Pourquoi l’anglais n’est pas une solution pour l’UE
Et ce, quelle que soit l'idée que l'on se fait de l'UE, du plus intégrateur (construction d'un grand pays supra-national) au plus souverainiste (coopérations sectorielles entre États).
- Illégitime selon les textes fondateurs. Tous les textes produits par l'UE doivent être dans une ou plusieurs langues européennes.
- Absurde : langue non-européenne depuis le Brexit - et même insulaire auparavant !
- Suicidaire politiquement : langue impérialiste car celle de la puissance dominante du moment, comme l'ont été bien d'autres langues en leur temps : français, espagnol, hollandais, portugais, arabe, latin, chinois, et j'en oublie. Son imposition donne du grain à moudre aux souverainistes et aux nationalistes.
- Difficile, contrairement aux clichés, en tout cas autant que le français, par sa phonétique irrationnelle (accent tonique mobile, variation phonétique des voyelles). Seule sa proximité par les films et séries télés, sa présence envahissante dans certains milieux (pub, mode, médias) et certains métiers donne cette impression de facilité. Il s'agit de familiarité, non de facilité !
- Certains plaident la LFE ou ELF (english as a lingua franca) : impossible à définir, à enseigner. Plus qu'un sabir, moins qu'une langue, ce n'est qu'un mythe propagé par les partisans de l'anglais langue internationale pour éviter la critique d'impérialisme linguistique. Si on le leur demande, les apprenants eux-mêmes disent vouloir étudier l'anglais, et non l'ELF, l'anglais d'aéroport, le « kitchen english », le globish ou le « broken english » - sont pas fous, eux !
- Nuisible à l'apprentissage du français à l'école primaire : la GB a un plus fort taux de dyslexie que nous, et les petits Anglais apprennent à lire un peu plus tard au primaire (ils mettent environ trois ans pour lire de façon fluide, pour un an et demi aux Français - mais rattrapent ensuite, of course) à cause des difficultés phonétiques de leur langue. Et c'est à cette langue difficile qu'on veut initier nos enfants à un âge où ils débutent en français, et malgré les baisses de niveau constatées, y compris parmi les étudiants du supérieur, voire leurs professeurs !
- Nuisible au français et à toutes les autres langues : le but, récemment avoué en France dans le rapport Blanquer, d'amener chaque citoyen à un niveau proche du natif comme dans les pays nordiques, ne pourra être atteint qu'à un coût très élevé (multiplication des profs au primaire, voire à la maternelle, stages), et au prix du déclin du français, en influence et en substance (les Suédois et les Norvégiens n'actualisent plus leur vocabulaire scientifique et technique, appauvrissant leur langue et la rendant progressivement inapte à la transmission des connaissances.)
- Renforcement de l'UE comme vassal des USA. Leur langue, leur armée, leur chef ! (L'OTAN, seule armée européenne à ce jour, ne peut être mise en œuvre que par les USA)
- Déséquilibre économique au profit de la GB et des USA (cf. le rapport Grin, commandé par l'Éduc. Nat.) : profs natifs, séjours linguistiques pour les profs et les élèves, livres, traductions, bizness de Hollywood privilégié, influence politique, diplomatique puis commerciale des USA (lutte d'influence à l'étranger), une manne immense – et un sujet tabou...
Il y a tant d'inconvénients qu'on se demande comment on peut persister aveuglément dans cette voie !
Soyons honnêtes, listons aussi les avantages : ? Mais aussi ? Et enfin ?! Ah si, un constat d'échec du plurilinguisme tel que jusqu'à présent conçu par l'UE, et la reconnaissance des avantages d'une langue de communication entre citoyens européens ou mondiaux.
Alors, quid du future ? Heu... du futur ! Quelles options ?
On peut certes faire plus compliqué : choisir l'hébreu, par exemple, langue sans voyelle, ou l'arabe littéral, le chinois, des langues non-européennes dans des alphabets que nous ignorons, voire les hiéroglyphes du temps des pharaons ! Blague à part, diverses possibilités bien de chez nous s'offrent toujours à l'UE.
