Ce qui l’est moins c’est le fameux paralogisme des anti-OGM. Or si on peut savoir gré aux critiques environnementalistes d’exiger toujours plus de mesures de sécurité de la part des industriels, on ne peut que dénoncer l’attitude qui consiste systématiquement à critiquer une technologie a priori, et ce, du fait d’une vision restreinte de la nature, vision que certains voudraient imposer au reste de l’humanité. Mais que l’on nous explique donc ce que c’est qu’un être “contre-nature”. S’agit-il d’un monstre qui échappe à toute forme de prise par l’entendement humain et qui se meut dans le surnaturel ? S’il est plus impératif de s’interroger sur les conséquences qu’aura l’introduction d’une nouvelle semence sur le marché, sur quel fondement repose la croyance qui consiste à dire que les plantes qui ne sont pas issues d’un croisement inter-spécifiques sont plus dangereuses que les autres parce que moins naturelles ? De tout cela, il apparaît qu’il devient absolument nécessaire de donner un statut clair aux OGM dans l’échelle des êtres. Or nous sommes certain que si ce statut avait existé et qu’il avait été pleinement reconnu, Claude Lagorse vivrait encore aujourd’hui. Car c’est peut-être présomptueux de notre part que de penser que cet agriculteur a eu peur que ses amis et sa famille le prennent pour un Faust des temps modernes, mais quelle autre explication donner ? En effet, si vous cultivez du bio et que l’on vient à apprendre demain que vous avez planté des OGM en cachette, ne va-t-on pas dire de vous que vous avez vendu votre âme au diable ? Et pourtant n’aviez-vous pas vos raisons d’aller vérifier par vous-même si ces plantes sont si mauvaises que le prétendent vos amis, ou si elles peuvent apporter quelques avantages en rapport avec une meilleure gestion de l’environnement comme l’affirment ceux qui en ont déjà cultivées ? Alors oui, si les OGM pouvaient être reconnus comme des êtres faisant partie de la chaîne du vivant, sans doute que la confusion idéologique n’aurait jamais eu lieu. En espérant que les politiques et les citoyens qui participeront au futur Grenelle de l’environnement seront capables de pousser jusqu’au bout leur intuition : les OGM sont une solution parmi d’autre sur la voix du développement durable, ils ne peuvent pas tout, mais s’en priver totalement est un risque au moins aussi grand que de les développer au cas par cas et en respectant le principe de précaution. Ayons au moins le courage de regarder la vérité en face.
Jean-Paul Oury, docteur en histoire des sciences et technologie, auteur de La Querelle des OGM (PUF 2006)
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