1. Première option : privilégier la traduction ! Et l'interprétariat.
C'était déjà l'idée première de l'UE, qui a malheureusement servi à camoufler la progression de l'anglais, à grand renfort de citations culturelles. « La langue de l'Europe, c'est la traduction » dixit Umberto Eco. L'UE, pragmatique, avait rapidement décidé d'un compromis : trois langues de travail - allemand, français, anglais, soit le couple fondateur plus l'anglais – mais ce fut pour dériver vers le tout-anglais (hors juridique).
Il ne s'agirait pas de quelques langues de travail mais d'une égalité totale des langues nationales de l'Union (pour les langues régionales, chaque pays ferait à sa façon), avec un développement massif de la traduction.
Reprenons l'exemple de partis ou de médias transeuropéens : leurs programmes ou articles seraient traduits dans chaque langue cible.
Les sondages d'Eurobaromètre l'ont montré depuis longtemps : LES GENS PRÉFÈRENT LIRE OU ÉCOUTER DES INFOS DANS LEUR PROPRE LANGUE !
Cette solution, multipliant les traducteurs, n'est pas plus coûteuse que le tout-anglais, IL S'AGIT SIMPLEMENT D'UN TRANSFERT DE CHARGES. L'école primaire cesserait ainsi de spécialiser les enfants en anglais, au profit d'une initiation linguistique non spécialisée au CM2, plus simple et moins coûteuse.
En basculant de l'anglais à la traduction, le flux financier dû aux langues, plutôt que converger vers la GB et les USA, serait réparti dans les divers pays européens, chacun formant ses propres traducteurs et créant des emplois chez lui plutôt que d'importer massivement des « native english » et de payer des stages et séjours en GB.
Cette solution serait progressive et ne bouleverserait personne. Les domaines qui utilisent largement l'anglais pourraient continuer de travailler comme avant : finance, ingénierie et sciences (d'autant que dans ce dernier domaine, la dérive anglophone est relativement récente et manque d'enthousiasme)
2. Choisir une langue européenne
- De préférence, une langue dont la phonétique soit régulière : l'italien (malgré l'accent tonique mobile), ou l'espagnol, le polonais aussi, dit-on.
- L'espéranto, langue construite d'origine latin-grec-germanique-slave, conçue pour être totalement régulière (un son = une lettre, accent tonique fixe) et grammaticalement simple. Européen par son vocabulaire, international par sa grammaire (dérivation, agglutination).
- Le latin a quelques fervents défenseurs – qui s'opposent à la définition des dictionnaires en faisant une langue morte, au motif qu'il est parlé au Vatican par quelques personnes... Mais il n'existe pas de natifs, pas de production pour enfants, donc langue morte, sinon même les hiéroglyphes ou l'écriture maya seraient des langues vivantes car « parlées » par certains professionnels !
3. Une combinaison de ces solutions, qui ne s'excluent pas mutuellement.
- Traduction + usage d'une langue européenne différente selon les activités. Un exemple au hasard : français dans la police, allemand dans le rail et le commerce, italien dans le portuaire, espagnol dans la douane, grec dans le tourisme ! etc. Pas facile à négocier... mais possible, équitable et original.
- Traduction + espéranto + anglais, cela nous semble la meilleure solution, la plus simple et la plus équitable : traduction pour les textes européens, les médias et les partis transnationaux, espéranto comme langue de communication entre les gens (d'autant qu'il est déjà international), et anglais dans ses domaines de prédilection.
Alia mondo eblas (un autre monde est possible), encore faut-il le vouloir...
La question des langues est politique et non pédagogique. Le mur de Babel existe pour tous et transcende les systèmes politiques. L'Humanité n'a connu que l'hégémonie linguistique de la puissance dominante, c'est-à-dire l'impérialisme linguistique, souvent accompagné de sabirs dans les grands ports commerciaux. Et celui-ci a un coût considérable dans l'UE pour les pays non-anglophones.
À l'heure de la mondialisation, du rétrécissement de notre monde, il ne tient qu'à nous d'essayer un système de communication plus juste et plus rationnel. Il paraît qu'il faut manger local, alors parlons européen ! Que l'UE soit un précurseur plutôt qu'un dominion états-unien !
(Nota : l'illustration « Liberecon por la mondo » est un graphisme en espéranto, en façade d'un immeuble de Bialystok, par Maciej Szupica, un artiste polonais.)
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